Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

For the devil has no power...
except in the dark

V'hallys x Nachtgewalt

L’hétéroclite duo formé par les deux solitaires, qui semblaient en opposition la plus totale, était pourtant étrangement fonctionnel. Ils avançaient à une vitesse raisonnable et avec une constance qui leur avait permis de distancer ceux qui tentaient également l’aventure. Néanmoins, après la traversée du chemin de glace, périlleuse, et l’exploration longue et éreintante de la première île, ils avaient préféré s’offrir un peu de repos, à la fois pour les corps et pour les âmes. Leurs muscles étaient douloureux d’avoir été sollicités à répétition pour des bonds sur les rochers, et V’hallys, habitué depuis des semaines à sa solitude, ressentait le besoin de s’éloigner et changer d’air après 24 heures passées en totale immersion avec Ladh. Ils avaient repris leur aventure à la nuit tombée, plus reposés physiquement mais pas apaisés pour autant : V’hallys avait fait une rencontre qui, à chaque fois qu’elle survenait, le chamboulait avec une force qu’il ne parvenait pas à s’expliquer.

Avoir découvert un passage en contrebas des rochers, sur l’autre versant de l’île, relevait du miracle, après leurs échecs consécutifs dans leur exploration de l’épave. Ils s’étaient engagés dessus avec la même prudence que plus tôt, toujours conscient que leur avance ne tenait qu’à un fil et que leur vie aussi, marchant au milieu d’une mer agitée, bien loin de leur milieu naturel. V’hallys resta silencieux la majeure partie du voyage, ses pensées vagabondant encore du côté d’une louve verte aux dreads si semblables aux siens. Il aurait aimé avoir quelqu’un à qui partager ces maux au cœur, mais Ladh n’était pas exactement le type de compagnon qui appelle à la confidence ; alors il se taisait, ressassant dans sa tête ce qui s’était passé et ce qui aurait pu advenir autrement, s’il avait eu des mots différents. Il se culpabilisait en même temps qu’il sentait une colère injustifiée grandir ; elle n’était pas tendre avec lui, son amie, et exigeait énormément de celui qui avait oublié comment interagir correctement avec elle.

Une fois l’île atteinte, V’hallys sentit une vague de désespoir le gagner, conséquence de ses sombres pensées et de la vision des roches qui la bordaient. Encore des cailloux ! Cela n’en finirait donc jamais ; pourquoi ne pouvait-il y avoir une belle pente douce brodée d’une herbe tendre et de plantes aux odeurs enivrantes ? En fait, il n’en demandait même pas tant ; simplement un peu de végétation, était-ce trop demander ? Il avait l’impression de parcourir un désert rocailleux hostile à toute forme de vie, et alors que le désespoir l’avait épargné durant tout le début du voyage, il le sentait à présent s’insinuer en lui. Se refusant à céder à la détresse, préférant la transformer en une colère saine, il se tourna vers Ladh, se demandant si les mêmes pensées s’étaient emparées de lui.

« C’est sympa la touche vaguement orange sur ces cailloux, ça change de d’habitude. Autrement je me serais lassé », ajouta-t-il avec sarcasme – il en avait vraiment assez de ces rocailles qui promettaient de nouveau des sessions d’escalade bien sympathiques.

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V'hallys x Nachtgewalt

« Si c'est la couleur qui suffit à captiver ton attention, je devrais peut-être me peindre en orange moi aussi ? »

V’hallys fixa Ladh avec un regard exaspéré. Il était rare que le jeune solitaire se montre quasiment ouvertement excédé, et surtout rare qu’on parvienne à l’ennuyer de la sorte. Le gloussement du corbeau avait toutefois le don de l’irriter comme un crissement aigu de griffes contre un rocher. Le vieux loup rabougri n’était pas fondamentalement agaçant, du moins pas encore, peut-être ; c’étaient surtout les nerfs de V’hallys qui étaient à vif, après avoir passé toute la traversée à ruminer. Il ne l’admettrait évidemment jamais, cela dit ; il était bien plus facile de mettre la faute sur Ladh que de concéder une vulnérabilité. Le fils de Myosotis s’apprêtait à lui répondre par une vilaine pique lorsque le noir enchaîna – ce maudit personnage n’en finissait donc jamais !

« Je ne suis pas du genre à m'intéresser aux états d'âmes des autres, sauf qu'en l'occurrence tes états d'âmes me privent du peu de distraction que je peux avoir. Alors dis moi, mein Freund : pourquoi donc cette amertume ? »

V’hallys referma sa gueule, un tantinet mouché par ce qui s’apparentait presque à du... soucis ? Son habituel sourcil droit s’arqua tres légèrement, et tout soufflé qu’il était par cette question, il en oublia son agacement. Il ne voulait pas répondre, d’ailleurs rien qu’à l’idée de devoir s’expliquer, une boule se formait dans sa gorge – qu’elle aille au diable, cette boule, qu’est-ce que c’était encore que cette histoire ? Il n’allait tout de même pas s’émouvoir de cette damnée rencontre avec Herrade ! Il s’était détourné d’elle, avait bien compris qu’entre eux, rien ne marcherait jamais, que la moindre étincelle d’amitié les consumait immédiatement en un brasier de souffrances – c’était inéluctable, il devait juste l’accepter et pensait d’ailleurs l’avoir fait, alors pourquoi encore et toujours cette ombre de sanglot au fond de sa gorge ?

