Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

La journée avançait. Après avoir retrouvé son équipe de fortune, Herrade s'était lancée dans l'exploration, la mine sérieuse et les babines serrées. À peine si elle avait décoché un mot à ses partenaires, et même si rien n'était cassant dans son attitude, elle semblait à la fois ailleurs et un brin contrariée.

La soldate faisait de son mieux pour n'en rien montrer, mais son entrevue avec V'hallys l'avait chamboulée, une fois de plus ; elle en sortait moins peinée que la première fois, mais toujours travaillée, et tout en escaladant la roche et se frayant un passage entre les buissons, il lui arrivait de marmonner sombrement. Elle suivait son groupe sans trop savoir vers où elle allait, passivement ; bien entendu, la quête glorieuse du Printemps et le mystère de la Chimère étaient toujours présents dans son esprit, quelque part, mais ses interrogations personnelles avaient pris le pas pour le moment, et accaparaient toutes ses pensées.

Le trio des fleurs parvint sur une sorte d'esplanade, dominant des falaises descendant en pente douce ; trois voies semblaient se dessiner, entre les roches, les buissons et l'accès vers la plage, bien que ce dernier soit moins propice à les rapprocher du sommet. Herrade se porta pourtant volontaire pour l'explorer, et chercher de son côté à rejoindre le haut de l'île, où elle pourrait retrouver son Alpha et l'espionne qui l'accompagnait. Une nouvelle expédition en solitaire, un peu plus rythmée que leur croisière actuelle, lui ferait du bien. Promettant d'être prudente et raisonnable, la verte salua ses compatriotes, puis partit de son côté.

Une heure s'écoula ainsi, au cours de laquelle elle sauta de rocher en rocher, dérapa sur quelques pans escarpés et se glissa dans les rares végétaux qui subsistaient sur cette côte. Au moins, dans cette direction, elle était certaine d'échapper à V'hallys, qui devait se trouver maintenant quelque part à l'opposé... même si le paysage de la plage n'aurait de cesse de lui rappeler sa vision matinale du solitaire endormi.

Debout sur la grève, la printanière ferma un instant les yeux, se laissant volontiers tanguer dans les courants venteux qui s'agitaient ici et se jouaient des vagues retombant avec fracas sur les cailloux. Malgré l'agitation du lieu, la belle se sentait apaisée, en osmose avec l'impétuosité des éléments autour d'elle. Décidément, elle aimait beaucoup cet endroit... mais bon, il lui restait encore à trouver un chemin pour gagner le sommet de l'île.

En se retournant pour retourner vers les hautes roches, Herrade eut la surprise de trouver non loin d'elle un loup au pelage singulier, s'approchant tranquillement. Eh bien, l'agitation de la mer ça avait du bon pour le moral, mais c'était aussi moins pratique pour repérer les nouveaux venus... Sourcils froncés en une expression intriguée, la printanière laissa l'autre venir à elle et s'introduire.

« Belle journée pour explorer n’est-il pas ? Que pensez-vous de vous joindre à moi dans cette aventure ? »

On lui avait déjà parlé d'un loup avec un pelage particulier de ce style, doté d'un grand collier comme accessoire, mais sa mémoire refusait de remettre le contexte autour de cette information, aussi n'avait-elle aucune idée de l'identité de son interlocuteur, d'autant que le vent ne l'aidait pas à détecter son odeur.

« Je n'ai pas pour habitude de partir à l'aventure avec un inconnu... à qui ai-je l'honneur ? »

Quelque chose dans l'attitude et la manière de parler de son vis-à-vis titillait l'esprit de la louve, et elle plissa légèrement ses prunelles bicolores. Si seulement elle pouvait disposer d'un indice de plus... Désireuse de résoudre ses interrogations, et comme pour mieux entendre le nouveau venu, la printanière fit un pas dans sa direction, immédiatement récompensée par une bourrasque qui voltigea autour d'eux, faisant tourbillonner leurs poils. Un fumet connu et abhorré monta à sa truffe, et elle écarquilla légèrement les yeux, surprise, avant de se recomposer. Un automnal... Immédiatement, le visage d'Herrade se rembrunit, un voile de suspicion passant devant ses yeux.

