Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

La situation se présentait assez simplement : Herrade était à l'intérieur de la tour, Oswald à l'extérieur. Sa carrure ne lui permettrait pas de se glisser par le même interstice que sa coéquipière, il fallait donc que cette dernière trouve le moyen de le faire entrer. La salle dans laquelle elle se trouvait semblait vide, d'après les sons et les odeurs, augmentés de la vision plus accrue qu'elle commençait à acquérir dans la pénombre, ses yeux s'accoutumant - se reposant presque - à l'obscurité.

« Je suis entrée ; rien à signaler pour le moment. Je vous fais signe dès que j'ai trouvé une solution. »

Comme un murmure, elle avait diligemment informé son partenaire de l'état des choses, se voulant brève pour ne pas attirer l'attention. Il planait dans cette tour un relent d'occupation, aussi préférait-elle se la jouer discrète. Consciente de son désavantage sur un terrain qu'elle ne connaissait pas et qu'elle ne pouvait appréhender que de manière limitée, la soldate mijota rapidement un plan, se fiant aux toiles accrochées dans ses cheveux ; qui dit toiles dit araignées, et elle avait bien besoin de paires d'yeux supplémentaires.

Se rapprochant d'une paroi d'ombre, la printanière siffla son charabia incompréhensible aux oreilles de ses congénères, émettant un chuchotis curieux et gargouillant. Elle n'eut guère à attendre longtemps ; si les mammifères manquaient a priori sur cette île, ce n'était pas le cas des insectes, qui devaient parcourir les vieilles pierres en quête de fraîcheur. Rapidement, la belle sentit sur le bout de son museau le pas aérien de huit pattes, qui avancèrent jusqu'à ses yeux. Un grand sourire souleva ses babines ; rencontrer de nouvelles araignées lui procurait toujours une joie immense, et elle réalisa qu'elle n'avait pas usé de son don depuis bien trop longtemps.

Sa conversation avec la dame amaurobiidae fut brève, celle-ci lui indiquant gentiment la présence de pierres branlantes et inhabitées du côté ouest de la porte, avant de retourner à son sommeil diurne. La remerciant mille fois, Herrade rapporta sa précieuse alliée à sa toile, avant de filer vers la fissure.

« Face à la porte, côté ouest ; il y a des pierres branlantes, je vais tâcher de les déloger. »

Et la voilà qui repartait, se postait devant la porte, et tâtait du bout des pattes la solidité du mur. Mieux valait y aller encore une fois avec prudence, histoire de ne pas faire s'écrouler le pan entier... griffant les jointures friables, la printanière ne tarda pas à en faire bouger une, qui accepta enfin - de mauvaise grâce - de rouler de l'autre côté. La silhouette du bourreau réapparut dans le champ de vision de la soldate.

« Je pense qu'il y en a suffisamment de mobiles pour vous ménager un passage. »

Et s'attaquant immédiatement à sa prochaine victime, la verte entreprit de déloger le moellon, voyant enfin se dessiner devant ses yeux la possibilité de continuer l'exploration à deux.

Enfin, un passage suffisamment large fut ménagé pour laisser entrer l'imposante silhouette d'Oswald, qui pénétra dans la tour avec son habituel faciès de marbre. Depuis le début de leur équipée, la printanière avait compris que rares - voire très rares - étaient les instants où celui-ci se fendillait, et n'en tenait plus rigueur à son compagnon ; elle fut cependant reconnaissante de ses remerciements, esquissant un sourire dans la pénombre avec un hochement de tête. Elle devait tout à son alliée à huit pattes, n'étant que simple exécutant.

Les deux loups profitèrent de la nouvelle source de lumière pour tourner leurs regards vers l'intérieur de la tour, surtout ses hauteurs toutes en voûtes et entrelacs de pierre ; un travail colossal, qui émut un bref instant la soldate, avant de retourner à leur réalité d'explorateurs. Le brun avait raison : la voie était devant eux, il ne leur restait qu'à avancer. Un frisson d'excitation, galvanisé par les odeurs inédites qui flottaient jusqu'à eux, traversa l'échine d'Herrade ; bientôt, ses canines finiraient par briller dans le noir.

« La suite se trouverait sans doute plus haut dans la tour, qu’en pensez-vous, chère Herrade ?
- J'en pense comme vous, cher Oswald. »

Elle n'avait même pas hésité, à présent, leur collaboration lui semblait naturelle, et les considérations de clans et de rivalités ne lui traversaient plus l'esprit, ne polluaient plus ses pensées sincères. Imitant son haut compagnon, elle entama l'ascension de l'escalier avec prudence, et alors qu'il allait franchir une nouvelle marche, l'arrêta soudain d'un mouvement de patte dans sa direction.

« Oswald, attendez ! »

Elle eut tôt fait d'arriver à son niveau, certaine que les pierres supporteraient sans doute leurs poids combinés. Baissant le museau, elle observa minutieusement la poussière déposée sur la roche érodée par le temps et les passages, qui devaient être nombreux en son heure de gloire. Son pouls s'accéléra, et dans ses iris bicolores, ses pupilles se resserrèrent.

« Nous ne sommes pas seuls. Il y a eu du passage. Très récemment. »

Sa voix s'était muée en un murmure rauque d'excitation. Les traces étaient encore fraîche, presque intactes ; quels que soient les loups passés par ici, ils ne tarderaient pas à les rattraper. Un sourire carnassier se dessinant sur son visage dur, la verte jubilait intérieurement. L'aventure prenait une tournure encore plus intéressante.