Insensible aux tourments internes du beau solitaire, lequel essayait plus mal que bien de les ignorer également, Ladh le fixait intensément, ses yeux laiteux cauchemardesques ancrés sur sa silhouette comme sur une proie. V’hallys ne se sentait pas particulièrement menacé mais être scruté de la sorte n’était pas pour autant agréable – il sentait que dans ce regard là, ce n’était pas de l’admiration. Mais il sentait également, derrière cette impérieuse question, que son partenaire ne le lâcherait pas avant d’avoir obtenu ce qu’il cherchait. V’hallys, cela dit, n’était pas moins têtu – hors de question de livrer intégralement ses états d’âme, qui n’en étaient d’ailleurs évidemment pas, puisqu’il avait décidé d’être insensible à ce qui pouvait bien avoir rapport à une certaine louve verte. Prenant un air dépité, le solitaire maugréa comme un adolescent morose :

« C’est une fille, elle... je... »

Bégayant, cherchant ses mots, V’hallys eut envie de se gifler. Ce n’était même pas de la comédie, son cerveau s’était subitement éteint lorsqu’il avait cherché à décrire la situation à Ladh – un désert cérébral. Il se sentit rougir, et mis cela sur le dos de son embarras a avoir ainsi balbutié. Elles étaient loin, son habituelle éloquence et sa coutumière assurance ! Se flagellant mentalement, outré d’ainsi se laisser aller à des égarements oratoires, il redressa la tête, les lèvres pincées, dans une attitude distanciée, vexée, et reprit avec aplomb comme si de rien n’était :

« C’est une amie d’enfance que j’avais perdue de vue, et nos retrouvailles ne se sont pas très bien passées, voilà tout. »

Détournant la tête comme pour signifier que le sujet était clos, V’hallys s’ébroua, évaluant ensuite la plage environnante. Elle était jolie, en soi, mais il ne parvenait pas à apprécier le paysage, fait de roches orangées auxquelles la nuit et la lune donnaient des couleurs sombres aux sous-tons écarlates. S’il n’en avait tenu qu’à lui, il serait resté ici, au niveau de la mer, allongé sur la plage à observer les étoiles et se perdre dans les profondeurs célestes nocturnes. V’hallys songea, comme souvent lorsqu’il se sentait démuni, à sa mère, son phare dans les tempêtes ; il songea aux conquêtes chevaleresques qu’elle lui contait pour le bercer dans les bras de Morphée ; il songea aussi à la force incroyable qui l’avait animée durant sa vie, force dont il se sentait l’héritier. Puisant dans ce sentiment de force et dans sa volonté de la rendre fière, d’être digne d’elle, de faire mieux encore, il se sentit revigoré. Humant les effluves salées qui les berçaient depuis le début de leur épopée, il ferma les yeux, savourant le bruit régulier des vagues qui s’agrippaient à la terre ferme. La flamme intérieure brûlait à nouveau.

« Camarade, il semblerait que notre ascension doive reprendre. Tu pourrais peut-être nous refaire ton petit tour de magie de la dernière fois ? »

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V'hallys x Nachtgewalt

Ladh avait suivi le regard de V’hallys, longeant les rochers qui les surplombaient. Bien que semblables à ceux qui avaient fait de leur ascension sur la première île un calvaire, ceux-là avaient au moins le mérite de ne pas être décorés de ronces ou d’ajoncs. L’inépuisable suffisance de son compagnon de route s’était une nouvelle fois illustrée : un haussement d’épaule, un rictus carnassier, quelques mots prétentieux ; un bruissement de ténèbres, un estomac retourné et une nausée soudaine pour V’hallys, et ils étaient subitement plusieurs mètres au-dessus de là où ils s’étaient tenus un instant auparavant. Essayant de contenir son envie de cracher de la bile, conservant tant bien que mal son équilibre – oh, comme il aurait aimé s’allonger rien qu’un instant, le temps de retrouver son équilibre – V’hallys grimaça un sourire de remerciement. La corniche où ils se trouvaient à présent offrait un point d’observation bien plus appréciable.

Alors que ses yeux étaient encore fixés sur la plage en contrebas, dont la couleur orangée ressortait malgré la nuit, à la faveur de la lune, dans une vaine tentative d’empêcher le monde de tanguer de gauche à droite, V’hallys sentit le regard de Ladh chercher le sien. Le corbeau souriait largement, dévoilant des crocs qui auraient effrayé les petits enfants. Plus intéressant que la dentition de son compagnon, toutefois, celui-ci désignait un point en altitude.