« Non, ne me dites rien, je crois que je le sais... bourreau de Daeron, pas vrai ? » Un nom qui commençait par O, mais c'était le cadet de ses soucis de le deviner à présent. Ses sourcils se froncèrent un peu plus tandis qu'elle campait sur sa politesse rigide et glaciale. « Vous n'avez donc pas de partenaire plus opportun pour fouler cette terre ? »

Se trouver nez à nez avec le bourreau automnal... il fallait le faire. Et dire qu'Herrade pensait leur exploration sous de meilleurs auspices ! L'entrevue avec V'hallys aurait dû la mettre sur la voie, elle n'en avait visiblement pas fini avec les rencontres hasardeuses.

Dubitative, la verte se permit de détailler un peu plus son vis-à-vis, babines pincées. Il était plus grand qu'elle, d'un calme olympien, à moins qu'il ne soit juste un pur bloc de glace détaché de la banquise, tant son visage ne reflétait aucune émotion ; seulement ce regard scrutateur, et pour le moins malaisant.

Oswald, c'était donc son nom... Sans esquisser un mouvement ou détendre un seul muscle, la soldate l'écouta, ne sachant trop que songer de sa manœuvre. Après les récents événements qui avaient secoué leurs clans, sa démarche paraissait malvenue, et la verte était presque tentée de croire à un complot, ou une stratégie fourbe ; mais si ce n'était pas le cas, quelles étaient les motivations du brun ? Voulait-il seulement un coéquipier dans l'ascension de l'île ?

Les deux se toisèrent un instant en silence, debout au milieu de la plage, avant qu'Oswald ne reprenne la parole. Herrade ne fut pas étonnée qu'il connaisse son nom, mais se trouva surprise que la nouvelle de sa démission se fut déjà éparpillée. Elle en ressentit une vive montée de honte, mais voyant que l'autre n'en faisait pas plus rigueur que ça, s'acharna à l'étouffer rapidement.

« En quelque sorte. J'ai fait cavalier seul pour explorer cette partie de l'île. »

Un nouveau silence, tandis qu'elle replongeait ses prunelles bicolores dans les pierres froides de l'automnal. Elle ne savait comment donner suite à la conversation ; Seira serait malade d'apprendre qu'elle avait fait équipe avec le bourreau ennemi. Mais en même temps, n'était-ce pas là l'occasion de le garder à l’œil, voire d'en apprendre plus sur les plans de Daeron ? En soi, la soldate doutait que le brun fut bavard sur le sujet - ou sur n'importe quel autre - mais elle en avait assez de rester debout à ne rien faire, et puisqu'il s'était proposé pour cheminer à deux, elle n'allait pas bêtement le planter là.

D'autant que stratégiquement, n'ayant aucune connaissance approfondie de l'île, il était plus sûr d'être à plusieurs ; qui sait quelles créatures pouvaient la peupler, quel piège se refermer sur eux ? La belle agita sa queue en un mouvement bref, fouettant le courant d'air qui sévissait autour d'eux.

« Bien. Puisque nous en sommes là, autant tâcher de gagner le sommet de l'île. »

Ce qui, pour elle, était la traduction de son assentiment, ou ce qui s'en approchait le plus. Se détournant rapidement de son sombre interlocuteur, la verte se sentit soulagée d'enfin s'être détachée de son regard, et entama avec une belle énergie l'ascension des rochers. De ce côté de l'île, aucun chemin ne semblait être déjà tracé, il leur faudrait dénicher leur propre voie. Avisant le terrain le plus propice, Herrade éleva la voix pour couvrir les rumeurs du vent, renouant avec la conversation pour une brève question curieuse.

« Quelles parties de l'île avez-vous déjà foulé, depuis le chemin de glace ? »

S'il avait aperçu lors de son trajet un chemin plus praticable, c'était le moment de le dire.

Tandis que les deux loups progressaient à travers la lande escarpée de l'île, la printanière se posait de plus en plus de questions sur son partenaire inattendu d'exploration, notamment sur son comportement ; elle n'avait rien de particulier à dire ou à penser de lui, si ce n'est l'étrange détachement qu'il semblait observer vis-à-vis des dernières querelles entre leurs clans respectifs. Elle pouvait entendre qu'on n'aimât pas se mêler d'un conflit, mais à son sens, le bourreau avait une position plutôt politique auprès de l'Alpha, adoptant une même ligne de conduite, comme une continuité, le bras du meneur...

