Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Le soleil ne pointait pas encore au-dessus de l'horizon, mais parait déjà le ciel de couleurs pastels, oscillant entre l'azur et l'orangé. La luminosité était encore assez faible, mais ça ne dérangeait pas Herrade, qui connaissait le lieu comme sa poche. Une grosse journée l'attendait, et malgré l'heure matinale, le bourreau avançait d'un bon pas, parfaitement réveillé. La verte avait rendez-vous avec son Alpha, et il n'était pas question d'être en retard.

Le château hanté, c'était son idée. Outre la vieille masure, son jardin dévasté offrait de grandes possibilités pour s'entraîner sur un terrain accidenté et avec des obstacles, et qui sait, peut-être feraient-elles la rencontre d'ennemis improvisés et bizarres... Personne ne pouvait vraiment savoir ce qui se trouvait dans ce lieu maudit.

Assise sur les vieilles dalles de pierre formant l'ancienne allée vers la maison, Herrade regardait autour d'elle, attentive et l’œil brillant. Elle était déjà en train d’échafauder tout un planning de compétition pour leur session du jour, réfléchissant aux exercices qu'elle pourrait proposer. Mais elle n'eut guère trop de temps à y accorder que son Alpha survint, son apparition poussant automatiquement la printanière à se relever, bien campée sur ses pattes.

- Bonjour, Seira, j'espère que la nuit a été reposante.

Un fin sourire souleva la commissure de ses babines ; outre une vieille amitié, elle vouait un profond respect pour la reine du Printemps. C'est ce qui l'autorisait à faire une pointe d'humour en perspective de leur programme chargé du jour.

Seira semblait plutôt bien remise de leur session de la veille, elles pourraient donc pousser le bouchon un peu plus loin aujourd'hui. Non pas qu'Herrade ait envie d'achever son alpha, mais elle lui avait bien indiqué de ne pas la ménager, aussi la verte suivait ses consignes à la lettre.

Hochant la tête, elle approuva la référence au jeune soldat, qui lui remémora sa propre expérience en la matière. Elle en avait un peu bavé au début, mais au final, s'étant elle-même donné des objectifs très haut depuis toujours, elle s'en était sortie sans trop de mal. Et ses efforts payaient aujourd'hui, il n'y avait rien à regretter !

A la question de sa reine, le bourreau prit un air pensif, levant légèrement le menton sans la quitter des yeux. Hors de question de commencer par du trop lourd, elle ne voulait pas la casser en dix de suite, il fallait y aller par étapes et chauffer tous les muscles.

- On va commencer par un échauffement en béton pour te garder de ces vilains craquements aux articulations. Tout ton corps doit être souple et réactif. D'un signe de tête, la printanière indiqua l'allée broussailleuse qui contournait le château et menait vers les dépendances. Repoussant d'un mouvement d'épaule la porte vermoulue des écuries, Herrade désigna l'intérieur. Voilà de quoi nous faire un petit parcours d'obstacles...

S'étirant rapidement quelques instants, la verte eut tôt fait de se ramasser sur elle-même, et s'élança dans le fouillis qui encombrait les lieux ; elle bondit sur les parois des stalles, rejoignit pour quelques foulées la mezzanine surplombant la grande salle avant de sauter à nouveau sur d'antiques bottes de foin pleines de poussière, se glissa sous un vieil attelage, zigzagua encore entre les planches du plafond effondré avant de regarder derrière elle.

- Comme un parcours du combattant, mais en plus simple !

Et la voilà qui repartait à toutes pompes dans son labyrinthe de fortune, sautant, se hissant, bondissant, grimpant, faisant des tours et des détours pour mettre ses muscles en activité. Après ça, elles seraient prêtes à attaquer les choses sérieuses...

Profitant de son avance, le bourreau s'arrêta sur le siège d'une calèche en ruines, d'où il pouvait apprécier très justement les efforts de son élève du jour. Seira s'en sortait bien... mais tout juste. On pouvait sentir qu'une longue période sans entraînement régulier avait eu raison de son endurance et de la force de ses muscles, même si sa détermination valait quand même le détour.