« Si j'étais une créature toute puissante prétendument nommée "Chimère", avec probablement un ego surdimensionné et une apparence délirante, je viserais de la hauteur pour me cacher... Tu ne crois pas ? »

V’hallys acquiesça sans sourire, déglutissant péniblement. Il semblait décidément que plus Ladh usait de ses tours de passe-passe avec lui, plus il avait du mal à s’en remettre. Néanmoins, celui-ci marquait un point pertinent : effectivement, une construction en hauteur surplombait l’horizon de l’île ; et effectivement, c’était sans nul doute leur seule piste concernant la fameuse Chimère. Étonnamment, cela ne faisait pas trop de mal à l’ego du solitaire d’admettre que son compagnon avait raison. Au fil des heures et de leurs péripéties, il avait su se montrer un camarade utile, efficace et même parfois agréable ; en outre, il lui reconnaissait une certaine forme de légitimité à parfois prendre les devants, comme si son âge plus avancé – les yeux presque enfantins de V’hallys le voyaient comme un ancêtre, même si ce n’était probablement pas le cas – était gage de sagesse.

Se sentant plus sûr de lui et moins ballonné, le solitaire s’avança de quelques pas vers la paroi, examinant attentivement les rochers. Ladh leur avait fait passer la partie la plus pentue, celle qui s’offrait maintenant à leur escalade manuelle était plus praticable. Jetant un coup d’œil à son compagnon, V’hallys lui désigna les rochers d’un coup de tête.

« On va devoir passer par là pour sortir cette insolente Chimère de son trou. Par rapport à ce qu’on a affronté sur l’autre île, ces rochers me semblent plus faciles. »

Un petit sourire s’étala sur les lèvres de V’hallys. Il n’était pas absolument certain de ce qu’il avançait, mais c’était toujours plus agréable d’être optimiste… surtout vu les efforts qu’ils allaient de nouveau devoir fournir. Si au début de leur périple, il se fichait éperdument d’aider Ladh, il culpabilisait presque de ne pouvoir offrir à Ladh les services de son don, comme lui l’avait fait. Secouant la tête pour chasser ces pensées inutiles pour l’instant, il s’exclama à la cantonade :

« C’est quand même dingue – si j’avais le pouvoir de cette Chimère, ce n’est pas dans ces fichues îles que je serais planqué… Déjà, j’essayerais probablement de retrouver ma famille, histoire de narguer mon frère et ma sœur. »

Ayant avisé son prochain point d’arrêt, il sauta agilement sur le premier gros rocher à sa portée, faisant fi de la hauteur à laquelle il se trouvait désormais – il n’avait jamais été froussard, ce n’était pas aujourd’hui qu’il allait mettre sa témérité au placard. Au contraire, il était comme drogué au sentiment d’invincibilité amené par l’adrénaline, qui irriguait à nouveau ses veines. Jetant un coup d’œil derrière lui, à Ladh, il ajouta, curieux :

« En parlant de famille, qui sont ceux qui ont l’infortune de devoir te supporter au quotidien ? »

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V'hallys x Nachtgewalt

Ladh sembla surpris qu’il ose le questionner de la sorte ; au regard calculateur et un brin offensé du corbeau, V’hallys opposa un sourire insolent et des sourcils arqués, dans l’attente de la réponse. Leurs aventures duraient déjà depuis un certain temps et les causeries sur le beau temps et leur dédain mutuel pour Seira s’épuisait, parler de choses plus profondes aurait du bon ; en outre, le fils de Myosotis était sincèrement curieux du passé et de la personnalité de son compagnon de route. D’aucuns auraient trouvé cela étrange, que V’hallys s’intéresse à autrui pour autre chose que son intérêt personnel ; mais le solitaire n’était pas toujours cette caricature d’ego et de manipulation, et se révélait – à de rares moments, certes, mais d’autant plus précieux pour cette raison – être un loup bienveillant lorsqu’il ne laissait pas l’enveloppe insensible dénaturer sa gentillesse.

Son compagnon grimpa à sa hauteur, ses étranges membres s’articulant difficilement pour permettre son ascension. V’hallys observait cette mécanique, presque fasciné, mais veillant bien à conserver une expression neutre pour ne pas froisser Ladh, dont il avait saisi, presque inconsciemment, qu’il était de ceux qu’il ne vaut mieux pas heurter.

« Passons un marché, mein Freund. Je répondrais à tes questions si tu réponds aux miennes. Vois cela comme...un jeu ! En guise de bonne foi, je vais te donner une réponse succincte : j'ai eu des frères et soeurs moi aussi, il y a très, très longtemps. Bien avant d'avoir cette apparence aviaire. »

Ladh ne s’en doutait probablement pas – quoique, il semblait clairvoyant, et certains côtés de V’hallys n’étaient pas si durs à déchiffrer – mais rien n’aurait pu amuser plus le jeune solitaire que ce petit marché. Son goût pour le jeu, la soif de défi et de difficultés à relever seraient ici comblées ; il se lassait du challenge purement physique que constituait l’escalade de ces deux dernières nuits, et n’allait certainement pas laisser passer cette chance de pimenter leur aventure. Ce serait l’occasion idéale pour s’exercer à l’oral – il lui faudrait aussi bien laisser filtrer le moins d’informations possibles, mais tout de même suffisamment pour contenter son compagnon, que chercher à en obtenir un maximum – et surtout déchiffrer les mots de Ladh, qui jouait volontairement sur le côté sibyllin. Laissant un sourire presque carnassier s’étaler sur ses lèvres, V’hallys hocha la tête.

