Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Sous la Lune des Dieux

L'estomac de Nachtgewalt protesta avec vigueur, et l'intéressé siffla entre ses crocs en retour. Il n'appréciait guère cet étau qui lui tenaillait l'estomac depuis deux jours, alors que les proies se faisaient difficiles à trouver et que les maigres ressources de l'île étaient étroitement surveillées par les Survivants. Nacht avait d'ordinaire une technique d'approvisionnement très simple : un simple voeu, et toutes les baies qui se trouvaient sur un périmètre de dix mètres autour de lui étaient arrachées pour venir se déposer à ses pattes. Malheureusement, une telle tentative dévoilerait sa présence aux derniers loups de Four Seasons, et cela serait fortement défavorable à un Nachtgewalt supposé dissimuler et s'occuper d'une gosse sur ce caillou qui leur servait d'île. Wünschen...Cette gamine mangeait comme quatre et babillait comme six.  Même Dyani était plus calme, autrefois. Désormais, il l'était plus encore.

La mort a souvent cet effet là.

Cette pensée cynique lui arracha un rictus amer. Ne vous méprenez pas : Nacht était ravi du sort qui avait été réservé à Four Seasons, grâce à la Chimère, annihilant les Libres-Lunes et l'arrogance des clans. Mais il avait perdu certaines personnes durant ce cataclysme, et bien qu'il n'ait jamais eu d'affection sincère à leur égard, il les avait apprécié. Et maintenant, elles étaient disparues ou mortes. Même les immenses pouvoirs de l'Exauceur de Souhait ne pouvaient ramener ceux que les flots avaient emporté.

Au moins, Seira n'était plus de ce monde pour profiter de l'opportunité et ramener sa vilaine trogne au pouvoir des Survivants.

Nachtgewalt, morose, cueillit une baie qu'il avala tout rond. Son goût acidulé avait une flagrance de non-dits et de regrets. La nuit était claire, dissimulant mal la silhouette obscure du Corbeau. Ses cicatrices avaient les couleurs pâles des constellations, rosées et effacées, et au milieu de ce tableau ses yeux de lune veillaient à ce que nul ne pénètre son champs de vision. La nuit était calme, heureusement, aucun Survivant n'était à l'horizon pour venir nuire au repas du noiraud. En un sens, cela ennuyait presque ce dernier : il n'aimait pas se laisser aller à l'introspection. Cela lui donnait trop l'opportunité de constater la vacuité de son existence, maintenant que les Libres-Lunes étaient morts. C'était une plaie purulente qui'il n'avait jamais vraiment pensé voir se cicatriser, mais elle conservait une odeur putride et une chaleur infernale. Non, Nacht n'aimait pas être seul avec ses pensées : il se serait davantage amusé à se jouer de quelques imbéciles en cette heure tardive.

Comme si le destin l'avait entendu, Nachtgewalt entendit un bruit dans l'obscurité. Une voix, pour être exact, sur le ton d'un juron.

Il releva les oreilles, méfiant, mais son sourire vint orner ses babines décharnées où le rouge des baies venaient offrir quelques teintes sanglantes.  Un loup trapu se tenait parmi les arbres, le fixant en retour dans une posture menaçante. Nacht se redressa.

Serait-ce...?

-...Quoi que tu dois plutôt être habitué à t'entendre appeler cauchemar, n'est-ce pas, corbeau ?

La lueur du regard froid du Corbeau s'accentua, et son sourire cauchemardesque s'agrandit. Oui, c'était bien elle. La nouvelle impératrice des Survivants, l'ancien bourreau du Printemps, la gamine aux araignées : Herrade, en chair et en os. Et seule, qui plus est. La Lune avait-elle entendu l'ennui de Nachtgewalt et décidé de lui offrir un divertissement ? Voilà qui ne lui ressemblait guère, mais il s'en contenterait pour cette fois. Après tout, sentir la haine flamboyer dans son coeur, voilà qui lui manquait depuis que le tsunami avait emporté ses ennemis. Nacht avait besoin de combler ce vide à coup de joie mauvaise et de tromperies sanglantes, son cœur était aussi vacant que son estomac.

En un sens, ressentir ce plaisir et cette rage sournoises avait quelque chose de rassurant. Aussi, Nacht gloussa en retour.

-Je suis déçue que mes espoirs de dénicher ton cadavre flétri ne soient pas comblés, continua Herrade avec dédain. Quoi que, tu as quand même l'air d'un cadavre flétri...