Il fallait cependant plus que de l'obstination pour s'en sortir sans peine, et tandis que la respiration de la verte avait très vite retrouvé un rythme posé et profond, sa reine avait quant à elle perdu tout son souffle, peinant à s'exprimer d'une traite. Pourtant, Herrade ne devait pas lui faire de cadeau, elle se l'était promis ; la dernière guerre leur avait mis une claque suffisante pour qu'elle prenne en main l'entraînement de son Alpha, et en ce sens, elle ne lui permettrait aucun répit. La scrutant d'un regard neutre, la printanière annonça le verdict sans état d'âme.

- Je crains que oui. Mais tu peux utiliser des voies détournées pour gagner la sortie, si la mezzanine est trop haute.

Bien entendu, elle ne souhaitait pas vexer la noiraude, mais peut-être qu'en la titillant un peu, elle retrouverait quelques forces... S'assurant que la concernée retournait au point de départ pour reprendre l'échauffement, Herrade se glissa vers la sortie, utilisant une porte annexe qui ne tenait plus que sur un gond, et pendait mollement en travers de l'issue.

- Retrouve-moi dehors quand tu en auras fini !

A l'extérieur se trouvaient une piste de sable envahie de mauvaises herbes, mais qui restait praticable. Franchissant les barrières d'un bond souple, la printanière regarda autour d'elle, cherchant de quoi bâtir son prochain exercice.

Après quelques farfouilles et manipulations, elle regarda son terrain de choc, satisfaite. Il n'y avait plus qu'à attendre la Reine. Celle-ci ne tarda guère à se montrer, mais une fois encore, il lui faudrait faire face au caractère impitoyable de son bourreau.

- Tu as quelques secondes pour te reposer, le temps que je te montre ce qui t'attends pour la suite.

Au milieu de la piste se trouvait une sorte de... construction hétéroclite de bois, comme un grand totem bizarroïde, fruit des recherches de la verte qui l'avait traîné là à la va-vite. Elle n'avait aucune idée de ce à quoi il avait pu servir avant, mais il était lourd et des cordes encore solides pendaient de plusieurs côtés. Désignant l'ouvrage, la belle se retourna vers sa chef.

- Chacune saisit une corde, le but est de faire tomber l'engin de notre côté... prête ?

Ce qui faisait de très courtes explications et donc un temps de repos très court, mais pour épargner un minimum Seira, Herrade prit son temps pour rejoindre son camp et attraper la corde, dardant ensuite sur son adversaire ses prunelles bicolores. L'exercice ressemblait presque à un jeu, mais si son Alpha doutait de son efficacité, elle se rendrait vite compte de son erreur. C'est à un autre type d'endurance qu'elle allait devoir faire face.

- A trois ! Corde dans la gueule, le bourreau se mit en place, comptant d'une voix forte - quoi qu'un peu inintelligible. Un, g-eux, c-rois !

Elle s'arque-bouta et bloqua les muscles de ses pattes et de sa nuque, retenant la corde sans tirer trop fort. Son but n'était pas de faire basculer le totem de son côté, mais bien de le retenir face aux efforts de Seira, que la lutte dure le plus longtemps possible.

Cette première tentative n'aboutit pas vraiment comme prévu, le pilier de bois ne daignant guère bouger que d'un pouce. Herrade se demanda un court instant si elle l'avait trop renforcé pour qu'il soit bien droit, ou si les efforts de Seira étaient insuffisants pour l'ébranler. Afin de tirer la chose au clair, elle donna du mou, se redressant un peu et guettant la suite.

Immédiatement, le totem oscilla, penchant vers la noiraude. Bien, c'est donc qu'elles pouvaient le faire bouger finalement ! Il ne restait qu'à motiver Seira... La verte laissa leur poteau géant pencher vers son Alpha, puis reprit sa prise sur la corde, faisant quelques pas en arrière pour le ramener vers elle. Un peu de difficulté, que diable...

Ancrant fermement ses pattes dans le sable, ramassée sur elle-même, Herrade tirait en arrière, grignotant du terrain, et surveillant Seira du coin de l’œil. Si elle lâchait la corde, il lui faudrait réagir vite pour s'écarter avant de recevoir le totem sur la tête... Pour l'heure elle tenait bon, alors autant en profiter pour varier un peu l'exercice !

