Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Glaciale pourriture

Étrange. Pour une fois, c'était comme si Rage se sentait en adéquation avec l'environnement qui l'entourait. Ces immenses champignons aux couleurs ternes n'étaient pas vraiment pourris, mais ils en avaient franchement l'air ! Et franchement l'odeur, aussi... Pourtant, ce n'était pas celle-ci qui l'avait attiré jusqu'ici, bien qu'il soit content d'avoir trouvé cet endroit bizarre. Ce qui l'avait happé, un peu plus tôt, c'était une délicieuse odeur de sang.

Une délicieuse odeur de sang givré.

Pour n'importe quel béotien ignorant du monde, cette expression ne devait avoir aucun sens, mais pour notre soldat, elle résumait bien les choses. Ce qu'il humait, accompagné de l'alléchante odeur d'un repas, c'était le fumet d'un hivernal, ou peut-être bien, si sa truffe ne lui jouait pas un tour, d'une hivernale. Voilà un long moment qu'il ne l'avait pas vue, alors peut-être était-il en train de se louper complètement et aurait-il une vilaine surprise à l'arrivée, mais il avait envie de croire à ce petit miracle.

Et dire que c'est en pensant un chouïa à elle qu'il était venu en terres neutres ! Disons que c'était surtout la ressemblance avec sa précédente escapade, qui avait été l'occasion d'une belle rencontre, qui l'avait amené à penser à la tueuse. Il avait préféré garder d'elle le souvenir de leur première entrevue plutôt que de la plus récente, dans laquelle ils s'étaient affrontés. Ce qui n'était pas un si mauvais souvenir, mais moins agréable tout de même. A présent, il ne lui restait plus qu'à la trouver parmi ce dédale de champignons puants !

Ce ne fut pas une mince affaire, avec la pénombre qui s'installait et son odorat qui avait décidé de ne finalement plus coopérer. Mais il parvint tout de même dans une clairière étrange - et tout aussi inconnue de sa part que les champignons - au milieu de laquelle trônait un puits. Le printanier jeta un coup d’œil dubitatif sur l'installation, mais très vite son regard doré se détourna pour se poser sur une silhouette étendue un peu plus loin. Un sourire se dessina sur ses babines tandis qu'il marchait dans sa direction.

- Hola, belle Ness. Quel plaisant hasard de se retrouver ici...

Hasard n'était peut-être pas le terme approprié, vu qu'il avait un peu forcé le destin, d'abord en suivant l'odeur de bouffe, puis en se fiant à celle qu'il pensait appartenir à la louve aux magnifiques yeux bleus-rouges. Mais qu'importe, à présent, il était là, elle était là, tout allait bien ! Posant son auguste postérieur à quelque distance de l'hivernale, le soldat se cala le dos contre un champignon, observant Ness les yeux mi-clos, toujours souriant.

- Alors, dis-moi, comment vont les affaires depuis notre dernière entrevue ?

Glaciale pourriture

Ah, ce sourire, cet immense et magnifique sourire qu'elle arborait, qui la rendait irrésistible... Et puis, cette paire d'yeux d'une couleur surréelle, comment ne pas se damner pour un regard comme celui-là ? Hm. Ça faisait décidément bien trop longtemps qu'il n'avait pas pu se repaître avec régal de la silhouette de la tueuse. Il faudrait qu'il tâche de traîner plus souvent dans le coin, histoire qu'ils aient l'occasion de se croiser de temps à autres ! Tandis qu'elle se redressait pour lui répondre, il ne pouvait s'empêcher de sourire, ses yeux dorés luisant doucement dans la pénombre, rivés sur elle.

- Hey Rage. Tu n’imagines même pas à quel point ça va mal. Le vert arqua un sourcil, interloqué, mais elle éclata de rire. Était-elle sérieuse, ou bien..? Je suis obligée d’aller chasser sur les terres de ces foutus estivaux pour nourrir mon clan. Notre gibier a été contaminé par une maladie qui vient de je ne sais où. Je ne suis pas tombée malade pour mon plus grand bonheur, mais je suis condamnée à trainer sur le territoire de mes ennemis où il fait super chaud pour nourrir les autres.

