Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Dans les rayons du couchant, le passage vers la prochaine île s'était dévoilé, plats rochers défiant la surface de l'eau, invisibles à moins de se trouver devant. Herrade avait cherché en vain d'autres indices de passage, mais avait dû se résoudre à son seul instinct et à la plume aperçue plus haut. Peut-être n'avaient-ils pas emprunté le même chemin... Quoi qu'il en soit, il fut décidé que la nuit serait vouée au repos, et que le départ se ferait à l'aube pour bénéficier d'une pleine journée de lumière.

La printanière dormit paisiblement, et fut la première à s'en étonner au réveil ; elle se sentait emplie d'une force nouvelle, prête à se jeter dans l'aventure. Un fin sourire relevait ses babines à l'idée des trophées qu'elle pourrait glaner sur la deuxième île, mais elle n'en dit pas un mot à son compagnon de voyage - elle était peu sûre que le sujet l'intéressât.

En comparaison avec la nage qu'il aurait fallu se coltiner pour rejoindre le rivage lointain, la traversée fut rapide et facile. Certes, marcher pendant une heure avec l'eau battant les pattes et des embruns fouettant le visage n'était pas non plus une grande partie de plaisir, mais la soldate se réjouit d'arriver sur l'île sans trop d'encombres. Malgré son poil collant d'humidité et de sel, elle se sentait plutôt enjouée, bien que leur nouvelle terre d'exploration offrit un profil assez semblable à celle qu'ils venaient de quitter. Des roches un peu plus orangées, peut-être, et moins de hauteur... mais de l'escalade, toujours. Oswald en semblait ravi, et la consternation sarcastique qui pointait derrière ses paroles polies arracha un nouveau fin sourire à la verte.

« Il est vrai ; et j'ai bien hâte d'avoir une vue globale de cette île. »

Herrade trouva refuge sur quelques pierres bordant le rivage, brève escale accueillante avant de rencontrer des parois plus escarpées. La guerrière examina leur environnement, hochant de temps à autres la tête, avant de rendre son verdict.

« Ça va être sportif, mais ce sera moins long que sur l'autre île ; d'autant qu'il n'y a plus de vent pour risquer de nous déséquilibrer. »

C'était d'ailleurs une bénédiction, accueillie avec un grand soupir de soulagement quand, un peu plus tôt au milieu de l'eau, la printanière avait senti les courants d'air sur son pelage disparaître. Au moins un désagrément de moins. Avec un peu de chance, ils pourraient même trouver au creux de l'île une source d'eau claire pour rincer leurs poils hirsutes.

« Je pense qu'il y a une voie praticable ici. »

Elle impliquait par endroits quelques contorsions et passages délicats, mais elle semblait la plus adaptée à laisser grimper le duo iconique. Sans plus de formalités, la verte s'engagea à l'assaut de la roche orange, posant ses pattes avec minutie et poussant sur ses muscles encore grisés par la fraîcheur de la mer. Rien ne pourrait l'empêcher d'aller voir ce qui - ou ceux qui - se trouvait de l'autre côté.

L'escalade avait toujours son petit lot de surprises ; que ce soit un pan sans prises et escarpé invisible depuis le sol, ou une roche instable menaçant de précipiter le grimpeur à bas, on ne pouvait pas toujours tout prévoir. Mais il y avait tout de même des surprises un peu plus agréables que d'autres.

Herrade avait commencé son ascension avec prudence, choisissant soigneusement son trajet et jouant les équilibristes pour venir à bout de la roche pourpre ; un premier coup d’œil dans son dos lui apprit qu'Oswald suivait, à son propre rythme. Pour un loup massif de sa corpulence, ça ne devait pas être aisé, mais il s'en sortait bien. Confiante en la capacité du bourreau à se gérer, la belle fit donc de nouveau face à son obstacle, et reprit l'escalade.

L'automnal était à présent hors de vue, dissimulé par une aspérité, mais tant quelle n'entendait pas d'exclamation ou de bruit de chute, Herrade n'avait pas de quoi s'alarmer. Elle entrait de son côté dans une phase un peu plus facile et moins pentue de son ascension, et se réjouit de voir que le plus dur était certainement fait. C'était sans compter sur le destin, qui se manifesta de manière assez surprenante, d'abord par le filet de voix inhabituellement incertain de son compagnon d'aventure.