Reculant d'un nouveau pas, la printanière bondit sur le côté, faisant pivoter la construction avec elle, et tira d'un coup sec dessus pour déstabiliser Seira. Il lui faudrait s'accrocher pour maintenir le cap...

- G-u nerf, k-ire 'ei !

Ce qui signifiait quelque chose comme "du nerf, tire Sei !" avec une corde coincée dans la gueule. Sans attendre, le bourreau reprit son manège, sautant de nouveau d'un autre côté, variant les pressions sur la corde et l'orientation de leur outil d'entraînement. Elle était déjà en train de penser à la suite pour parachever la formation de la noiraude... Pour l'heure, toutes deux semblaient danser autour du mât alors que les premiers rayons du soleil venaient éclairer le château d'une lueur dorée.

La nouvelle tactique fonctionna bien au-delà des espérances de la verte, qui se retrouva même bien surprise à la première feinte de sa Reine. Esquissant un sourire grimaçant - à cause de la corde - en voyant la noiraude retrouver du poil de la bête, le bourreau la laissa mener la danse, appréciant ses efforts et les belles manœuvres auxquelles elle la confrontait, et qui souvent la prenaient de court. Bien, elle avait su réveiller l'instinct hargneux de Seira, il était temps de retrouver un peu de sérieux !

Suivant cette fois-ci le bond de son Alpha, Herrade bloqua ses muscles et recula d'une traite, prenant un net avantage dans l'inclinaison du poteau. Il serait à présent plus difficile à son adversaire de bondir de côté, surtout si elle voulait récupérer le trophée ! Les muscles bandés, dessinant des courbes nerveuses sur son corps athlétique, la printanière tenait ferme sa position, laissant échapper un grondement bas involontaire sous la pression qu'elle maintenait. Tenant ferme sa position, elle attendait de voir comment la jolie blonde pourrait se sortir de cette nouvelle difficulté, mais la tension exercée sur la corde ne la trompait pas : la lutte serait rude.

L'issue était simple : soit Seira parvenait à reprendre le contrôle de la situation, soit Herrade remportait la partie, soit... les cordes, qui grinçaient à qui mieux mieux, finiraient par subitement les lâcher, mettant fin à l'exercice.

Habile. Quand il s'agissait de compenser la force par une ruse, Seira était vraiment impressionnante, et tandis qu'Herrade surveillait son stratagème, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir de l'admiration pour la louve noire, qui régnait sur le Printemps d'une patte de fer. A tel point que sur le coup, elle ne pensa même pas à riposter pour l'empêcher de parvenir à ses fins...

Le bourreau réalisa un peu tard que le totem déviait vers sa Reine, et tandis que toutes ses forces étaient invoquées pour lancer la parade et tirer de son côté, la tension eut finalement raison de la corde. Il y eut une sorte de craquement bref et étouffé, et surprise, la printanière se retrouva le museau dans le sable, ne s'attendant guère à ce que que la chute soit si rapide - elle était quand même en train de tirer en y mettant tout son poids...

Sur pattes en un instant, elle fit volte-face pour s'assurer que tout allait bien du côté de Seira, mais au moment où elle posait les yeux sur elle, sa vision de la scène fut bouchée par la construction de bois, qui souleva une poussière vieille de mille ans en heurtant le sol.

Impuissante, la verte en fut réduite à tousser avant de pouvoir intervenir, les larmes aux yeux et la truffe coulante. En deux bonds, elle contourna leur jouet écroulé et chercha des yeux son Alpha, sur le qui-vive.

- Seira ? Tout va bien ?

Son regard inquiet finit par apercevoir la silhouette noire, qui semblait indemne. Leur édifice avait dû s'écrouler plus lentement qu'elle ne le pensait, et sa Reine avait certainement anticipé le point de chute pour se décaler.

- Eh bien, on va pouvoir passer à autre chose.

Un fin sourire carnassier étira les babines d'Herrade, avant qu'elle secoue la tête, retrouvant un peu de sérieux, et souhaitant rassurer Seira avant que celle-ci ne s'inquiète de savoir à quelle sauce elle serait mangée.