Waaaah okay, elle était sérieuse, ça allait pas fort de son côté. En même temps, il pouvait s'en douter, la maladie, il était au courant ; de loin, mais au courant quand même. Ainsi donc ils avaient été jusqu'à passer un contrat avec l'été... Bigre, ça devait pas être facile. Eux-même étaient en instance d'alliance avec les estivaux, mais les relations n'étaient pas les mêmes avec les hivernaux... Enfin, il était toutefois heureux d'apprendre qu'elle se portait bien.

- Hm, effectivement, l'hiver est pas gâté en ce moment... Pour la chaleur en tout cas, t'es pas la seule à en souffrir. Je déteste ça aussi.

Ainsi, le gibier était en quelques sorte pollué en terres hivernales... Plutôt logique, peut-être qu'on lui en avait déjà parlé, genre Myosotis ou Kronos, mais il l'avait pas réellement imprimé. Il ferait gaffe la prochaine fois qu'il irait se promener là-bas, pour échapper au soleil et à son écrasante torpeur.

- Et comme tu le vois je suis obligée de sortir la nuit pour avoir moins chaud. Je déteste l’été. Bons dieux, ce rire était tellement sexy. Et toi ? Comment vas-tu depuis la dernière fois ?

Le vert se cala un peu mieux contre son étrange dossier végétal - et un peu nauséabond - avant de sourire à nouveau à l'hivernale. Qu'allait-il pouvoir lui raconter de neuf ? C'était quand déjà la dernière fois..? Pour sûr, c'était avant que la bleuet prenne la tête du printemps. En résumé, ça faisait un bail, et il avait dû se passer un tas de choses. Il pouvait bien essayer de s'en remémorer une ou deux !

- Bah, après tout, les sorties nocturnes c'est pas mal aussi, ça donne une atmosphère sympa à certaines rencontres... Son sourire s'élargit et il plissa légèrement les yeux. En c'qui me concerne, j'ai eu l'impression de prendre un coup de vieux quand on m'a relégué à la formation de la marmaille, et j'ai même eu droit à une promotion... Vous vous adressez à rien d'moins qu'un Bêta, ma chère.

Il laissa échapper un rire rauque. Il n'en revenait toujours pas d'avoir grimpé dans la hiérarchie. Au moins, peut-être que ça le rendrait encore plus attrayant aux beaux yeux de la sublime tueuse... Pour ça, il pourrait bien revendiquer n'importe quel rang haut gradé. Mais bon, il pouvait pas faire mieux que Bêta, à moins de zigouiller Myosotis et faire une nouvelle révolution au printemps. Franchement, il en avait pas trop envie.

- A part ces quelques broutilles, rien de particulier, la vie suit son cours immuable... Il y eut un léger blanc, au cours duquel son estomac se mit à gargouiller, suscitant un bref éclat de rire. Comme je l'disais, la nature poursuit son chemin, c'est bientôt l'heure du casse-croûte.

Le regard doré explora un instant les environs, se posa sur le puits. Le sourire se fit plus large, plus énigmatique, et Rage se concentra de nouveau sur l'hivernale couchée un peu plus loin. Il opta pour un ton plus velouté, quoi qu'on pouvait toujours percevoir le timbre rocailleux de sa voix.

- Tu crois qu'y a des poissons dans c'puits..?

Glaciale pourriture

« Toi, Bêta... »

C'est vrai qu'y avait de quoi rire, ou du moins s'étonner à cette nouvelle ! La demoiselle s'en privait d'ailleurs pas, mais le printanier se doutait qu'il n'y avait rien d'insultant dans le rire cristallin de la louve bleue et rouge. Elle devait se gausser en imaginant la situation ; vrai qu'il avait bien plus une tête de soldat de premier rang que de respectable conseiller. La voir se dérider ainsi accentua le sourire du vert, et il se passa une langue gourmande sur les babines. Son interlocutrice était à croquer, en cette belle soirée.

Les yeux dorés se posèrent sur la silhouette élancée de la tueuse, et la suivirent jusqu'au puits, par-dessus lequel elle se pencha. Rage se demandait bien c'qu'on pouvait voir et trouver là-dedans, mais il croyait pas beaucoup aux poissons. En réalité, la question avait surtout été là pour accrocher le souvenir de leur dernière rencontre et de sa mémorable pêche... Pas sûr pour autant qu'il irait retenter l'expérience dans ce tunnel glauque. D'autant qu'y s'rait bien capable de crever bêtement au fond, incapable de remonter.