« Nous risquons de trouver beaucoup de choses, dans cette tour. Soyons prudents. »

D'un leste bond, elle termina l'ascension jusqu'au premier étage, qui à première vue n'offrait qu'un chaos de pierres entassées çà et là, généreux dons des étages supérieurs. L'exploration de la tour ne serait pas si simple... d'autant que les pierres semblaient suivre un agencement pas tout à fait naturel, certaines ayant été repoussées pour ménager des passages grossiers. L’œuvre d'un habitant du coin ? Encore en vie ? Là encore, on trouvait des traces de pattes récentes ; l'étau se resserrait.

Cheminant jusqu'au centre de la vaste salle encombrée, Herrade évalua leurs possibilités ; il y avait de quoi fouiner dans les recoins à ce niveau, ou ils pouvaient tenter leur chance dans les instances supérieures, après quelques escalades et aménagements. La belle se tourna vers son coéquipier, n'usant plus que de chuchotements discrets pour ne pas attirer l'attention sur eux.

« Je suggère de fouiller l'étage avant de continuer ; on y trouvera peut-être des indices sur la Chimère ou des plans de la tour. »

Alors que la printanière et l'automnal partaient chacun de leur côté pour fouiller l'étage, Herrade envisageait de faire à nouveau appel à ses amies araignées ; qui sait, elles pourraient lui délivrer quelques informations utiles sur les lieux ! Notamment si elles avaient déjà vu passer deux loups explorateurs... Mais à son premier appel, personne ne répondit. Interloquée, la belle regarda autour d'elle, ne détectant aucune toile ; les insectes avaient-ils déserté l'étage ? Voilà un indice qu'elle n'était pas sûre d'apprécier... mais avant qu'elle ait pu en faire part à son acolyte, les pierres tremblèrent sous leurs pattes, un mouvement lent et puissant, provoqué par une masse se mouvant au-dessus d'eux...

Les yeux grands ouverts, sens aux aguets et posture basse, la soldate détourna son regard du plafond pour le poser sur Oswald, à quelques pas d'elle. Elle hocha lentement la tête à ses paroles, convaincue à présent qu'ils n'étaient pas seuls dans cette tour, et que les deux autres intrus étaient probablement le cadet de leurs soucis... mais si c'était la Chimère qui les attendait là-haut, alors il leur fallait aller voir. Pas question de se faire coiffer au poteau au dernier moment. Herrade s'approcha un peu plus d'Oswald, parlant tout bas.

« Il nous faut monter. Un gros indice nous attend là-haut... »

Autant aller chercher les réponses là où elles se trouvaient, n'est-ce pas ? Même s'il ne fallait pas pour autant foncer tête baissée... pas tant qu'ils n'auraient pas identifié la créature qui semblait avoir élu domicile ici. Faisant le tour de la salle, la verte chercha le meilleur moyen d'atteindre l'étage supérieur ; de l'escalade, pour changer. Décidément, ils auraient mérité d'obtenir la Chimère par la sueur et la force de leurs muscles...

Un escalier à moitié effondré, obstrué par des piles de gravats, permettait d'entamer l'ascension. Pour la suite, il faudrait emprunter des poutres et voies détournées par des failles dans les murs de pierre, mais rien d'infaisable... à condition que cette vieille bâtisse possède encore un peu de force.

La soldate gravit les premières marches, prudente et silencieuse, partageant son attention entre l'endroit où elle posait les pattes et les signes de vie qui lui parvenaient d'en haut. La présence d'une grosse bête se faisait de plus en plus évidente à mesure qu'ils s'éloignaient du premier palier, sa respiration difficile résonnant contre les parois. Une goutte de sueur roula entre les omoplates d'Herrade, mais elle maintint sa concentration : ils arrivaient à un passage critique. La suite de l'escalier était effondrée quelques mètres plus bas, mais les marches reprenaient plus loin sur le mur. Pour franchir les deux, une seule option : un pilier ayant perdu sa tête, sur laquelle il allait falloir bondir pour sauter à nouveau sur les dernières marches. Restait à espérer que le tout serait assez solide pour soutenir et réceptionner leurs élans...

« Je vous attends de l'autre côté, si je trouve un endroit stable... »

Voilà à quoi servait l'entraînement polyvalent : Herrade se savait maîtresse d'elle-même quel que soit l'environnement ou la surface à franchir. Les heures passées au Château hanté à franchir gouffres et plancher vermoulus allaient lui servir comme jamais auparavant ! Se ramassant sur elle-même, la verte estima la distance et la force nécessaires à son saut, puis s'exécuta ; elle atterrit sur le pilier, enfonçant ses griffes dans la pierre friable avec un sursaut d'angoisse. Une pierre qui chutait pouvait les faire repérer ; l'édifice était relativement stable, mais ses moellons capricieux pouvaient être de redoutables pièges. Une fois assurée que sa venue et son départ prochain ne causeraient aucun dégât, la louve se rassembla à nouveau, et bondit vers les marches rescapées. L'écart était plus grand, et elle choisit de sauter loin volontairement pour se réceptionner près du mur, là où les dalles auraient moins de chance de l'entraîner avec elles dans une éventuelle chute. Les vieilles pierres remuèrent faiblement sous cet assaut, faisant chuter de minuscules gravillons, mais rien de plus.

Herrade souffla. Elle gravit quelques marches avant de se retourner vers Oswald, partageant son regard entre les mètres qu'il leur restait à parcourir - les rapprochant du monstre - et le parcours imposé à l'automnal. Que le sort soit avec nous, pensa-t-elle tout bas. La possibilité du combat ne la dérangeait pas, mais elle aimait autant se trouver sur un terrain stable avant d'entamer les festivités...