- Quelque chose de nécessaire mais de plus pacifique. Il faut étirer nos muscles après tous ces efforts, surtout les pattes, le dos, la nuque... Bon, tous en fait.

Taquine, la printanière laissa glisser ses antérieurs dans le sable, sentant avec délice son dos se détendre, roulant sa nuque sur ses épaules pour la dérouiller. Elle accueillait également avec bonheur la chaleur timide du soleil, qui bientôt brillerait haut dans le ciel ; c'était le meilleur moment pour profiter de sa présence, à son humble avis.

Seira était bien évidemment indemne, mais elle semblait en plus motivée à poursuivre leur entraînement, ce qui combla son bourreau de satisfaction. Tandis que le corps longiligne et musclé d'Herrade s'étirait avec délice en avant, en arrière et sur les côtés, elle observa son Alpha, qui imitait ses moindres gestes. A priori, sa blessure ne tirait pas encore trop fort, elles pouvaient donc poursuivre pour un temps. La verte restait vigilante à ce sujet, mais ne voulait pas épargner pour autant la jolie blonde ; s'il fallait composer avec la douleur, on était tout le temps tenté de remettre à plus tard ou de ne pas se donner à fond. Mais il était crucial d'entretenir les muscles et la souplesse du corps, pour elle, ça contribuait d'autant plus à une bonne récupération.

La petite déclaration de Seira souleva la commissure des babines de son amie, touchée mine de rien par cette marque d'affection. Elle s'étira longuement en poussant loin devant et fermant les yeux, puis se redressa, concentrant à nouveau son regard bicolore sur la Reine du Printemps.

- J'aurais eu du mal à te confier à d'autres pattes que les miennes. La verte laissa planer un court silence, avant de reprendre, mimant un air de réflexion distrait. Je pense que j'aurais été un peu vexée si tu avais demandé à quelqu'un d'autre, aussi.

Le bourreau secoua la tête, faisant valser les dreads blanches retenues sur sa nuque. Même si elle savait ce genre de sentiment peu honorable, elle se connaissait assez bien pour estimer que ce n'était que pure vérité. Sans aller jusqu'à la trahison, elle aurait certainement été peinée que Seira se tourne vers quelqu'un d'autre, même si sa longue absence aurait parfaitement pu justifier une telle décision.

- Bien, on reprend ?

Question purement rhétorique, évidemment que la séance reprenait ! Sans d'ailleurs laisser le temps à la noiraude de protester, Herrade se détourna, faisant quelques pas dans le sable, portant son regard sur la maison puis les jardins qui s'étendaient derrière. Intérieur, extérieur ? Aller, une petite session d'intérieur, il y aurait bien quelques éléments à exploiter.

- En avant ! Direction le château.

Lancée d'un bon pas, la printanière franchit la haute porte de la sombre demeure, s'arrêtant un court instant sur le seuil pour décider de la direction à prendre ; elle opta pour un grand escalier de pierre, les menant à la découverte des hauteurs de la salle.

Un instant retombée en enfance, Herrade se rappela ce que lui avait raconté Rage une fois. Le château était utilisé comme lieu de vie au temps de Moune, mais depuis tout le monde l'avait déserté pour la clairière proche du Champ de cerisiers. Quand on connaissait l'histoire du clan, ce n'était pas vraiment étonnant, et le lieu avait un petit côté assez glauque. Se faufilant entre d'immenses toiles d'araignées qui tombaient mollement du plafond, la verte se dit qu'elle aimait bien l'endroit quand même.

Au premier palier, elle se dirigea vers une salle sur la droite, et se stoppa net à l'entrée. Un rapide examen de la place sembla convenir à ses exigences, et elle se retourna vers Seira, tout sourires.

- J'ai une nouvelle tâche pour toi.

Se décalant d'un pas, elle présenta à sa Reine le spectacle d'un plancher en grande partie effondré, où ne subsistaient que des poutres clairsemées mais visiblement encore solides. De la végétation avait envahi les lieux et infiltrait ses racines entre les vieilles pierres, formant une sorte de jungle luxuriante qui surgissait de partout. Le vide pouvait happer à tout moment l'imprudent qui ne mettrait pas sa patte au bon endroit, mais Herrade se savait maîtresse de la situation. Voilà pourquoi elle ne craignit pas de désigner la fleur qui poussait de l'autre côté de la salle, accessible uniquement par le trajet difficile et acrobatique des longues poutres de bois qui quadrillaient la zone.