« Je ne crois pas qu’il y ait le moindre poisson là-dedans, ça serait étonnant. L’eau ne bouge pas d’un poil, tu risques de perdre ton temps si tu veux mon avis. Si tu as vraiment faim tu ferais mieux de partir à la recherche d’un bon lapin égaré dans la nature.  »

Voilà qui était une perspective bien alléchante, et à la seule mention du lapin, Rage se figurait déjà un festin, la chair tendre sous ses crocs, le goût délicat du sang dans sa gorge... Et son estomac calé pour, aller, au moins une demi-heure ? Bah, c'était toujours ça de gagné ! L'idée d'admirer à nouveau les capacités redoutables de sa compagne en chasse était tentante aussi, cette fois que les pics de glace ne le viseraient pas lui. Les pas légers de Ness vers lui le ramenèrent à la réalité, et il plongea ses billes d'or dans les perles rouge et bleu de l'hivernale. Quel regard, mes aïeux, quel regard ! Et il était dardé sur lui, avec cet énigmatique sourire qui la rendait si attirante... Durant le silence de leur échange, le printanier se demanda ce qui pouvait bien passer par la tête de la femelle.

« Tu peux toujours essayer de manger la chose contre laquelle tu es adossé, mais je ne sais pas si c’est vraiment comestible. »

Rage s'arracha un rire bref, et il leva la tête, portant son regard derrière lui, sur la « chose » qui le soutenait, très justement dénommée par Ness. Pour un gros champignon, c'était un gros champignon. Sans que le vert soit vraiment amateur de cette végétation, il devait reconnaître que ceux-là sentaient particulièrement mauvais. La Pourriture était partout ici, ça le faisait se sentir un peu comme chez lui. A son sens - et à son nez - c'était pas vraiment une odeur abominable qui émanait des environs, elle était même assez fascinante : c'était l'odeur de la décomposition, de la prise inéluctable du temps sur le vivant. Un combat sans fin, toujours ponctué de mort et de renaissance. C'était beau, quand même, nan ? Bon, de là à le manger...

« Hm, je suppose qu'elle est à peu près aussi comestible que moi. »

Se redressant, l'ex-soldat - il allait devoir se faire à son nouveau rang, mais sentait pas encore sa vie particulièrement chamboulée pour l'instant - jeta un coup d’œil dubitatif au champignon géant. Cette nouvelle perspective ne le rendait en rien plus ragoûtant, loin de là. D'ici, il pouvait apercevoir les larves et autres insectes qui grouillaient sur le chapeau et dans les lamelles. C'étaient des « alliés » de la Pourriture, en quelque sorte, mais il n'avait pas non plus envie d'en faire son repas, quel que soit le nombre de protéines que ça pouvait lui apporter.

« C'est p'tête comme dans les histoires, tu en manges un bout et tu tombes raide mort ? » Après un regard malicieux vers la belle, Rage pencha la tête sur le côté et plissa les yeux, fixant la chose. « Bah, un peu de curiosité scientifique, c'est rafraîchissant ! »

Ni une ni deux, d'un coup de griffe net et précis, voilà que le printanier se prélevait un morceau sur le champignon, piqué au bout de son arme acérée ; 'fallait avouer, de près, ça donnait encore moins envie. Mais bon, il l'avait dit, il le ferait. Le morceau de la taille d'un bon caillou fut engouffré dans le gosier, et avec la tête d'un connaisseur de fine gastronomie, le vert mâcha, circonspect... avant de s'immobiliser, puis sortir une grande langue parsemée de quelques restes baveux de champignons.

« Bâââââh, c'est infect !! »

Le printanier réprima un frisson et secoua l'échine pour se débarrasser de la désagréable impression. Il cracha quelques restes de chose mâchonnée dans un coin, esquissant une moue écœurée. Très mauvaise idée que la curiosité scientifique, au final. Cette chose n'était vraiment pas comestible.

« Bon, j'aurais fait progresser la science au moins, et le verdict c'est "pas touche à cette merde". Et si on partait en quête d'un petit lapin bien tendre et juteux, à la place ? L'été, c'est chaud, mais ça a au moins le mérite de nous réserver un gibier plus grassouillet que l'hiver. »

Rage adressa un clin d’œil taquin à sa compagne d'aventures, ricanant dans sa barbe. Il lui faudrait au moins plusieurs repas pour chasser l'affreux goût âpre et amer qui lui restait sur la langue, mais un peu de chair sanguinolente devrait déjà améliorer son état. En espérant qu'il tombe pas effectivement raide mort en pleine chasse.