« Nous avons un marché, camarade. Aucune limite dans les questions, mais si tu ne réponds pas aux miennes, je ne répondrai pas aux tiennes non plus. »

C’était plus que juste, d’autant que rien dans ces mots n’exigeait que l’un comme l’autre dise la vérité. Ce serait une question d’honnêteté, peut-être même de confiance ; V’hallys ne se projetait pas encore assez pour savoir ce qu’il accepterait de révéler – et ce qu’il préférerait garder par-devers lui. Cela dépendrait sans doute des questions, et de son instinct sur le moment ; le calculateur solitaire se laisserait pour cette fois porter par ses affects.

« Tu n’as donc pas toujours eu cette apparence ? Quelle est donc l’histoire derrière ce visage de corbeau ? »

Maintenant qu’il venait de lui poser cette question, des milliers d’autres venaient le tarauder. C’était comme si un barrage venait de céder ; l’indifférence qu’il avait eue pour Ladh au cours du voyage venait de s’effriter, et maintenant qu’il le connaissait un peu, il avait soif d’en savoir davantage sur l’étonnant personnage que le destin avait mené à lui.

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V'hallys x Nachtgewalt

« J'ai été maudit par la lune et cette dernière m'a pourvu de cette splendide apparence. C'était le prix à payer pour une vengeance d'autrefois. »

Ainsi donc, cette apparence cauchemardesque relevait de la malédiction. V’hallys n’haussa même pas les sourcils, mimique qu’il affectionnait pourtant inconsciemment : ce n’était pas tellement surprenant qu’une quelconque magie mystique et lunaire ait été impliquée… Un combat ne défigurait pas un loup de la sorte. Il voulait bien croire Ladh en ce qui concernait donc cette imprécation. En revanche, il s’était bien abstenu de donner des détails ; une vengeance, donc… Le jeune solitaire n’était pas certain de vouloir creuser le sujet ; il savait pertinemment le poids que pouvait avoir le passé, et s’agaçait parfois du rôle crucial que certains lui faisaient jouer ; dans certaines nuits sombres et brumeuses, il se laissait même parfois aller à se demander ce que sa vie aurait été s’il n’avait pas été le fils de Myosotis, s’il n’avait pas porté cette étiquette, cet héritage, qui aurait pu faire de lui un prince mais que le destin avait transformé, lui aussi, en malédiction.

Lorsque Ladh le questionna sur sa fratrie, V’hallys senti un petit pincement au cœur ; voilà longtemps qu’on ne l’avait pas interrogé à ce sujet – mais R’hllor et Cersei occupaient souvent ses pensées. Ils étaient partis l’un après l’autre, quittant le cocon familial sans jeter un regard en arrière, avec une désinvolture qui avait presque blessé leur frère aîné, lui qui était si attaché à leur mère. Jamais il ne les avait revus, même si des bruits couraient pour chacun d’eux : lorsqu’il avait revu Herrade pour la première fois, elle lui parlé de R’hllor, du coup d’état qu’il avait intenté contre Seira, creusant un peu plus profond encore la tombe de disgrâce dans laquelle l’Alpha printanière avait décidé de jeter ceux du sang de Myosotis. V’hallys n’avait pas eu le temps de s’épancher sur cette histoire, manquant cruellement d’informations, mais il en voulait à son frère d’avoir ainsi participé à cette vile entreprise. Quant à Cersei, il n’avait entendu que les rumeurs portées par le vent, à l’image de sa sœur, qui semblait vagabonder par-delà les contrées claniques, en quête de quelque chose de différent du modèle qui avait tant fait de tort à leur mère et à d’autres.

Continuant à grimper les rochers, ses muscles secs roulant avec facilité sous sa peau mais l’effort se faisant peu à peu ressentir, V’hallys regarda Ladh, qui escaladait à ses côtés. Il n’était pas resté silencieux longtemps ; seulement le temps qu’aurait pris un éclair de souvenirs d’enfance. Stoppant brièvement son ascension pour retrouver son souffle et pouvoir répondre sans haleter, le jeune solitaire aux dreads violettes répondit :

« Mon frère se nomme R’hllor, peut-être as-tu entendu parler de lui… Il ne s’est pas fait la meilleure réputation au Printemps, et par là-même il a sali la mienne », ajouta-t-il en grimaçant. « C’était il y a de cela quelques lunes, je crois… »

Tâchant de se remémorer ce qu’Herrade lui avait dit, il ne parvint pas à se souvenir si elle lui avait dit quand exactement. Les repères temporels semblaient toujours flous en ce qui concernait son frère, qui avait toujours été adepte de ce petit jeu d’apparition et disparition, de se faire oublier pour ensuite mieux revenir quelques temps plus tard. Une chose était sûre, il y avait longtemps qu’on n’avait plus revu le cadet de V’hallys, et il n’était pas certain de vouloir que cela présage un prochain retour, au vu des derniers actes de R’hllor.