Intrigué par le ton pressant du bourreau, la verte revint sur ses pas, se demandant quel motif avait ébranlé ainsi son si calme coéquipier. Lorsqu'elle entendit le mot "scorpion", son sang se glaça. Elle-même familière des araignées, les bestioles de ce genre ne l'effrayaient pas, malgré leur aspect terrible. En revanche, elle ne connaissait pas assez bien les différents spécimens pour évaluer la dangerosité de leur venin, et ça, c'était un sacré problème pour eux.

« Êtes-vous blessé Oswald ? N'essayez pas de grimper, vous allez vous rompre le cou ! »

Jamais la printanière n'aurait cru pouvoir ressentir une once d'inquiétude pour son ex-homologue, et pourtant, elle avait fini par apprécier en quelque sorte la compagnie de cette armoire à glace silencieuse et polie. Elle perdrait tout honneur si elle le laissait simplement en plan et continuait seule, et de toute façon, elle en était incapable. Sous son armure se trouvait un être de chair, qui n'était pas insensible aux tourments de son prochain. Du moins, de quelques uns d'entre eux.

« J'arrive, ne bougez pas. »

Ce qui était sûrement impossible au brun, coincé sur la roche avec ces maudits animaux. Serrant les dents, la printanière évalua sa route ; la descente risquait d'être plus compliquée que la montée. Si seulement... Oui ! Fouillant des yeux la surface rocailleuse, Herrade dénicha un buisson qui avait trouvé refuge entre quelques blocs de pierre ; il n'y avait plus qu'à espérer qu'il y soit fermement ancré.

Concentrée, la belle en fit jaillir un filet resserré dans sa direction, l'attrapant au passage dans sa gueule. Elle en testa rapidement la solidité en tirant de parts et d'autres, et fut soulagée de constater que contre toute attente, il tenait bon. Une autre mauvaise surprise arriverait peut-être plus tard, mais pour l'heure, il ferait l'affaire...

La voilà qui entreprit donc une descente en rappel, se bénissant d'avoir une liane assez longue pour franchir un passage délicat. Elle fut rapidement au-dessus d'Oswald, et constata avec horreur qu'il était dans les vapes, et ne tarderait sûrement pas à basculer. Autour de ses pattes fermement ancrées dans la roche, plusieurs scorpions noirs et luisant grouillaient, en posture agressive. Il fallait vite le sortir de là avant qu'un autre ne le pique !

Le filet ne l'aiderait pas jusqu'au sol, aussi une fois qu'elle eut trouvé une position stable contre la paroi, Herrade le lâcha, et entreprit de rejoindre le bourreau par le côté. Il était plus grand et plus lourd qu'elle, comment pouvait elle faire en sorte de le retenir ??

« Tenez bon, Oswald. »

Sa voix trahissait un certain empressement, alimenté par l'air hagard de l'automnal. La verte regretta de ne pas savoir cracher le feu, ce qui aurait été bien pratique pour chasser les damnées bestioles, mais elle allait se débrouiller autrement... Grondant méchamment, elle tenta de les faire fuir en vociférant quelques mots dans le langage des araignées, mais cela n'eut pas le résultat escompté ; d'abord perplexes, les scorpions s'approchèrent ensuite d'elle pour éliminer la menace qu'elle représentait. Assez peu fière de son effet, la printanière recula pour échapper aux assauts d'aiguillons, déplaçant petit à petit ses pattes, mais l'un d'eux s'approcha suffisamment et réussit à la pincer.

Avec un glapissement de douleur et de rage, Herrade réagit d'instinct en un grand mouvement de patte pour envoyer valser l'insecte... mais ce faisant, perdit totalement l'équilibre et suivit la même voie pour rejoindre le sol en express. Fort heureusement pour elle, elle tomba dans le bon sens, et se réceptionna lourdement mais sur ses quatre pattes, sans trop de dommages - autre qu'une petite blessure à cause du scorpion. Mais elle n'avait pas le temps de s'en réjouir ; si l'automnal chutait maintenant, elle n'avait aucun moyen de le retenir.

Debout en-dessous de lui, Herrade chercha de quoi tisser un nouveau filet, fébrile. Heureux coup du sort, quelques plantes se trouvaient au pied de la falaise, assez fournies pour qu'elle puisse s'en servir ; sans attendre, et faisant fi du mal de tête qui la gagnait dans sa précipitation, la printanière tissa une nouvelle toile, faisant jaillir un filet assez robuste pour amortir la chute d'Oswald ; empoignant l'autre extrémité, elle se résolut à penser qu'elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir.

