Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Herrade était gonflée à bloc ; une agitation nouvelle faisait vibrer ses muscles, et elle était heureuse de pouvoir se servir à nouveau de sa patte - bien qu'elle eut promis à Hermès de faire attention et de se ménager. Sa mission du jour ne nécessitait heureusement pas de mouvements violents, seulement de l'endurance ; et quand on connaissait la ténacité de la guerrière, il ne faisait aucun doute qu'elle en sortirait victorieuse.

Depuis le jour où elle avait revu Kare, et où elle avait espéré assister au retour du soleil pour le Printemps, elle avait été bien déçue ; plus de doux rayons pour réchauffer leurs terres, c'est comme si l'Hiver avait reprit ses droits sur leur saison. Elle avait tout de même été soulagée de voir qu'au lieu d'amener une nouvelle phase de mélancolie dépressive, ce changement l'avait énervée. Maintenant, elle était déterminée à comprendre pourquoi le froid persistait, et surtout à élever haut son clan sur un piédestal, le couvrant de gloire et de succès. Rien ne saurait la détourner de son objectif.

En somme, Herrade redevenait elle-même, et c'était fichtrement bon.

Trottant à la suite de Seira, levant haut la tête, elle fusilla du regard tout ceux qui osaient penser à les arrêter ; personne n'arrêtait le Printemps en marche, surtout des printaniers en pleine conquête. Abordant le chemin de glace, elle prit quelques précautions avant de trouver son équilibre et un rythme viable, puis avança sans se poser de questions, queue fouettant l'air et menton relevé. Son regard perçant se posait autour de leur équipe en une minutieuse analyse - quelle étrange sensation que celle de marcher au milieu de l'eau... Pourvu que la glace ne cède pas.

Quand Seira avait décidé d'emmener avec elle Hisui, Herrade avait arqué un sourcil, mais ne s'était permis aucun commentaire. Elle ne connaissait pas assez l'espionne pour se faire un véritable avis dessus, mais le peu qu'elle en avait aperçu et entendu ne lui donnait pas spécialement envie de pousser ses investigations. Sauf qu'à ce moment-là, elle ne savait pas qu'en plus d'être désagréable, la brune pouvait se montrer terriblement maladroite.

Lorsqu'elle sentit le poids de la printanière dans son dos, la soldate se raidit, plantant fermement ses griffes dans la glace, écartant les pattes pour se stabiliser. Une fois qu'elle fut sûre de ne pas être entraînée avec l'autre dans la flotte, elle se permit un regard courroucé à son encontre, mais déjà elle rebroussait chemin, accompagnée par les remontrances de Seira.

Se redressant lentement, la verte poussa un léger soupir, se remettant en route en gardant le conseil de sa meneuse en tête. La glace était traîtresse, et le moindre faux pas pouvait leur être fatal... Et à ce moment-là, elle ne se rendait pas encore compte de la véracité de ce concept.

La troupe n'eut le temps que de faire deux pas de plus, et cette fois ce fut la petite blonde qui glissa, sauf qu'elle n'avait pas de garde-fou musclé pour arrêter sa course... Sous les yeux horrifiés et écarquillés d'Herrade, Seira chuta et dériva immédiatement vers le bord, se faisant happer par les eaux gelées en un rien de temps. Choquée, il fallut une demi-seconde à la haute louve avant de réagir, se déplaçant aussi rapidement que possible vers le lieu du drame.

Dejà la noiraude refaisait surface, et sans ménagement, son bras droit attrapa la peau de son cou et la hissa sur la surface lisse, se cramponnant de toute ses forces à ses griffes plantées vaille que vaille. Le bain n'avait duré que quelques secondes, mais le pelage de l'Alpha dégouttait au sol, et ses membres tremblaient. A peine remise de ses émotions, Herrade jeta un regard entendu vers Hisui, esquissant une grimace contrariée.

« Il faut rebrousser chemin pour le moment ; nous reprendrons la route quand elle sera réchauffée. »

Elle se fit ensuite un devoir de raccompagner rapidement Seira sur la terre ferme, épaulée de l'espionne. Tout regard désobligeant envers sa meneuse fut violemment réprimé par un grondement puissant, et l'attente commença.


Seira retrouva rapidement l'usage de tous ses membres, et fut la première à vouloir reprendre la marche, sans surprises. Herrade ne se permit pas de remarques, mais lui lança un regard appuyé lorsqu'elles retrouvèrent la surface gelée du chemin ; cette fois, il fallait vraiment être prudentes. La traversée risquait d'être longue si elles devaient encore s'arrêter pour une baignade...

La fine équipe printanière était de retour sur l'épreuve de glace, avançant avec précaution sur la surface lisse et traîtresse. L'ambiance dans le groupe s'était plus que dégradée, notamment à cause du plongeon de l'Alpha et le retard qu'elles avaient pris... Silencieuse et droite, Herrade avançait à pas comptés, regardant souvent où elle posait les pattes, sinon vers leur objectif. Encore si loin... Mieux valait être patiente.

Visiblement, leurs aventures n'étaient pas finies ; alors que la verte se permettait une petite inspection des alentours, scrutant les flots, un bruit sourd la fit stopper net, oreilles aux aguets. Surprise, elle jeta un regard vers Hisui, puis Seira, ne sachant trop à quelle origine attribuer le son. Lorsqu'elle reçut l'image mentale de l'espionne, la printanière sentit une frisson désagréable lui parcourir le dos, et elle baissa lentement les yeux vers la glace ; des fissures avaient commencé à se former à partir des bords, encore fines, mais qui savait pour combien de temps...