« Cersei – c’est ma sœur – est tout aussi volatile, mais telle que je la connais, elle ne compte pas revenir au Printemps. Elle a toujours été au-dessus de ce petit jeu des clans. »

Il eut un petit rire. Petit jeu des clans, c’était une expression typique de sa petite sœur. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas eu une de leurs conversations philosophiques qu’il affectionnait tant, mais se souvenait précisément de certaines de ses tirades passionnées sur sa vision du monde – monde que ni lui ni elle ne connaissaient alors, et elle brûlait, peut-être encore plus que lui, de le découvrir. Elle était partie peu après l’un de ces échanges nocturnes, et V’hallys se languissait du jour où il la reverrait – il avait hâte de voir ce qu’elle était devenue, hâte de voir comment ses projets de monde nouveau avançaient, si sa conquête idéologique se déroulait comme dans ses rêves. Reportant son attention sur Ladh, il grimpa quelques rochers supplémentaires, gagnant en hauteur. Plissant les yeux d’un air joueur, il n’en posa pas moins une question dont la réponse l’intéressait sincèrement :

« Mon tour… Tu m’as dit que tu n’étais pas en très bon termes avec Seira, si mes souvenirs sont exacts. Que s’est-il passé entre vous ? »

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V'hallys x Nachtgewalt

« Ah Junger Prinz, cela n'a rien d'une histoire aussi palpitante que tu ne le penses. Il s'avère simplement que je faisais partie des troupes que le renégat Nachtgewalt a recruté et auxquelles Seira s'est opposée. Lors de la bataille, j'ai également été responsable de certaines de ses cicatrices, et elle des miennes. Disons que cela n'a pas vraiment contribué à une affection commune. »

V’hallys stoppa son ascension lorsqu’il entendit le nom de Nachtgewalt ; ce n’était pas la première fois que ce nom résonnait à ses oreilles, et il le savait de mauvais augure. Malgré tout, le jeune solitaire n’avait jamais eu la fortune de se faire conter l’histoire d’un point de vue printanier, pas plus que du point de vue des renégats ; tout ce qu’il avait jamais pu savoir, c’était qu’un violent affrontement avait eu lieu en terres printanières. Au final, le fils de Myosotis se rendait compte qu’il en savait bien peu sur les détails de ce conflit qui avait durablement marqué son clan natal. Les cicatrices de son compagnon de route faisaient peur à voir et témoignaient de la brutalité des combats – V’hallys sentit son cœur se serrer à l’idée des Printaniers qui avaient dû verser leur sang dans cette énième guerre.

« En parlant de Nachtgewalt : que sais-tu des évènements récents et quel est ton avis sur la question ? Toi qui aimes tant le Printemps et apprécie si peu Seira doit forcément avoir ton mot à dire, non ? »

Le jeune loup aux dreads violettes hocha la tête, songeur ; Ladh se trouvait en amont de lui et semblait avoir trouvé un endroit où se poser. En quelques bonds, il le rejoint, découvrant avec plaisir une étendue rase et plane. V’hallys contempla la vaste plaine qu’ils venaient d’atteindre, après de longues et pénibles minutes d’escalade ; ce n’était pas encore là que se situait la base du bâtiment qui portait la tour, mais c’était une petite victoire. La végétation était sèche, comme souvent en bord de mer, mais moins hostile que les ronces qui avaient entravé leur progression sur la dernière île. Tournant les yeux vers le corbeau, V’hallys lui sourit, heureux de cette avancée, et répondit :

« Les derniers affrontements ont eu lieu à l’aube de mon retour, je crois ; tout ce que je sais, c’est que Nachtgewalt mettait en péril la paix entre les clans, et que cela les a amenés à s’unir pour le battre. »

V’hallys eut un rictus amer ; il était bien ironique que l’union sacrée des clans, pensée et voulue pour présenter un front uni au renégat LibreLune, ait été brisée par les clans eux-mêmes peu après, par une idiote querelle entre le Printemps et l’Automne. Nachtgewalt avait peut-être été à l’origine d’un conflit très meurtrier mais il n’avait été qu’une poussière dans l’œil des dirigeants, qui avaient tôt fait, une fois sa menace plus ou moins évacuée, de trouver d’autres motifs à des guerres insidieuses. Il n’en voulait pas à Seira d’avoir mené son clan à la confrontation avec Nachtgewalt ; il comprenait – et trouvait nobles – ces motivations, cette volonté d’union dans la lutte, et ne pouvait que reconnaître que l’Alpha elle-même en avait payé le prix, semble-t-il. Néanmoins, s’il se devait, en toute honnêteté, de concéder le bien-fondé de cette idée, il ressentait de l’écœurement lorsqu’il songeait aux évènements qui avaient suivi. Nachtgewalt avait été un épisode terrible pour tous les clans, les poussant dans leurs retranchements et utilisant leurs faiblesses, mais chaque dirigeant, avec toute la responsabilité qui leur incombait, avait eu la possibilité de tirer le meilleur de cette expérience. Preuve en étant le front clanique qui s’était uni – tout cela pour quoi ? Pour retourner à de vaines querelles de bas-étage quelques semaines plus tard, alors que les blessures saignaient encore et que les cadavres étaient encore chauds. Voilà ce qu’il pouvait reprocher à Seira, de ne pas avoir appris et de refuser d’apprendre, s’enfonçant encore et toujours dans une logique guerrière absurde. Faire la guerre n’était pas ce qu’on pouvait lui reprocher – cela, V’hallys le trouvait normal, il estimait la guerre nécessaire dans certains cas – mais avoir voulu, sciemment, mener son clan encore exsangue à un nouvel affrontement avec l’Automne, cela on pouvait le critiquer.