« Lâchez-'out ! » parvint-elle à articuler au brun ; autant s'assurer dès que possible que son mal n'allait pas empirer, et ce serait plus simple ici qu'accroché à une falaise.

Les muscles d'Herrade étaient contractés et douloureux, car sa position n'était pas des plus confortables ; tendue vers l'arrière pour maintenir une surface élastique devant elle, elle avait hâte qu'Oswald se décide à tomber pour qu'elle puisse enfin souffler un peu. De son point de vue en contre-plongée, le bourreau semblait perdu dans le coton, mais il finit par réagir à ses paroles, et là...

Là, la printanière se demanda très sérieusement si elle n'avait pas elle aussi été piquée à son insu, car la scène qui suivit relevait d'une hallucination de très haut niveau. Au cours des premières secondes, l'idée que la soudaine transformation du brun put être le fruit de son pouvoir ne l'avait même pas effleurée tant elle était effarée, et elle le fixait yeux grands ouverts, immobile. Elle vit d'abord tomber la tête de l'automnal - oui, seulement sa tête - avant que cette dernière ne se transforme en oiseau ?? Puis le reste du corps s'écroula lentement ???

Quand elle comprit que les mouvements de l'hirondelle étaient parfaitement maîtrisés et qu'il devait s'agir d'une manœuvre d'Oswald, la belle se détendit quelque peu - elle s'efforça en tout cas, mais restait sous le choc de cette vision fantastique. Prête à réceptionner le massif corps brun, elle accompagna sa chute en douceur, grognant de la soudaine tension sur sa nuque et ses pattes, de courte durée heureusement. Le pire étant passé, elle déposa lentement le filet au sol, garantissant un atterrissage en douceur. Quelles émotions !

Au milieu de sa toile, l'oiseau avait retrouvé le reste de ses attributs, et peu à peu émergea le faciès du bourreau, sous le regard consterné et un brin écœuré de sa coéquipière. La vache, elle n'avait jamais rencontré de loup avec un pouvoir aussi étrange, mais elle devait convenir qu'avec un esprit stratégique, il pouvait être diablement efficace. Ces pensées rationnelles l'aidèrent à reprendre contenance, et tandis que l'automnal se remettait de sa chute, elle s'assit pour procurer un peu de repos à ses membres. Il ne tarda guère à retrouver l'usage de la parole, et elle apprécia que ses premiers mots furent destinés à d'humbles remerciements.

« Il n'y a pas de quoi, vraiment. »

La froideur et l'animosité n’entachaient plus en rien son timbre clair, seul transparaissait à présent le soulagement de cette conclusion cocasse. La soldate ressentit une pointe de fierté du compliment de son homologue, qui se manifesta par un fin sourire et une petite étincelle au fond de ses yeux perçants.

Interrogée sur sa propre santé, la verte arqua un sourcil surpris, puis fit sagement l'inventaire de ses divers bobos, avant de hausser les épaules ; bien plus de peur que de mal de son côté.

« Il m'a seulement pincée, heureusement. J'étais assez bas pour me réceptionner correctement. »

Mais ça aurait pu être bien pire. Le regard de nouveau sérieux d'Herrade se porta sur la paroi qui venait de leur tenir tête, et elle resta songeuse quelques instants.

« Je pense que nous avons eu beaucoup de chance, en réalité. Je n'avais pas du tout prévu que ces murs puissent être habités... Il nous faudra redoubler de vigilance si nous voulons conquérir ces îles. »

Il y eut un court silence, puis elle réalisa avec une mine étonnée ce qu'elle venait de dire ; se voyait-elle donc parcourir tout l'archipel avec Oswald ? Elle n'avait rien à redire de son comportement et de ses capacités, il faisait pour cela un très bon compagnon d'aventure, mais l'ancien bourreau printanier se retrouvait dans une position délicate vis-à-vis de son clan et de ses relations... Ne ferait-elle pas mieux d'arrêter les frais..?

Une bouffée d'audace étreignit le cœur d'Herrade, qui afficha une résolution sans faille. Qu'importe l'origine de son coéquipier si elle pouvait explorer et conquérir ces îles ; depuis sa jeunesse, elle avait toujours apprécié faire mille et une rencontres hors de son clan, et c'est ce qui l'avait forgée. Il n'était pas question de tourner à nouveau le dos à ce qui faisait d'elle ce qu'elle était aujourd'hui ! Heureuse de reconquérir la confiance dans ses actes et sa quête de soi, la belle tourna un visage apaisé vers l'automnal.

