Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

« Arrgh ! »

C'était plus ou moins ce à quoi avait ressemblé le glapissement qu'avait lâché l'Ambassadeur Printanier lorsque sa patte s'était retrouvée engluée dans une texture visqueuse et totalement indéfinie. C'eut été d'un comique plaisant s'il n'avait pas été d'un naturel propre sur soi et surtout, surtout, s'il avait été en mesure d'identifier la provenance de cette matière sirupeuse.

La journée avait pourtant commencé d'une manière sympathique. Il avait eu le plaisir de la visite d'Herrade, Bourreau du clan, à l'aube. Il n'en avait été que modérément : il la savait d'un naturel matinal, tout comme lui. En revanche, la destination lui avait fait hausser un sourcil. Il n'avait jamais posé patte en ces terres qu'Herrade semblait connaître, elle, plutôt bien. Mais la perspective d'une nouvelle escapade ne perdait jamais de son attrait pour l'Ambassadeur avide de voyage et de nouveauté, aussi avait-il acquiescé avec entrain.

Le trajet avait été calme ; les environs déserts n'incitaient pas à de vives discussions. Orion appréciait ces marches silencieuses en compagnie de la louve verte, d'autant qu'il n'était pas très bon à bavarder sur des sujets légers. Sans encombre, donc — en tout cas jusqu'à la terrible erreur, fatidique, du genre de se cogner le doigt d'une patte dans une racine ou encore de choisir le chemin de terre plutôt que le chemin de roche par un jour de pluie. L'erreur qui vous en coûte deux heures de lavage, un bain dans une eau claire, et surtout une estime de soi au ras des pâquerettes pendant un sacré bout de temps. L'antérieur droit plongé dans ce liquide gluant et transparent — quoiqu'on puisse apercevoir des filaments d'un vert douteux —, Orion releva la tête un peu vivement en tendant les oreilles vers Herrade qui lui posait une question au pire moment. Se raclant la gorge pour essayer de retrouver quelques miettes d'assurance, il balbutia :

« L'alb... Viehrs... en Automne ? C'est l'une des questions qui restent en suspend, mais je... Un instant. »

Grommelant et se pinçant les lèvres, il se déplaça vers un bosquet en crabe afin de ne pas poser son membre arrière là où il posait l'antérieur piégé. La matière semblait suffisamment écœurante pour n'en avoir que sur une patte. Frottant sa patte avec énergie contre la maigre végétation dans l'espoir d'enlever un maximum de cette chose écœurante sans nulle doute produite par un monstre — il ne voulait même pas imaginer le type de transit intestinal qui avait abouti à cette chose —, il lança à Herrade :

« Pardon, j'ai été un peu débordé par ce... truc. Je vais être honnête avec toi, je n'ai pas de certitude et mes sources n'ont pas été en mesure de certifier son identité... Mais il se murmure au Solstice que Viehrs a été vu en Automne et qu'il aurait confirmé son allégeance à Daeron. »

Revenant vers elle, pestant intérieurement contre la créature incapable de lâcher ses fluides dans un endroit discret, et se jurant de lui faire la tête au carré s'il la croisait, il ajouta :

« Mais les Solstiens sont des gens réfléchis. Ce genre d'information ne me serait pas parvenue s'ils n'avaient été fondés à les prendre pour vérité, surtout en sachant qu'ils sont aussi alliés à l'Automne. En prenant tout cela en considération, j'estime la présence de Viehrs en Automne certaine à 80 pourcents. »

Il avait bien senti le rire contenu du Bourreau. Ses mâchoires crispées en une expression qu'elle voulait neutre dissimulaient fort mal l'hilarité d'Herrade, et Orion ne pouvait l'en blâmer. Une part de lui même riait de cet incident détestable, même s'il préférait pester en public que basculer dans l'auto-dérision. Il n'était pas très bon à ce genre d'interactions sociales qui nécessitait de l'humour — non pas qu'il soit aussi drôle qu'une pierre tombale, mais l'ambassadeur n'éclatait que rarement de rire, préférant garder un visage presque froid même lorsqu'il énonçait une idiotie comique. Il aimait considérer cela comme un humour un peu intellectuel — c'était ça ou bien admettre l'idée un peu vexante qu'il n'était peut-être pas d'un naturel très comique. Il préférait nettement la première option.

Herrade reçut les pronostics d'Orion avec un sérieux qui finit d'estomper les brides de fou rire qui auraient pu subsister. Elle était mieux placée que beaucoup pour comprendre les enjeux de la question de la traîtrise de Viehrs ; elle était certes Bourreau mais s'illustrait dans le clan par son application, son sérieux et surtout sa fidélité. L'ambassadeur savait qu'elle n'en démordrait pas ; lui aussi souhaitait que Viehrs revienne au Printemps, mais l'issue de la vie de l'ex-Printaniers serait sans nul doute un sujet de grande divergence pour les deux compagnons.

« La situation est tendue avec l'Automne, nous avons frôlé le conflit ouvert de bien trop près pour nous permettre de jouer avec le feu. La seule solution, à l'heure actuelle, est la négociation avec Daeron. »

Marchant tranquillement aux côtés d'Herrade, Orion se mordillait la babine. Ce genre de situation était un délice intellectuel, il avait là toute l'ampleur qu'il voulait pour réfléchir à des stratégies, des arguments, des manipulations si jamais une rencontre diplomatique venait à avoir lieu entre les deux leaders. L'ambassadeur pouvait dans ces rares cas revêtir le rôle à la fois de conseiller, de représentant et de stratège — un véritable moment de félicité.

« Avant de foncer tête baissée vers une rencontre entre Seira et Daeron, il nous faudra un maximum d'atouts. Si l'albinos est officiellement Automnal, il est peu probable que Daeron nous le livre gratuitement. Si l'on veut extrader Viehrs, nous devrons offrir quelque chose de suffisamment intéressant à l'Automne. »

D'aussi loin qu'il se souvenait, Orion ne se rappelait pas d'un cas similaire dans l'histoire de Four Seasons. Jamais un clan n'avait négocié le retour d'un traître réfugié chez l'ennemi. Ce serait une première, ce qui était un double poids : ils seraient confrontés à l'impossibilité de se fonder sur une négociation antérieure mais devraient tout de même tenter d'agir de manière la plus diplomatique possible, étant donné que le déroulement et l'issue de la négociation inspireraient probablement les négociateurs du futur.

« En fait, il faudrait rapidement lancer une campagne d'espionnage en Automne et même ailleurs. Trouver la faiblesse sur laquelle nous appuierons jusqu'à ce que l'on obtienne ce que l'on veut. »