Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

«Hello my old heart. How have you been? How is it, being locked away? Well don't you worry, in there, you're safe. And it's true, you'll never beat, but you'll never break. Nothing lasts forever : some things aren't meant to be. But you'll never find the answer until you set your old heart free»

So glad to be alive

Elle ne s’était cette fois pas embarrassée de la moindre inquiétude quand à la tenue de son poste; Aranwë se savait désormais assez autonome pour ne pas s’inquiéter du tour de garde qu’elle devait assurer. Le roulement se faisait automatiquement, et il lui semblait que ses pattes la guidaient à présent d’elles-mêmes jusqu’à son poste. Ce tableau ne l’enchantait qu’à moitié. Son naturel patient avait été rattrapé par un caractère intolérant à la monotonie. La jeune louve avait toujours fait preuve d’un calme olympien, désireuse de privilégier la tâche qu’on lui confiait à ses envies - elle se targuait d’être égoïste : elle découvrait néanmoins que la prise de responsabilités l’obligeait à faire preuve de générosité. Une certaine langueur avait cependant commencé à la gagner. Et avec elle, c’était une angoisse nouvelle qui avait pris racine dans son coeur labouré; elle avait combattu l’île à maintes reprises, affrontant créatures et monstres de toutes formes, se laissant engloutir pa la jungle ou les tunnels étroits. Il lui avait fallu un temps pour réaliser que la perte de tout ce qu’elle avait connu ne serait probablement pas le seul obstacle à son bonheur. Il n’y aurait jamais de retour en arrière; elle ne rentrerait jamais à la maison, Aranwë avait appris à s’en persuader. Mais il y avait désormais autre chose, autre chose de bien plus essentiel. L’archipel ne voulait pas d’eux. Sa musculature affirmée et la cicatrice qu’elle avait hérité de l’immense sanglier, combattu aux côtés d’Achéran, en témoignaient bien largement. L’essence même des lieux transpirait le désarroi, et la survivante devinait sans mal qu’à la nuit tombée, c’était une myriade d’yeux qui devait les observer et songer à un moyen d’asphyxier leur petite communauté.
La Veilleuse s’était donc naturellement raffermie. A chaque tour de garde s’ajoutait l’appréhension de voir surgir des troncs tortueux les pupilles voraces d’un Yeux follets. Chaque ronde le long des berges se voyait ponctuée de rapides coups d’oeil en direction des gravats : qui savait quelle immonde araignée s’y tapissait encore ? La survivante se sentait inévitablement dépassée, et elle devait l’avouer : pour la première fois de sa vie, elle sentait la fatigue la gagner. Si elle avait persévéré dans le pessimisme, elle aurait pu même prétendre que la voie était sans issue; qu’ils ne survivraient en définitive pas.
Ses yeux tentaient de la persuader du contraire, à mesure qu’elle s’approchait du banquet dressé au coeur du château. Elle avait émergé sans hâte, le corps encore somnolent et l’esprit éreinté. La psychorigidité et la sévérité d’Aranwë lui interdisaient de s’effondrer, mais elle l’aurait véritablement désiré. Ses tours de garde lui arrachaient le peu de sommeil qu’elle jugeait désormais nécessaire à sa survie; elle traînait des pattes. Elle avait cependant souhaité se mêler aux festivités, consciente qu’un minimum d’implication pourrait lui être profitable. La survivante avait longtemps - trop longtemps - rechigné à se mêler au petit groupe, mais quelques sympathiques rencontres l’avaient encouragée à faire des efforts. Alors qu’elle s’installait au milieu de l’assemblée, ses yeux fouillèrent la foule. Bien sûr, il y avait Herrade : dressée sur un semblant de promontoire, elle dominait le petit groupe. Si Aranwë ne pouvait garder un excellent souvenir de leur première altercation - un gros singe s’imposait en couverture à ce souvenir -, elle devait avouer que la grande meneuse lui était plutôt agréable. Elle appréciait ce personnage franc et déterminé, et il lui était nécessaire d’admettre un fait : l’ancienne printanière était leur ciment. Sans elle, les rescapés n’auraient certainement pas étés aussi enclins à unir leurs forces. Écoutant donc d’une oreille distraite le discours de la grande verte, la survivante s’installa plus confortablement. Elle tentait de conserver une attitude droite, le corps dressé avec autorité, mais la torpeur qui l’accablait avait quelque peu affaissé ses épaules. Elle ne s’en formalisa pas, considérant qu’il ne s’agissait que de faire de son mieux.