« Nous pouvons y retourner quand vous serez prêt. N'essayez pas de vous surmener, cette fois sera la bonne. »

De toute façon, elle n'était pas pressée ; au contraire, elle se sentait enfin en paix avec elle-même, et comptait bien en profiter un peu. Assise et détendue, elle entreprit de lécher et nettoyer la plaie sur sa patte, laissant son dos se réchauffer aux clairs rayons du soleil.

La bonhommie qui s'installait entre les deux équipiers se fit de manière naturelle, si bien que la verte ne le réalisa pas vraiment ; bon, le destin avait peut-être un peu brusqué son empathie en leur envoyant une péripétie rocambolesque, mais celle-ci avait au moins le mérite d'avoir balayé les quelques morceaux de glace qui subsistaient dans les échanges entre les deux loups.

Oswald semblait se remettre rapidement ; le laissant à son examen personnel et sa récupération, Herrade darda son regard farouche sur les parois oranges, qui les narguaient de toute leur hauteur. Leur première tentative était un échec ; qu'importe, il ne devait pas se trouver des scorpions dans chaque faille de cette maudite caillasse, et ils finiraient bien par la franchir. Elle le savait, n'en doutait pas, ni à son sujet, ni à celui de l'automnal. Elle avait pu constater qu'il était tenace, et solide sur ses appuis. Il leur faudrait plus qu'une énième falaise pour les arrêter.

Cette idée mit en joie la soldate, qui se surprit à arborer son petit sourire satisfait, prête à croquer dans l'aventure. Elle n'avait pour l'heure relevé aucune trace de passage antérieur, mais rien n'indiquait qu'ils fussent les premiers à fouler la plage rocailleuse de cette île. Quoi qu'il en soit, elle avait hâte de continuer, et de découvrir ce qui se cachait au sein de cette muraille de pierres !

Comme en réponse à son enthousiasme, le bourreau se déclara prêt à reprendre l'exploration, soulevant par ailleurs la possibilité des mauvaises rencontres en terrain exposé. De bonne grâce, la verte se releva, comme montée sur ressorts, et accompagna le brun dans sa quête d'un nouveau passage. Elle serait bien moins difficile sur les voies compliquées, mais se demandait déjà comment être sûrs que les crevasses ne fussent pas habitées... Une mauvaise surprise suffisait pour apprendre la leçon.

Pendant un moment, ils parcoururent la grève, mais Herrade avait l'impression que plus ils avançaient, plus les falaises se montraient accidentées et infranchissables. Les rares opportunités de gravir les parois lisses et orangées se révélaient pour la plupart trop risquées pour être tentées, aussi le duo poursuivait sa quête, tandis que dans le ciel le soleil continuait sa course contre l'obscurité.

La printanière eut l'impression que des heures s'écoulaient, mais à en juger par la position de l'astre céleste, seulement une les séparait de leur nouveau départ. A présent, l'estomac de la guerrière avait rejoint celui du brun dans un concert de borborygmes, et un pli de contrariété barrait son front, tandis qu'elle étudiait pour la énième fois la surface à pic qui lui faisait face.

« Il n'y a aucune prise accessible à moins de deux mètres, et pas de végétation pour se hisser par un filet... il nous faut continuer. » Se détournant de la paroi, elle observa la plage irrégulière faite de blocs de pierre qui contournait imperturbablement l'île. « Nous sommes encore loin d'avoir fait le tour, peut-être aurons nous de la chance plus loin. »

À nouveau, son estomac gémit, et elle retint un soupir d'exaspération.

« Peut-être aurons nous également la chance de débusquer quelque chose de comestible dans ces roches... »

Avec elle, Oswald dut se rendre à l'évidence qu'ils ne progresseraient pas plus pour le moment, et qu'un casse-croûte semblait être une sage option. Lorsqu'il parut se proposer pour débusquer du gibier, Herrade le regarda faire, curieuse ; cette fois, elle ne fut pas horrifiée de voir la tête blanche de l'automnal choir, mais le spectacle restait quand même stupéfiant. La délicate transformation de ce chef imposant en un délicat reptile acheva de l'impressionner, et elle le regarda procéder avec une pointe d'admiration dans les yeux. Quelle ingéniosité ! Voilà une utilisation optimisée et stratégique de son pouvoir personnel, qui n'étonnait pas franchement la verte. L'automnal semblait né pour la stratégie.