Nacht gloussa de plus bel. Ce mépris, il n'en avait cure. Il s'imaginait déjà quels mauvais tours jouer à son ennemie, mais il en avait une petite idée. Il n'avait jamais oublié ce qu'elle lui avait fait subir. Il avait hâte de lui rappeler sa place. Comme la haine est jouissive et familièrement oppressante...

-Ach, Herrade ! chantonna-t-il du ton mielleux et sarcastique qui lui était coutumier. Es tut mir Leid ! Je ne voulais pas gâcher tes espoirs. Pour ma part, je suis ravi de te voir en aussi bon état...

Il marqua une fausse hésitation, puis ajouta malicieusement :

-...quoiqu'un peu amaigrie, nicht wahr ?

Il s'avança dans sa direction. Autrefois, à une époque qui lui semblait étrangement lointaine, le bourreau était parvenue à le capturer. Mais autrefois, il faisait jour. Et la nuit était le domaine de Nachtgewalt. Aussi, son pas était confiant, sa démarche disgracieuse était celle d'une créature de la nuit qui se croit tous les droits. Il vint se placer à quelques mètres de son interlocutrice, la toisant avec un amusement railleur.

-Notre dernière rencontre a été...Festive, ne trouves-tu pas ? Mais je commence à croire que c'est ce que tu désirais, n'est-ce pas ? Après tout, te voilà désormais cheffe !

Et pernicieusement, il susurra :

-Le corps de Seira est pourtant à peine chaud.

Sous la Lune des Dieux

-J'aurais plutôt dit à peine froid, rétorqua avec superbe l'ancien bourreau, mais c'est un détail. Un mois est passé, quand même.

Nachtgewalt eut un sourire mauvais, mais il attendit qu'elle finisse avant de la détromper. Il savait se montrer magnanime - quand cela l'arrangeait. Herrade en profita et ajouta :

-Toujours aussi enthousiaste à enfoncer le couteau dans la plaie, n'est-ce pas ? Mais il n'y a pas de plaie, et tes mots ne sont que du vent.

Nacht l'observa s'approcher. Elle non plus ne l'avait pas oublié, elle le haïssait toujours autant : tant mieux. La haine n'est goûteuse que lorsqu'elle est partagée, autrement elle ne conserve que son goût de cendre et de métal mêlés. L'erreur de la louve, en revanche, était bien de ne pas craindre que le noiraud. Sa haine l'aveuglait, sa confiance en soi n'avait d'égale que son insolence. Sa chute n'en serait que plus rude, Nacht s'en délectait déjà.

-C'est toujours festif de se rencontrer, ne trouves-tu pas ? poursuivit Herrade, forte de son mauvais droit. Surtout quand je te surprends à piller nos réserves de baies. Ah oui, parce qu'en plus d'avoir toujours brigué la place de chef, maintenant je suis aussi très avare sur nos ressources. Et je ne crois pas que tu fasses partie des nôtres, donc...

Elle grogna presque ses derniers mots :

-...Dégage.

Le Corbeau ne perdit rien de son audace. Il gloussa de plus bel, fortement amusé, et encocha sa première flèche :

-Avant d'en arriver là, meine Freundin, laisse moi d'abord revenir sur tes mots : froide, elle ne l'est surement toujours pas.  Non, je voulais bien dire "chaud", du moins était-elle encore en feu lorsque je l'ai laissée sur l'Archipel, s'amusa-t-il distraitement.

Le trait d'esprit n'avait pas encore la grâce mortelle que Nacht escomptait. Il en encocha un second, et l'accompagna d'un pas en direction de son interlocutrice. Ils étaient maintenant face à face, deux faces de deux pièces différentes : ils n'avaient rien à voir, pas de loin et encore moins de près.

-Comme il est noble de ta part de protéger ces terres volées, susurra-t-il d'une voix dégoulinante de miel acide. Mais si tu veux les défendre...

Son sourire cauchemardesque prit des accents de pure menace.

-...Alors de simples mots ne suffiront pas.

" Ich wünsche, dass du mir aus den Augen bleibst."

A peine formula-t-il mentalement ce vœu qu'une force invisible se leva pour envoyer valser la printanière à distance respectable de l'Exauceur de Souhaits. Ce dernier l'observa avec satisfaction, faisant claquer sa mâchoire déformée avec une satisfaction mauvaise.