Pourtant, Oswald poussait la politesse jusqu'à l'appeler "ma chère" ; était-ce à dire que pour lui, il n'existait pas d'inimitié personnelle entre eux, sinon des conflits singuliers entre printaniers et automnaux, et donc au-delà de leur considération propre ? Respectait-il par-là une volonté de Daeron, ou son opinion personnelle ? Voilà les pensées qui trituraient l'esprit de la verte tandis qu'elle gravissait les rochers, faute d'informations plus utiles à cogiter ; ils partaient donc tous deux en parfaite terra incognita, et elle n'était pas sûre de se sentir tout à fait à l'aise dans cette position.

La réponse de l'automnal n'attendait pas de réplique, et alors que la discussion semblait s'évanouir à nouveau, Herrade profita du silence pour revoir sa propre position. En tant que bourreau, elle avait toujours suivi chaque action de Seira avec ardeur et fidélité ; mais jamais elle n'avait eu l'impression d'être aveuglée par les directives de son Alpha, il y avait toujours eu un consentement naturel qui l'entraînait à donner sa forcer à la petite blonde, parce qu'elle avait confiance en elle et en sa stratégie. Il est vrai que le doute avait parfois pu la saisir, mais elle avait toujours souhaité donner une chance à sa Reine, la sachant toujours prompte à rebondir et redresser la barre. En plus de la courtoisie de son acolyte, la printanière s'étonnait de plus en plus de découvrir une conception différente de son rôle, et cela lui donnait amplement matière à réfléchir.

Elle réfléchit tant et si bien qu'il lui fallut du temps avant de s'apercevoir qu'elle n'était plus en train d'escalader, mais arpentait une sorte de vallée protégée du vent, où poussaient de nombreuses plantes fleuries, au parfum doux et agréable. Ouvrant des yeux surpris, la belle ralentit quelque peu le pas, le temps d'observer un peu les spécimens qui se développaient autour d'elle. Ce fut suffisant pour que le bourreau, qui avait maintenu son pas, la rattrapât rapidement, commençant même à la dépasser. À cette occasion, il lui adressa une question franche et sans détours, souhaitant probablement satisfaire quelque curiosité personnelle ; cela suffit à glacer les sangs de la dame, qui orienta vers lui un regard intense.

Encore une fois, le brun ne semblait pas agir par malice, mais de manière fort naturelle et spontanée. Et bien qu'en somme, il ne soit pas non plus un coéquipier désagréable, il restait automnal, et la soldate n'avait guère envie de discuter de ses problèmes personnels avec lui. Ce n'est pas pour autant qu'elle allait l'envoyer paître ; le loup faisait preuve envers elle d'une politesse désarmante, et il eut été inconvenant qu'elle se montrât grossière en retour.

« Ça relève d'un motif personnel. »

Son ton se fit simplement informatif ; elle était assez laconique pour en plus ajouter de la froideur ou du mordant, qui l'auraient faite passer pour revêche. Et en soi, ils avaient quasiment été "collègues", donc elle pouvait comprendre que son changement de poste arrivât dans la conversation. Mais si Oswald savait déjà qu'elle l'avait fait de sa propre volonté, il en savait assez ; il ne fallait pas compter sur ce sujet pour relancer leur discussion. Ce ne serait d'ailleurs peut-être pas nécessaire...

« Je crois que nous n'allons pas tarder à atteindre notre objectif. »

La prairie qu'ils arpentaient s'élevait en pente douce, continuant à les faire progresser au-dessus du niveau de la mer ; droit devant eux, surplombant un nouveau passage rocheux qu'il leur faudrait escalader, des morceaux d'épave étaient apparus. Était-ce l'un des secrets de l'île ? Peut-être, mais qu'il le soit ou non, il ferait un point de ralliement idéal pour retrouver les siens.

Herrade fronça légèrement les sourcils, reprenant son rythme de marche active, fondant entre les buissons telle une locomotive lancée à bonne vapeur. La dernière fois qu'elle avait vu une épave, un hideux corbeau était caché dedans ; à présent, elle ne savait trop si elle espérait ou non que l'histoire se répétât.