Tandis qu'il créait la pagaille parmi les crabes, la guerrière prit un spécimen en chasse, qui se hâtait vers un nouveau refuge. Il n'en eut guère le temps, qu'un coup de patte bien placé l'envoya voler vers un rocher, où la louve le rejoignit vite. Hagard, la créature tentait d'échapper à son cruel destin, mais son bourreau et l'estomac gargouillant de ce dernier n'étaient pas disposer à montrer la moindre pitié. Une fois de plus, la belle le saisit, et la coquille fendue rencontra la dure surface de la roche dans un bruit mat et mouillé : c'en était fini du crabe.

Lorsqu'Herrade se retourna, Oswald était en train de réintégrer son intégrité corporelle, et avec la même fascination un peu dégoûtée que la première fois, la printanière regarda les traits de la tête blanche se recomposer. Grâce à lui, ils avaient quand même un petit en-cas pour affronter le reste de la journée, et ce n'était pas négligeable ! Annonçant le fruit de sa chasse avec un fin sourire - plutôt glaçant pour qui n'aurait pas tenu compagnie au bourreau depuis deux jours - il reçut une même expression de la part de la printanière, qui lui adressa un signe de tête.

« C'est sûrement plus que d'autres ne pourraient avoir ; et pour notre objectif du jour, ce sera très bien. »

Chacun de son côté, ils attaquèrent leur léger déjeuner ; le crabe ne fournissait pas beaucoup de chair, mais celle-ci était savoureuse, et pour être honnête, la belle se régala ; elle avait rarement l'occasion de manger des crustacés, vu que le Printemps ne donnait pas sur la mer, mais se rappelait ses visites en été avant l'explosion du volcan, et ses escalades dans les roches. Ah, les suaves saveurs de l'enfance !

Avec minutie, assise dans les rayons du soleil, la verte s'appliqua à aspirer la moindre fibre comestible dans chaque membre du crabe, se pourléchant les babines après chaque mets. Bien, voilà qui était tout de même mieux ; encore assez loin de sa dose habituelle, mais c'était un début, qui la ferait tenir jusqu'au coucher du soleil s'il le fallait. Tournant son regard perçant vers l'automnal, elle mit fin à leur petite pause restauration en se relevant.

« Au moins, si nous ne trouvons pas d'accès immédiatement, nous aurons le temps de digérer un peu à plat. »

Elle se réjouit de son propre trait d'humour, souriant ironiquement sous le soleil. Elle aurait préféré trouver plus rapidement un moyen de grimper, mais bon, le destin en avait décidé autrement, et elle se plierait à sa décision. Pour qu'elle en arrive tout de même à "blaguer" avec l'automnal, c'est qu'elle était soit désespérée, soit qu'elle commençait à être à l'aise avec lui. Un peu trop, peut-être...

La belle porta son regard vers l'horizon, vers la plage sur laquelle ils devaient poursuivre. Elle savait ne pouvoir tisser de liens amicaux avec Oswald. Ce serait mal vu par son clan, également par celui de l'Automne ; cependant, personne ne lui ôterait le profond respect que lui inspirait le bourreau, ni l'estime qu'il avait su gagner à ses yeux depuis le début de leur aventure.

Le bourreau ne fut pas long à se repaître de son côté, et déjà le voilà qui s'engageait sur la pierre de la plage, prenant ses distances avec la verte. Celle-ci haussa vaguement les sourcils, mais choisit de ne pas s'en formaliser plus que ça. Après tout, elle ne restait pas avec lui pour son art de la conversation, tant qu'elle était sûre qu'il ne lui ferait pas un coup bas, elle n'avait aucune objection à ce qu'il participe à leur exploration à sa manière.

Lui laissant quelques longueurs d'avance, Herrade porta ses prunelles vives sur la paroi rocheuse qui la narguait toujours ; elle n'en était pas encore au point d'avoir envie d'injurier les cailloux, mais s'ils devaient se fader tout le tour de l'île pour des prunes, la moutarde ne tarderait pas à lui monter au nez. Progressant en maintenant son regard déporté, la printanière fut assez surprise de voir Oswald surgir à nouveau dans son champ de vision, mouillé presque jusqu'au cou. Son ton laconique ne tarda pas à la renseigner sur la raison de sa baignade, et elle put constater elle-même que - faute d'une énième escalade - la voie de la plage était effectivement bouchée plus loin. La belle haussa les épaules, désinvolte ; elle n'avait rien contre un bain supplémentaire.