Sous la Lune des Dieux

Herrade atterrit simplement au sol, peu impressionnée par le tour de passe-passe de Nachtgewalt. Il en fut déçu : il s'était attendu à davantage de colère et de haine entremêlées. Un peu comme ce regard ardent qu'elle lui avait jeté quelques instants auparavant : c'était un met délicat dont il ne se lassait pas, il voulait que cette saveur se prolonge sur sa langue comme l'ombre de la lune s'étendait autour des deux protagonistes. Son sourire se fit vorace.

Alors, Herrade passa à l'attaque.

Elle l'avait d'abord contourné en une valse mortelle, et elle fusait désormais vers lui avec une expression de détermination meurtrière. Nacht, quoiqu'il s'y attendait, eut un mouvement de recul : les mâchoires de son adversaire claquèrent dans le vide. Nacht gloussa, amusé. Il ne se sentait pas en danger, il était bien trop arrogant pour cela, en revanche il n'appréciait guère l'absence de crainte de son adversaire. Ne l'avait-elle pas vu à l'œuvre multiples fois, n'avait-elle pas été témoin de ses sombres pouvoirs ? Par la faute du noiraud, Herrade avait manqué de tuer son alpha, et l'antre des Libres-Lunes avait été détruite. Quelle insolence que de se croire meilleur que lui !

Lorsque Nacht lui aurait brisé les os en de multiples échardes acérées, peut-être l'ancienne bourreau changerait-elle d'avis.

Nachtgewalt n'était pas un guerrier, il n'en avait pas le courage ni la vertu. Mais il savait qu'il devait économiser ses souhaits, il ne pouvait se permettre de perdre ses moyens face à une vermine verte. Et puis, il voulait s'amuser un peu.

Profitant de cette proximité nouvelle avec Herrade, son sourire cauchemardesque s'agrandit, sa langue épaisse passant sur ses crocs nombreux en un angoissant tableau. Avec une rapidité qui n'avait rien de grâcieuse, il précipita ses longs antérieurs sur sa cible et ses serres jaillirent alors dans sa direction , comme l'oiseau de proie auquel il s'apparentait. Il visait son insolent museau.

[lancer de dé]

Sous ses serres, il sentit la chair s'arracher et le sang gicler. Cette odeur familière provoqua un frisson sur son échine et son regard lunaire prit des teintes de pure folie et de haine entremêlées. Nacht se sentait vivant. Il gloussa avec délectation.

Voracement vivant.

Sous la Lune des Dieux

Nachtgewalt observa avec délectation la trainée sanglante qu'il avait laissé sur le visage d'Herrade, songeant non sans ironie qu'elle lui rappelait sa propre cicatrice, infligée par Kuma quelques années auparavant. Das Leben ist eine Geschichte, die sich wiederholt, disait autrefois Nacht à Asha lorsqu'ils étaient encore proches - et vivants, dans le cas d'Asha. Etait-elle vraiment morte cela dit ? Cela ne rendait pas cette phrase moins vraie, ni ce combat moins jouissif. Le Corbeau ne souhaitait que combler ce vide qui réclamait sa pitance avec la voracité d'un puits sans fond. Il n'avait pas envie de trop s'y pencher, il savait qu'en y sombrant il n'en reviendrait pas. Il deviendrait encore plus dément qu'il ne l'était déjà, et même lui était terrifié à l'idée de s'y perdre. Il préférait mille fois brûler dans les flammes de ses passions poisseuses et obscures que de se pencher sur ses propres pensées. Après tout, il était meilleur pantin que marionnettiste lorsqu'il était question de ses émotions.

Il ignorait si Herrade partageait ce sentiment. Probablement pas, elle était si...rustique. Elle ne souriait pas, mais Nacht ne se souvenait que d'un seul de ses sourires, et elle n'était qu'une enfant à l'époque. Une gamine qui parlait d'araignées, au milieu d'un labyrinthe désormais englouti.

Comme ces temps semblaient ternes et lointains.

Toutes ces pensées ne durèrent qu'un bref et douloureux instant pour Herrade, qui repoussa Nacht avec force, si bien qu'il se prit le coup de ses pattes durement sur ses propres antérieurs. Il recula sous le choc sans être vraiment blessé ni se départir de son sourire, mais tout de même surpris par la force de son adversaire. Ce simple coup lui avait fait mal, il ne se souvenait pas d'une telle brutalité...Ach so, en mettant de côté la torture, évidemment.