« J’ai trouvé noble de la part de Seira de s’allier à d’autres clans pour vaincre le renégat, même si c’était aussi dans son intérêt propre. Ma reconnaissance à son égard s’arrête là – elle s’est ensuite enfoncée, je crois, dans une logique vengeresse absurde et personnelle, et elle a failli emmener son clan entier dans une guerre avec l’Automne qui n’avait pas lieu d’être. Et le fait que cette guerre n’ait pas eu lieu n’est même pas du fait de Seira, mais de ceux qui ont eu le courage de contester ses ordres. »

Lançant un regard éloquent à Ladh, V’hallys avança de quelques pas, s’éloignant du vide derrière lui. Marcher ainsi lentement était d’un repos des plus bienvenus pour ses muscles fatigués ; au loin dans la nuit se profilait la tour, silhouette vertigineuse, dont on ne pouvait dire si elle était de bon ou de mauvais augure. La lune illuminait l’une de ses façades, éclairant des larges pierres d’un autre temps. V’hallys sentit une vague d’excitation l’envahir à la vue de ce bâtiment prometteur, dont ils se rapprochaient lentement mais sûrement. Tournant la tête vers Ladh, il posa une question qui le surprit presque lui-même :

« Tu n’aimes pas Seira, certes. Mais qu’est-ce qui te fait croire que je serais un meilleur Alpha qu’elle pour le Printemps ? »

Car, après tout, c’était là le nœud du problème, la racine de tous les maux qu’il imputait aux politiques menées : lui-même voyait en Seira une piètre dirigeante, qui avait fondé la légitimité de son règne sur la destruction de la réputation de sa prédécesseur. Mais la partie rationnelle en lui savait aussi que cela ne sautait pas aux yeux pour n’importe quel autre spectateur extérieur, et il était sincèrement curieux de savoir ce que son compagnon de voyage pouvait voir en lui de positif. Non qu’il cherchât une quelconque validation, mais V’hallys redoutait surtout qu’on estime ses qualités strictement en raison de son sang et de son ascendance, et non en raison de ce qu’il était réellement – un loup ambitieux, raisonné, infiniment dévoué et aimant de son clan, même après des années de rejet et de bannissement.

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V'hallys x Nachtgewalt

Sous le ciel étoilé dont ils se sentaient peut-être un peu plus proches que d’habitude, ainsi postés en hauteur, Ladh lui conta une histoire étrange. Il n’avait pas répondu directement à sa question, et bien qu’il en fût brièvement contrarié au début, V’hallys accepta sa pirouette – les métaphores avaient parfois du bon, il s’attendait à entendre une fable à la morale éclairante et peut-être révélatrice de l’avis de son compagnon de route. Lorsque Ladh lui saisit l’épaule, sans affection mais sans animosité l’épaule, le jeune loup haussa un sourcil mais accepta sans broncher ce contact. S’asseyant dans l’herbe, il légèrement pencha sa tête de côté, attentif.

Ladh entama son récit et, si V’hallys crut au début voir où il voulait en venir – la comtesse devait sans doute représenter Seira, n’est-ce pas ? – il réalisa bien vite que le message sous-jacent était un peu plus profond… et compliqué. Il trouva joli l’idée d’une louve qui était l’abîme sacrificiel de son peuple, capable de les soulager de leurs troubles quitte à en souffrir elle-même. Mais lorsque Ladh en vint au passage concernant le fils de la comtesse, le regard de V’hallys se troubla et il eût bien du mal à voir en quoi cette partie de l’histoire était pertinente, même si cela devait être le cas, pour que le pas très bavard Ladh prenne la peine de la conter. La morale était belle et bien formulée, les mots s’entrechoquaient quelque peu au point de diluer leur sens pour toute oreille inattentive, mais le jeune solitaire s’accrocha à eux jusqu’à en extraire l’essence sémantique. « Ne faites pas ce que vous ne pourrez défaire avant de bien songer à ce que vous ne pourrez plus faire une fois que vous l’aurez fait. » V’hallys eut une petite moue dubitative, non pas face au sens même de cette maxime, qu’il approuvait maintenant qu’il sentait en avoir compris la signification. Mais il ne voyait toujours pas où Ladh voulait en venir avec cette petite histoire ; si le corbeau lui révélait qu’il voyait en Seira la comtesse, il serait bien déçu.

