Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

C'était une matinée brumeuse comme Lysandre les appréciait. Contrairement aux journées ensoleillées, la forêt semblait conserver son mystère derrière une nappe de brume, comme si elle tentait de dissimuler certains de ses secrets les plus inavouables. Du moins, c'était ce que Oilef n'avait de cesse de répéter. Oilef...C'était une des voix que Lysandre entendait parfois, si bien qu'il lui avait donné un nom. Sa voix, stridente, aimait raconter d'anciennes légendes à son oreille les jours pluvieux, souvent sombres et  porteuses de douteuses morales. Mère était convaincue que cela n'était due qu'à son imagination fertile d'enfant, mais Lysandre, malgré son jeune âge, commençait déjà à en douter. Dans tous les cas, en cette matinée brumeuse, le jeune louveteau était bien incapable de trouver le sommeil. Il était encore trop tôt pour qu'il aille se balader avec son père, comme ce dernier le lui avait promis, mais Lysandre songea qu'il pouvait toujours aller se dégourdir les pattes autour du camp. Peut-être cela allait-il même faire taire Oilef, pour une fois.

S'étirant avec un petit grognement, la louveteau trottina hors de la chaleur de la tanière de son père. Andracée dormait toujours, mais Mère et Père n'étaient pas là - ils étaient souvent absents depuis que Dyani avait été enlevé. Lysandre avait toujours été plus proche de sa sœur que de ce frère absent, si bien qu'il commençait déjà à oublier certains détails de son visage. Cela le rendait triste, en un sens, mais Lysandre voyait bien que sa mère s'efforçait de rester forte, même si son père se montrait bien plus impulsif. C'est pourquoi, comme Mère, Lysandre s'efforçait à rester impassible. Mais ce jour là, c'était plus facile que les autres jours, peut-être à cause de l'ambiance mystique causée par la brume : pour une fois, Lysandre se sentait bien.

D'un pas vif, il gambada jusqu'à l'orée du camp, s'ébrouant souvent tant l'humidité poissait son pelage. L'air était frais, et une délicate odeur d'humus flottait dans l'air, agréable par sa familiarité. Cela rafraichissait les idées du jeune prince automnal, qui n'entendait presque plus les murmures auxquels il était familier. Cela ne l'empêcha pas, cependant, de sursauter en avisant une petite silhouette s'agiter plus loin dans les bois, plus à l'écart du camp. Il se dressa, secouant tête pour écarter les mêches dorées qui tenaient mal sur sa courte queue de cheva faite à la va-vite, et reconnut alors la chevelure flamboyante de Keridwen, dont Andracée lui avait déjà parlée. Elle s'éloignait - apparemment seule - vers le Champs Orangé. C'était assez loin du camp, et Lysandre n'était pas autorisé à y aller seul. Mais Keridwen non plus, et elle y allait pourtant...Le louveteau plissa les yeux et les babines, en un rictus songeur. Il était du devoir de Lysandre de lui demander de revenir vers le camp. Cette pensée sonna comme une certitude, si bien qu'après une légère hésitation, le louveteau s'engagea donc  à sa suite.

Lorsqu'enfin il la rattrapa de son pas encore pataud, il haletait, ses pattes blanches rendues boueuses par le sol humide. La fille reniflait le sol couvert de milliers de feuilles mortes, en quête apparente de quelque chose, mais la tâche ne semblait pas la réjouir.

-Keridwen...? haleta Lysandre en sa direction.

Il tiqua et rougit légèrement en songeant que Mère serait contrariée de le voir si mal élevé. Il se reprit donc :

-Bonjour Keridwen. Tu ne devrais pas être aussi loin du camp toute seule !

Dans une danse de cheveux rebelles, Keridwen fit volte face vers Lysandre, et plongea ses yeux rosés dans ceux écarlates de son interlocuteur, qui se força à reste droit même si la beauté naissante de la fille le rendait tout maladroit. Pour ses yeux d'enfant, toutes les filles étaient belles, mais le jeune prince, ayant souvent entraperçu la louvette, avait toujours trouvé une grâce en devenir en elle qui correspondait bien aux critères aristocratiques dans lesquels il était élevé. Si Oncle Coatl avait été là, il aurait explosé de son rire tonitruant et l'aurait surement qualifié "d'adorable", qualificatif qui ne plaisait pas du tout à Lysandre. Il n'était pas "adorable" : il était fort, comme Père, et élégant, comme Mère. Et puis les filles, c'est nul : ça se tripote les cheveux tout le temps, ça piaille, et ça n'écoute pas en cours. Andracée en était le parfait exemple - quoique Andracée aurait probablement arraché la tête de son frère si il lui en avait fait la réflexion.

-Je- hem, bonjour, jeune prince, bredouilla alors Keridwen, coupant court aux réflexions du louveteau. C'est que j'ai été missionnée pour mon apprentissage de guérisseuse...