L'ancien bourreau s'éloigna de son agresseur, le vert de son pelage teinté d'un rouge aussi profond que le noir de son regard. Elle ne semblait pas déterminée à l'attaquer, elle se contentait de le fixer. Nacht trouvait la louve bien fainéante dans ses assauts, craignait-elle finalement le contrecoup que le pouvoir du noiraud, s'il l'utilisait, aurait sur elle ? C'était ce qu'il espérait. Cela lui ferait diablement plaisir.

Il était dans ce cas temps de cesser de jouer au chat et à la souris.

" Hast du die Flammen vermisst, meine Freundin ? Je souhaite que ce soit le cas."

Et dans un tableau semblable à celui qui avait illuminé la nuit près de l'antre des Libres-Lunes, des années auparavant, des langues de flammes s'étirèrent vers Herrade avec autant de gourmandise que le cœur noirci du Corbeau.

[Lancer de dé]

C'était son premier voeu de la soirée, et peut-être par flegme manquait-il de vivacité. Aussi les flammes ne se précipitèrent-elles pas vers leur cible avec virulence, traçant simplement un dangereux trident dans sa direction, et éclairant leur créateur d'une ombre jaune mettant en valeur ses nombreuses cicatrices au milieu d'un pelage noir.

Bien que moins dangereuses que souhaitées, ces flammes demeuraient ardentes, et un léger souffle de lassitude fit vibrer les plumes du Corbeau en échange de ce coup d'éclat.

Sous la Lune des Dieux

Alors que Nachtgewalt observait ses flammes avec lassitude, il s'aperçut du coin de l'oeil que son adversaire ne se laissait pas démonter. Herrade, plus souple qu'un lièvre et plus insaisissable qu'une ombre, bondit sur un tronc qui lui servit d'appui pour sauter au dessus des flammes et parvenir jusqu'au Corbeau, trop ébahi pour réagir.

Il tomba à la renverse quand les pattes de l'ancien bourreau pénétrèrent son pelage d'ébène, tout le poids de ce corps massif venant s'imposer sur celui de Nacht. Il s'écroula, perdant le contrôle de son voeu et de ses flammes qui continuèrent à brûler avec un entrain diminué. Nacht observa les crocs épais, juste au dessus de sa tête, et il comprit qu'il allait devoir agir vite s'il ne voulait pas les voir s'enfoncer dans sa gorge. Cette scène lui rappelait un peu trop intensément sa capture d'autrefois, mais les dés étaient en sa faveur, cette fois là. Si cette pathétique gamine pensait pouvoir le détrôner de son trône d'obscurité, elle ne le connaissait assurément pas.

Les flammes ne lui avaient peut-être pas servi de leçon, mais ce n'était que le début d'une douloureuse et jouissive éducation.

Bien qu'écrasé, la poitrine comprimée par son assaillante, Nacht n'en avait pas moins les serres libres. Il remua, plantant ses yeux de miroir dans ceux tout aussi froids d'Herrade, et bien que son sourire cauchemardesque se soit crispé sous l'effet de la surprise et de la contrariété, il retrouva bien vite sa superbe tandis qu'avec une énergie renouvelée, le noiraud tenta de se libérer de cette étreinte en plantant ses griffes dans la peau de son adversaire. Ce fut cependant bien moins facile que prévu, Nacht avait beau être plus grand que la louve, elle avait toutefois l'avantage de la musculature. Alors il changea de tactique.

Ses crocs se découvrirent tandis qu'il retroussait les babines, soudain bien plus loup que corbeau, et il dévoila ainsi une dentition abominable, aux dents bien trop nombreuses, mal agencées, trop effilées. Cette mâchoire infernale se propulsa de toute cette force vers le cou d'Herrade, portée par une rage sinistre et une détermination sanglante. Nachtgewalt usait rarement de sa force physique, mais il était aveuglé par sa haine et ce besoin vital d'exprimer la violence qui le faisait vibrer. Et puis, en toute honnêteté, il comptait bien sur ses pouvoirs pour le sauver d'un mauvais pas, si mauvais pas il devait y avoir.

[Lancer de dé]

Ses crocs claquèrent plusieurs fois dans le vide, y laissant une trainée de bave avant qu'enfin il parvienne à légèrement se libérer du joug de son adversaire et à planter ses crocs dans sa chair. Mais il ne fit pas autant de dégâts qu'escompté, ne parvenant qu'à entamer la peau et le muscle de son épaule, sans même atteindre la jugulaire qu'il ciblait. Un mince filet de sang se répandit dans sa gueule, la parfumant d'un arôme métallique appréciable et décevant.