Mais avant que V’hallys ne puisse s’emporter dans l’intimité de son esprit et pester contre cette belle fable glorifiant peut-être une Alpha qu’il ne jugeait absolument pas digne d’une telle association, Ladh reprit :

« Ces dernières paroles, selon moi, reflètent ce que l'on doit attendre d'un véritable meneur : une impartialité réfléchie, qui ne s'encombre pas de sentimentalisme, capable de réserver son pardon envers ceux qui ont causé les pires souffrances si ces derniers peuvent apporter les plus grands bienfaits au clan. Seira n'en est pas capable. C'est une excellente tacticienne, dénuée de la pitié pathétique de la plupart, je lui accorde cela. Mais la colère et la haine lui font faire des choses sur lesquelles elle ne peut plus revenir. Des choses qui non seulement ne lui profitent pas, mais qui ne profitent pas non plus à son clan. » Le noiraud fit une brève pause et V’hallys échangea un regard éloquent avec lui. « Je ne sais pas si tu présentes ces qualités, Junger Prinz. Mais ce que je sais, du peu que nous ayons parlé, c'est que tu es capable de te remettre en cause si ce n'est pas le cas, pour la simple et bonne raison que seuls l'honneur et le patriotisme te guident. Ça me suffit à penser que sur tous les points, tu es meilleur que Seira. »

Les yeux violines de V’hallys avaient cillé aux compliments de son compagnon ; il ne savait pas pourquoi il avait été touché de la sorte. Après tout, il aimait être complimenté et savait habituellement se montrer d’un flegme presque insolent face aux éloges ; mais c’était différent cette fois, comme lorsqu’il recevait des félicitations maternelles. Il ne connaissait pas Ladh depuis bien longtemps, mais V’hallys ne faisait pas vraiment cas de ces normes absurdes, qui voulaient que l’on connût quelqu’un depuis un certain minimum de mois ou années pour le qualifier d’ami ou plus encore – il considérait que l’intensité d’un lien pouvait aussi et surtout s’estimer à l’expérience vécue en commun ou la simple connexion inexplicable entre deux âmes. Et il devait bien reconnaître que, malgré toutes leurs différences, qui n’étaient certainement pas des moindres ni négligeables, ils avaient partagé – et partageaient encore – cette formidable expédition, ainsi que des moments de confidences qu’aucun loup, en dehors de son strict cercle familial, n’avaient entendues. En outre, ces compliments n’étaient pas du ressort du superficiel, comme lorsqu’on lui faisait l’ode de sa beauté ; ce que Ladh venait de lui dire avait une valeur bien plus importante, puisque cela touchait précisément les insécurités du jeune solitaire. Lorsqu’il lui tapota l’épaule avant de le lâcher et de reprendre sa route, V’hallys voulut dire quelque chose, mais il se trouva pris de court, démuni face à cette confiance naissante entre eux qu’il n’avait pas prévue.

Alors il se contenta de se remettre en marche lui aussi, le cœur un peu réchauffé, quoiqu’il ne fît pas très attention à ce que cela pouvait signifier. C’était simplement agréable de se sentir ainsi rasséréné, au milieu des tourbillons de tourments qui l’assaillaient parfois, surtout face à la montagne d’épreuves qui se profilait par devant lui – et ce n’était pas seulement à l’ascension de l’île qu’il pensait.

Ils cheminèrent quelques temps en silence, l’esprit de V’hallys encore occupé à décortiquer la fable et l’analyse de Ladh ; son cœur criait merci mais il se contentait d’afficher un faciès satisfait, serein. Trottinant pour regagner la hauteur du corbeau, il lui fit un sourire de remerciement.

« Si les dieux font que le règne de Seira touche un jour à sa fin et que je prends sa suite, j’espère que tu seras dans le coin pour voir si je suis à la hauteur de tes espérances », lança-t-il avec une insolence bon-enfant.

Il espérait surtout être à la hauteur des siennes, pour à la fois honorer son héritage familial et sortir sa mère de l’ignominie à laquelle elle avait été condamnée, mais surtout pour réussir en même temps à s’affranchir de cette pression qu’exerçait son ascendance sur lui, cette idée qu’il devait faire au moins aussi bien, sinon mieux que Myosotis. Il ne pouvait que rêver, pour l’instant, de cet instant où il aurait enfin fait ses preuves ; il se disait tout naturellement qu’à partir de là, sa vie basculerait pour le meilleur, qu’il pourrait enfin songer à autre chose, à d’autres accomplissements. Ce moment serait un point de non-retour, le début de sa nouvelle vie. Et si le destin ne faisait pas du Printemps le lieu de cet accomplissement, V’hallys le chercherait ailleurs ; il aimait sa patrie plus que tout au monde mais fermait pas ses horizons. La seule donnée invariable dans ce que serait sa vie, c’était ce besoin de s’affranchir du poids familial. Mais il aimait aussi à envisager sa complétude sous d’autres angles. Humant l’air avec une énergie renouvelée, il laissa les senteurs marines envahir ses narines et ses poumons.

« Et s’il s’avère que le Printemps ne veut pas de moi, ainsi soit-il ; ce monde est vaste, nous sommes en train de le prouver… » Il fit une pause, son sourire s’élargissant ; pivotant sur lui-même, il embrassa du regard la ligne d’horizon qu’il pouvait pratiquement voir sans discontinuer. « Il faudra bien quelqu’un pour continuer d’explorer. »

Explorateur… C’était une perspective ô combien tentante ! À dire vrai, c’était un peu ce à quoi il s’était livré ces dernières semaines, vagabondant sur les terres four seasoniennes qui étaient totalement nouvelles pour lui. Il avait découvert ce monde qui était déjà connu pour tant d’autres, et il avait aimé ça avec chacune des fibres de son être ; et voilà qu’il remettait ça à présent, avec des horizons vierges de toute trace lupine. Et il continuait à aimer cette aventure inattendue – malgré, ou peut-être grâce à, cet étonnant compagnon de route.