Tandis qu'elle déglutissait, Herrade eut une sursaut de mauvaise humeur contre ce fichu pont gelé même pas capable de résister à son passage. Elle adressa un signe à sa meneuse et son équipière : en avant, et si elle devait tomber, elle ferait en sorte de les rattraper au plus vite.

Herrade avait l'impression que malgré tous ses efforts pour rendre son pas le plus aérien possible, des fissures ne cessaient d'apparaître devant elle et sur les côtés ; les gémissements de la glace lui donnaient des frissons désagréables, et elle n'osait plus relever la tête pour regarder le chemin qu'il leur restait à parcourir. Elle craignait de n'avoir envie de faire demi-tour si les îles persistaient à rester lointaines et inaccessibles.

Un craquement plus sourd fit grimacer la printanière, qui resta un instant une patte en suspens, arrêtée dans son mouvement ; rien de pire n'arrivant, elle souffla et posa timidement son membre sur la glace, pestant intérieurement contre cette maudite situation et leur malchance chronique. Jetant de furtifs coups d’œil autour d'elle - vers Seira, qui semblait l'attendre, et Hisui, qui restait en retrait - la guerrière reprit un peu confiance. Quoi qu'il arrive, on ne se débarrasserait pas d'elles aussi facilement ; le Printemps saurait se montrer tenace et vaincre ses difficultés.

Redressant un peu la tête, dénouant ses muscles pour s'éviter d'arriver ankylosée, Herrade inspira profondément pour se détendre. De toute façon, les bains glacés ne lui faisaient pas peur ; tant que Seira lui demandait d'avancer, elle avancerait, dut-elle porter tout le monde sur son dos.

Plus le temps passait, plus l'humeur d'Herrade pâtissait de ce sentiment d'impuissance et de lenteur qui tombait sur son équipe. Bien que leur rythme apathique ne soit pas fatiguant, elle commençait à ressentir les effets du froid dans ses pattes, surtout celle récemment tordue ; pour le moment anesthésiée, elle ne tarderait pas à lancer une fois arrivée sur l'île. Ça promettait de grands moments de plaisir...

La soldate avançait tête basse, front ombrageux, jetant de fréquents coups d’œil vers ses associées et la glace sous elles. Un silence aussi lourd qu'une chape de plomb pesait sur les printanières, qui avançaient vaille que vaille. Lorsque la verte se surprit à penser à une plage de sable fin, elle eut d'abord un brusque sursaut, croyant voir revenir un souvenir de sa rencontre avec V'hallys, et sentit son pouls s'accélérer. Puis le paysage changea, et elle comprit qu'il s'agissait à nouveau du pouvoir d'Hisui. Contrariée, Herrade jeta un regard réprobateur derrière elle ; elles devaient rester concentrées sur leur objectif, pas se mettre à rêver d'îles paradisiaques ! D'autant que malgré la distance et la brume, elle doutait fortement avoir droit à du sable fin...

Elle aurait pu continuer à rouspéter intérieurement pendant un moment, lorsque Seira lui demanda de s'arrêter. Intriguée, la guerrière se redressa, regardant sa meneuse retourner sur ses pas. Quelle nouvelle idée venait de lui traverser le crâne ?

D'abord déconcertée par le discours prévenant de l'Alpha envers l'espionne, la haute louve écarquilla les yeux de surprise lorsque la petite blonde reconnut avoir dépassé les bornes en entraînant Hisui avec elles. L'ex-bourreau soutint le regard de sa Reine sans ciller, dans l'attente de ce qu'elle allait dire, figée sur place. Étant proche de Seira, elle savait qu'elle n'était pas faite de pierre, mais la voir s'excuser publiquement... voilà qui était inédit, et assez déstabilisant.

Clignant des yeux, Herrade baissa le regard vers le sol, ne sachant trop quoi répondre aux regrets de la noiraude. Elle se sentit à la fois touchée et émue des sentiments exprimés par sa meneuse, qui montrait enfin un peu de sa chaleur et sa fragilité envers son clan. Un mince sourire releva les babines de la soldate, qui ne tarda pas à relever la tête. C'est vrai, elle était fatiguée et agacée de ce début de conquête, mais elle ne le faisait pas pour elle-même, elle le faisait pour le printemps, et avec le printemps. En manque de mots pour honorer tout le bien qu'elle pensait de son clan et de sa Reine, la verte se contenta d'adresser un regard empli de chaleur et de respect à Seira, hochant aussi la tête vers Hisui. Au moins, cette épopée leur permettrait d'apprendre à mieux se connaître.

[IL VA NEIGER PTN]

Se tournant vers l'avant, la verte fit signe à ses comparses, il était temps de se remettre en route vers l'île si elles voulaient l'atteindre avant la nuit. Son cœur s'était comme allégé, de même que ses pensées, et en regardant à ses pattes, Herrade constata qu'il n'y avait plus de fissures. Son sourire s'assura, et elle posa un regard confiant sur la voie tracée qui chevauchait les eaux devants elles. Maintenant, le printemps était prêt à conquérir l'inconnu.