Le duo retourna donc affronter les vagues, jusqu'à parvenir à l'accès étroit déniché par l'automnal. La soldate hocha la tête ; c'était une chance à tenter. Leur meilleure, depuis l'épisode malheureux des scorpions. Le passage était effectivement peu large, mais c'était toujours mieux que pas de passage du tout - tant qu'il ne recelait pas moult oursins, algues vénéneuses ou autres joyeusetés.

Féline, la verte se glissa en premier dans l'interstice de pierre, quittant rapidement les flots pour commencer l'ascension sur de gros blocs de roche. Entre les hautes parois, le son du ressac était amplifié, presque étourdissant ; au moins, peu d'êtres vivants risquaient d'y être installés, du moins elle l'espérait.

Plus ils progressaient dans l'étrange voie, plus l'ascension sembla facile ; bientôt, ils furent à découvert, et un sentier peu utilisé mais fiable les mena vers les hauteurs plates de l'île. Une plaine se découvrit à leurs yeux, assez désertique, mais malgré tout plus agréable que les ronciers de la première île. Sous les rayons chauds de l'après-midi, l'herbe haute fleurait fort et bon. Et à l'horizon, leur nouvel objectif se dessinait.

« Une tour... intéressant. »

La traversée dans la muraille avait dû être plus délicate pour Oswald que pour la printanière, mais celui-ci ne tarda pourtant guère à paraître à ses côtés. Elle n'aurait pu déterminer s'il était soulagé ou non de retrouver un terrain plus ou moins plat, mais imagina qu'à son instar, il devait apprécier le retour à l'horizontalité. Bien que celle-ci, ponctuée par les hautes herbes, avait aussi ses défauts ; mais il en fallait plus pour entamer l'enthousiasme d'Herrade, trop heureuse de se sentir enfin avancer dans sa quête.

Le cheminement vers leur nouvel objectif ne présenta pas d'obstacles, ni de mauvaises surprises - la faune inhospitalière allait peut-être les laisser un peu en paix, c'était un réel soulagement. Profitant de la douceur de la pente pour regarder autre chose que l'endroit où elle posait ses pattes, la soldate laissa son regard divaguer sur les reliefs de l'île, papillonnant de l'horizon jusqu'aux sommets des roches orangées en passant par la mer, bleue et si calme vue d'ici. Et lorsqu'une petite brise souleva ses dreads blanches, elle vit quelque chose s'envoler dans son champ de vision, et plissa les paupières. Elle n'avait pas eu le temps d'identifier l'animal, petit et noir. Mais était-ce seulement un animal, ou bien une partie d'animal, sombre et légère ? Plus haut, les indices seraient certainement plus nombreux ; enregistrant calmement l'information, la belle reprit sa marche silencieusement.

Au pied de la tour de pierres cependant, les deux loups durent faire halte : la voie principale était bloquée. La verte était tout à fait d'accord avec l'automnal : pas question de grimper encore. Ils avaient assez donné pour ça sur cette île, et elle n'avait aucune envie de découvrir les possibles espèces nichant entre les pierres sèches. Quant aux souterrains, vu l'âge de l'édifice, il serait assez difficile d'en trouver les accès...

Songeuse, Herrade acheva un tour complet de la construction, qui s'avéra assez rapide, et parvint de l'autre côté de l'entrée principale, scellée par d'imposants montants de bois. C'est alors que son œil expert accrocha un détail sur la paroi, qui l'intrigua assez pour s'approcher de plus près. Une faille... subtile, et très étroite, mais un possible passage malgré tout. De l'intérieur semblait provenir un air froid et lourd de poussière - une deuxième cale, en sorte.

« Il y a quelque chose ici. »

Elle se redressa, interpellant Oswald de son regard bicolore. Elle était contente d'avoir déniché une potentielle solution, mais celle-ci demeurait assez incertaine. Un conciliabule allait être nécessaire.

« C'est très étroit, et je ne sais pas si on peut l'agrandir. D'autant qu'on ne sait pas ce qui peut se trouver de l'autre côté. »