« Je songe bien à quelques questions pour toi, mon ami, mais je crains que ce ne soit ton tour… Et ce n’est pas mon genre de tricher », ajouta-t-il avec malice.

For the devil has no power...
except in the dark

V'hallys x Nachtgewalt

« Puisque je t'ai tant parlé, il est temps que tu utilises un peu de ta salive à ton tour, mein Freund ! Dis-moi donc : si tu avais le pouvoir de tout faire, le pouvoir d'exaucer n'importe lequel de tes vœux, qu'en ferais-tu ? »

La question de Ladh s’était accompagnée d’un clin d’œil et d’un regard tout aussi brillant qu’indéchiffrable. Ces paroles laissèrent V’hallys songeur ; il avait déjà eu l’opportunité de réfléchir à ce qu’il ferait s’il accédait à la Chimère, puisque c’était après tout le but de toute cette expédition, ce pour quoi ils suaient sang et eau depuis deux jours. Il supposait que si la Chimère était réelle, il aurait à exaucer un vœu. Mais quel vœu ?

Il avait beau se creuser la tête, lui qui était d’habitude si directif et décidé n’était qu’hésitation. Il craignait les conséquences d’un vœu inconséquent, mais plus encore il ne voulait pas causer de dégâts par l’usage de forces surnaturelles. En outre, il craignait que l’usage d’un vœu aux fins auxquelles il aspirait ne fasse que renforcer le cercle infernal qu’il cherchait à briser : à quoi bon demander de la reconnaissance, du pouvoir, de la réussite si c’était au final un prestige volé, qu’il n’avait pas mérité ? Non, ce n’était pas la bonne solution, pas la carte qu’il devrait jouer – si tant est qu’il accède à la fameuse Chimère…

Ses pensées se tournèrent vers Seira et le Printemps, comme bien souvent en ces temps. S’il ne voulait pas influer sur le cours direct des choses, il pouvait bien choisir de s’armer de la meilleure des manières possibles – ce serait là un vœu à la fois astucieux sans pour autant être irréfléchi. Il mit un certain temps à répondre ; il ne craignait pas le jugement de Ladh – il avait acquis une certaine aisance à lui parler – mais hésitait sur la manière de formuler ces paramètres à prendre en compte.

« J’imagine que la réponse facile serait de demander la chute de Seira, si ce n’est pas sa tête, mais… Mais les choses ne sont jamais aussi simples. Je ne veux pas être un énième usurpateur coupable de régicide. »

Sa voix s’était raffermie sur la fin de sa réponse ; il pouvait au moins s’accrocher à cette certitude, celle de ne pas être revenu en terres printanières en quête de sang. Non, c’était autre chose qu’il recherchait, et mettre un terme à la vie ou au règne de Seira, qui plus est par une magie étrange, n’aiderait en rien. En revanche…

« Mais s’il existait un moyen de l’influencer, d’effacer ces années où mon nom a été injustement sali, d’ouvrir les esprits et les cœurs et d’empêcher cet endoctrinement voulu par Seira… »

Il ne termina pas sa phrase, laissant son regard dévier vers la ligne d’horizon tandis qu’il continuait à avancer en direction de la tour qui perçait le ciel nocturne. Lorsqu’on ouvrait le champ des possibles à ce qui est de l’ordre de l’impossible, l’esprit se perdait dans des vagabondages étonnants – et parfois néfastes. Il se mentirait à lui-même s’il ne s’avouait pas avoir songé à autre chose, de bien plus altruiste et désintéressé – comme demander à ce que Seira perde de son côté sanguin, et devienne une Alpha moins prompte à des actes dangereux et irréfléchis pour son clan. Et si une partie de V’hallys – cette partie qui aimait le Printemps plus que tout, plus que lui-même – imaginait sans problème les bienfaits d’un tel hypothétique vœu, l’autre partie en lui rejetait cette idée. Il fallait être sot pour ne pas voir tous les avantages à venir s’opposer à une Alpha colérique et malavisée, prompte à commettre des erreurs fatales – quelle légitimité aurait-il à venir troubler un clan à la tête duquel se trouvait un leader calme et réfléchi ? Il était incapable de résoudre ce conflit qui l’animait, son amour pour sa patrie se disputant irrémédiablement à son besoin de faire ses preuves.

Il offrit un sourire hésitant à son compagnon en même temps qu’il tournait à nouveau son regard vers lui. Lorsqu’il constata que le sol agréablement plat qu’ils foulaient depuis quelques minutes reprenait un peu de pente, il leva les yeux en hauteur. D’ici quelques dizaines de mètres, le terrain serait de nouveau escarpé et plus difficile à gravir. Fronçant les sourcils, V’hallys songea à la nouvelle escalade qui se profilait s’ils ne trouvaient pas un sentier plus doux – ce qui était assez peu probable, étant donné qu’ils étaient sans nul doute les premiers à fouler l’île…

« Avant de reprendre notre charmante grimpée, laisse-moi te retourner la question, » reprit-il d’un ton enjoué. « Si je n’étais pas dans le tableau et que la Chimère était soumise à tes plus sombres désirs, qu’en ferais-tu ? »