Cauchemar éveillé
ft. Asmodia
Couché à l'abri d'un rocher, Natsu léchait ses plaies les plus récentes, fruits du combat contre le tigre géant à l'alcôve. Il les avait cherchées, mais ne se formalisait pas plus que ça de ces nouvelles marques sur sa peau abîmée ; il était plutôt satisfait d'en avoir infligé d'aussi belles sur son adversaire. Une fois l'affrontement terminé, il avait pris soin de s'éloigner de Mahuna pour ne pas subir ses discours moralisateurs à la con ; il se moquait bien des reproches qu'elle pouvait lui faire, et en avait marre d'entendre sa vision naïve des choses. Ses blessures étaient un peu boursouflées, certes, mais rien de grave ; elles seraient juste plus moches une fois cicatrisées.
Pour ce qu'il en avait à faire... Il ne regrettait absolument pas sa conduite envers la nouvelle venue. Tout ce qui n'était pas lupin était dangereux sur cette île, et il aimait mieux voir une gigantesque paire de crocs au sol que dans sa propre gorge. Attaquer avant d'être attaqué, voilà quelle était sa tactique de survie sur l'archipel, et il attendait le prochain combattant de patte ferme ! Au moins, ça lui donnait une occasion parfaite pour défouler la colère noire qui ne le quittait plus.
Colère contre le sort, contre la guérisseuse, contre lui... Il avait de quoi tenir et ruminer pendant un moment, les pensées acides fusant dans son cerveau avant de se répandre dans ses veines comme un poison, échaudant son sang plus que de raison, déformant toute tentative d'espoir en éclat cynique.
La tête finalement posée sur sa patte, il avait dû finir par somnoler, voire s'endormir. Quelques songes diffus et emplis de violence brouillèrent ses sens, et lorsqu'il émergea de nouveau, le soleil avait quelque peu décliné. Clignant des yeux, Natsu se sentit d'abord mécontent de s'être endormi. Il savait que cet endroit recelait de nombreuses odeurs inconnues, et qu'il y avait donc beaucoup de passage ; s'endormir ici était donc stupide ou complétement suicidaire. Puis il chercha ce qui avait pu le tirer de son sommeil agité, duquel il avait du mal à se dépêtrer. Peut-être la fièvre le gagnait-elle un peu, finalement, mais il ferait face coûte que coûte - sans passer par la louve blanche.
Un brin hirsute et grognon, l'ancien estival émergea de derrière son rocher, ses yeux iridescents cherchant la source de sa perturbation, mais la voix l'atteint avant qu'il ait eu le temps de détecter la présence des deux louves. Une voix qu'il connaissait, dont il avait rêvé pendant un moment ! Mais en un temps qui lui semblait si lointain...
D'abord pétrifié sur place, le rouquin crut avoir été joué par son imagination. Quand enfin il fit lentement demi-tour sur lui-même, il réalisa qu'il était bien réveillé, mais sa seule réaction fut de contempler Asmodia, gueule bée. Lui qui pensait que tout le monde était mort... qui n'avait croisé que de la poussière et une guérisseuse enquiquinante depuis plus d'un mois... Et c'était elle ! Elle qui se tenait devant lui !
L'explosif combattant s'en trouva retourné, vidé de sa colère, stupéfait pendant quelques secondes ; le vide qu'il ressentit n'était pas mauvais, juste troublant, à un tel point qu'il crut réellement être en train d'halluciner. Elle se tenait là, devant lui, amaigrie, mais n'avait rien perdu de son charme. Derrière elle, il distingua à retardement une deuxième silhouette, et c'est en voyant son regard et celui d'Asmodia qu'il réalisa que son apparition à lui ne devait pas avoir grand-chose de charmant. Il secoua la tête et retrouva finalement un peu ses esprits, de même que sa parole.
« Asmodia... » Il déglutit difficilement ; même parler semblait bien plus difficile que d'habitude. Il considérait la louve plus jeune derrière elle, mais ne savait comment poursuivre tant ses pensées se bousculaient dans sa tête. « Je... vous- vous êtes en vie ! Toutes les deux. Quel miracle ! »
Il se mordit la babine avec l'envie de se donner des baffes, et une pointe de colère tournée contre sa maladresse transperça sa poitrine, chauffée au fer blanc. Secouant la tête, il fit de son mieux pour chasser les sentiments négatifs qui l'étouffaient, et ne devaient pas aider à améliorer son apparence déjà épouvantable : cheveux à l'abandon, poil poussiéreux, cicatrices de plus en plus nombreuses, et cette tension abominable qui ne demandait qu'à sortir de ses yeux pour embrocher quiconque voudrait défier le faisceau de son regard ! Mal à l'aise, Natsu fit un pas de côté, baissant la tête pour éviter de mettre les arrivantes dans l'inconfort.
« Je croyais qu'il n'y avait plus que Mahuna et moi... plus les quelques félins qui rôdent sur l'île. Je... » La haine avait failli refaire surface, mais il la ravala, et se fit violence pour chasser sa rancœur, invoquant tout ce qu'il avait de meilleur dans sa vie d'antan pour s'adoucir. Lorsque ses prunelles remontèrent vers Asmodia, elles avaient retrouvé un peu de tendresse. « Désolé, je bavarde, je ne m'attendais vraiment pas à voir surgir des compatriotes ! Comment êtes-vous arrivées ici ? Vous n'êtes pas blessées ? »
Un sourire fleurit jusqu'à ses babines, aussi incertain que l'était le jeune loup : perdu dans une foule de sentiments contradictoires. Heureux de voir les deux louves - mais alors y avait-il d'autres survivants ? Avait-il bien regardé lors de son passage sur la première île ? Hinano était-elle en vie ?
Heureux de retrouver Asmodia - mais qui était la deuxième ? Il avait honte de l'admettre, mais sa présence gâchait un peu l'instant des retrouvailles, et il se mordait l'intérieur des babines pour avoir osé penser une chose si horrible.
Il se sentait à la fois face à une perspective plus heureuse pour la suite de son existence, et terrifié à l'idée de faire quelque chose qui pourrait ruiner son avenir, terrifié que sa colère abîme plus que lui-même, terrifié de rester seul autant que de renouer les liens du passé.