Lysandre cilla, embarrassé. L'idée qu'elle soit en train de travailler ne lui avait même pas traversé l'esprit, chose honteuse pour un prince de l'automne. Il détourna les yeux pour mieux conserver sa contenance, et remua légèrement.

-Ah...dit-il. Je vois...

- Je n'en ai pas pour longtemps de toute façon... Enfin, je crois, reprit la louvette avec un sourire. Et toi, que fais-tu ici prince ?

Lysandre releva la tête, encouragé par le ton naturellement joyeux de son interlocutrice. Cette dernière était un peu plus âgé que sa fratrie et lui, mais le jeune prince se sentait sur un pied d'égalité - ce qui ne devrait en soi pas être le cas puisqu'il était prince, mais cette pensée lui laissa un goût de vanité que Mère tentait de lui faire passer. Il était, en soi, agréable de parler avec d'autres enfants, autre que Pissenlit évidemment.

-Je prenais l'air, répondit humblement Lysandre en lui rendant son sourire, quoique plus réservé. Et puis je t'ai vu, alors je t'ai suivi - je croyais que tu étais seule, et Mère dit qu'il ne faut pas être seul en ce moment.

Il s'interrompit. Il n'avait pas honte de citer Mère comme l'enfant sage qu'il était, mais le jeune prince songeait que cet ordre lui avait été donné juste après l'enlèvement de Dyani. Keridwen devait être au courant, comme tout le monde, bien qu'aucune déclaration officielle n'eût été faite. Cela contrariait un peu Lysandre, mais que pouvait-il y faire ? Il n'était qu'un gosse, et les affaires de sa famille étaient celles de son clan.

-Hum...finit-il par ajouter. Tu veux...Veux-tu que je te laisse seule travailler ? Je ne voudrais pas interrompre ton cours...Je veux dire, ton enseignement.

Parler de manière soutenue lui demandait un énorme travail sur lui-même, mais Lysandre était plutôt fier de sa phrase - il se redressa même, retrouvant son assurance de boule de poil en herbe. En revanche, il n'avait pas vraiment envie de laisser la jolie loupiote : un peu de compagnie lui faisait plaisir.

Lysandre fut soulagé de voir Keridwen changer de sujet. Elle lui souriait, le regard pétillant, sans la pitié ni la gêne qu'il avait en horreur.

-Je- tu ne me déranges pas ! répondit-elle alors vivement. Je pense avoir vu quasiment tout ce qu'il y avait à voir ici.

Son regard balaya les lieux, et le jeune prince tenta de faire de même, mais ne vit rien de particulier, si ce n'est quelques feuilles mortes et champignons dont le nom lui échappait. Il n'avait pas vraiment d'intérêt pour la botanique, peut-être que ces feuilles à moitié décomposées étaient d'un quelconque intérêt pour les guérisseurs ? Lysandre retient de justesse une moue désabusée, mais le regard de Keridwen se tournait à nouveau vers lui et il fit en sorte de garder contenance.

-D'ailleurs, si tu le veux bien, heu... tu pourrais m'aider à réviser un petit peu ? S'il te plait ?

Le minois qu'elle lui offrit était si débordant d'innocence et de charme que le pauvre Lysandre ne sut plus où se mettre, complètement pris au dépourvu. Il se sentit rougir et plissa les yeux, son petit museau se rebroussant légèrement, comme pour déchiffrer davantage cette expression qui le mettait en émoi. Comme à son habitude, ses pensées dérivèrent vers des remous bien plus rassurants, à savoir une rationnalité pure et dure qui effaça son trouble à mesure que son statut de prince lui revenait en mémoire. Mère serait épouvantée de le voir si troublé devant une - jolie - fille ! Mais elle le serait davantage si il refusait de prêter main forte à une apprentie de son clan, surtout que si Lysandre pouvait se targuer d'une chose, c'était d'être un excellent élève, le meilleur même !

Cette dernière pensée le remit d'applomb. Lorsque Lysandre reprit la parole, son ton était plus assuré que précédemment, mais son petit corps demeurait raide comme un piquet. Une partie de lui - la plus mature et la plus fière - était extrêmement embarassée par la situation et par son propre comportement, mais une autre partie de lui était enchantée que Keridwen désire passer davantage de temps en sa compagnie. Cela lui changeait des babillages moqueurs d'Andracée, ou de l'absence pesante de Dyani...

-Bien sûr...! finit-il par répondre. Il faut s'entraider entre automnaux et, h-hum...Elèves ! Dis-moi en quoi je peux t'être utile.

Lysandre était conscient qu'il avait mis bien plus de temps à répondre cette question qu'il n'aurait dû, et cela le rembrunit : encore une fois, il cogitait trop ! Qu'il était dur d'être un prince et de devoir faire des décisions de cette importance....