Ses iris mordorés sondèrent les silhouettes qui l’entouraient; elle espérait sincèrement y repérer d’autres visages connus. Il y avait bien évidemment là des loups qu’elle connaissait par principe; ils l’entouraient chaque jour, vivant et luttant à ses côtés. La bleue avait fait l’effort d’apprendre leurs noms, mais la plupart ne lui inspiraient rien d’autre que ces appellations. Elle bondit entre deux faciès, torturant ses sens pour espérer retrouver là… Qui ? Ses pensées se portèrent sur quelques rares âmes : il s’agissait, bien évidemment, de trouver Liam. Aranwë tentait de garder un oeil sur son frère, soucieuse de son comportement; elle concevait néanmoins que le suivre à la trace n’aurait pas soulagé leurs rapports. Elle tâchait donc de l’observer de loin, sans empiéter sur son terrain. Il y avait ensuite - et ces deux visages étaient beaucoup plus amicaux - Keridwen et Achéran. Ces deux rencontres avaient évidemment abouti à une bataille avec quelques bestioles monstrueuses (le tableau allait du cochon sanguinaire aux petites araignées infestées de pattes), mais Aranwë en conservait un excellent souvenir. La petite guérisseuse s’était creusé une petite place toute spécifique dans le coeur de l’ancienne hivernale, et celle-ci s’en ravissait presque. Elle se reconnaissait dans l’enfant, et leur promenade l’avait vaguement incitée à devenir une protectrice. La bleue se considérait comme dénuée de toute maternité; il s’agissait davantage ici d’affection et, quelque part, de fierté.
Venait ensuite l’Assassin. Le personnage était ici plus complexe, mais tout aussi attachant. La Veilleuse était encore sceptique, mais il lui semblait judicieux d’affirmer que la grise constituait d’ores et déjà une amie de confiance. La culpabilité la rongeait encore à l’idée d’avoir précipité sa comparse entre les défenses du monstre qu’elles avaient affronté, mais une forme de tendresse s’était instaurée entre les deux êtres.
Ne repérant cependant aucun de ses camarades, la survivante tâcha de se concentrer sur le discours d’Herrade. Elle sentit son coeur s’agiter à l’entente de son nom : s’agissait-il de fierté ou de pure timidité ? Aranwë rabroua rapidement cette seconde supposition; non, non, définitivement, elle n’avait fait que son devoir. La satisfaction d’avoir sauvé des vies était parfaitement naturelle. Il était juste d’être fière de soi - c’était du moins ce dont elle essayait de se convaincre.
La tirade de la meneuse achevée, la Veilleuse dut patienter un instant avant de se relever. Ses muscles ankylosés la soulevaient difficilement, si bien qu’elle préféra attendre de ne pas pouvoir être remarquée pour se traîner jusqu’au banquet. Son ventre affamé ne réclamait désormais plus pitance : il s’était habitué à la faim et, dernièrement, l’afflux de proies avait largement tâché de le satisfaire. Désireuse cependant de marquer sa reconnaissance, elle porta sur son choix sur un morceau de sanglier entreposé là. Un sourire mesquin tordit ses lèvres tandis qu’elle dévorait la chair coriace; oh, elle allait savourer ce festin plus que jamais. Relevant les yeux, elle aperçut à quelques mètres de là une louve brune dont elle connaissait plus ou moins le nom. Sa solitude la rattrapa néanmoins bien vite, et la bleue tenta de se faire disparaître au plus vite, désireuse d’éviter tout contact avec une âme inconnue.

Fiche par Sánsa ; sur Never-Utopia

la célébration de la survie