- Serais-tu assez bonne pour me ramener cette belle fleur ?

Le ton était tout à fait innocent, mais en réalité, la printanière était totalement concentrée sur son analyse de la zone et des dangers, prête à veiller au grain sur l'avancée de la noire, et surtout à réagir au quart de tour si elle faisait un choix malheureux.

On pourrait la juger cruelle voire inconsciente, mais cet exercice était indispensable à ses yeux. Nul ne savait ce que le destin et Outa-Ranos pouvaient mettre sur sa route, il fallait être prêt à tout, savoir observer son environnement et se préparer au pire, en toutes circonstances.

Comme prévu, il en fallait bien plus pour arrêter l'Alpha, qui se chargea de sa mission avec un enthousiasme déconcertant. Le bourreau la regarda faire, amusé, mais retrouva bien vite son sérieux lorsque la blonde sauta sur la première poutre, qui grinça son mécontentement d'un tel remue-ménage. Sur le qui-vive, Herrade ne lâchait pas sa Reine des yeux, les griffes enfoncées dans la pierre, prête à dégainer un filet au moindre souci. Il lui faudrait trouver en plus de ça le juste en milieu entre un danger potentiel - si Seira glissait mais se rattrapait sans encombres - et un danger réel - si la petite louve noire basculait carrément dans le vide. Cet exercice ne serait pas de tout repos pour ses nerfs, et la verte s'étonnait même de l'insouciance de sa comparse, qui trouvait visiblement le moment opportun pour sortir de vieux souvenirs poussiéreux de leurs tombeaux.

- Ça commence à remonter... Cette évocation eut au moins le mérite de ramener un fin sourire sur les babines barrées de vert sombre. Mais je m'en rappelle comme si c'était hier.

Comment oublier son adolescence en compagnie de Vice et Seira, à s'entraîner sans relâche et à les harasser pour qu'ils s'y donnent à fond ? Elle était déjà comme ça à l'époque, tenace, têtue, horripilante... En réalité, elle n'avait pas tant changé, si ce n'est qu'elle s'acharnait plus discrètement sur ses pairs.

- Étonnant comme je me rappelle des bleus et des bosses comme de bons souvenirs. On en a récolté beaucoup.

Chacune à leur niveau, elles bossaient d'arrache-patte pour devenir plus fortes ; Seira, en jouant sur sa vitesse et son agilité, Herrade forçant son endurance et sa robustesse. Un vrai duo de choc !

- Rage ne nous ménageait pas beaucoup, mais je pense qu'il avait bien raison.

C'était la première fois qu'elle évoquait un souvenir de son père à voix haute depuis son retour, et son souvenir la rendit muette, plongée dans ses pensées. Une faible partie d'elle-même persistait à suivre les mouvements de la noiraude, et elle dut se faire violence pour s'y consacrer à nouveau pleinement, babines scellées dans un mutisme chagriné. Mieux valait se concentrer sur le présent plutôt que de remuer la poussière.

Regard acéré et yeux plissés, Herrade suivait les moindres mouvements de son Alpha, sa tête se mouvant seule pour l'accompagner sur toute la surface de la pièce. L'éloge que Seira fit de son père alluma une flamme brûlante dans le cœur du bourreau, qui se laissa aller à un petit sourire, sans perdre sa concentration pour autant. Le meilleur professeur et le meilleur papa, sans hésiter. Il avait beau paraître moqueur et cruel, en réalité il s'intéressait à chacun de ses élèves, l'éclairait sur ses forces et ses faiblesses, et savait quel exercice imposer pour devenir meilleur ou combler ses difficultés. Et il n'oubliait rien ; chacun de ses apprentis était inscrit dans sa mémoire avec son parcours et sa fiche technique, impossible de lui échapper. Il avait ce don d'exploiter toutes les capacités, même les plus improbables, pour faire des jeunes des soldats doués et sûrs d'eux.

- Je me rappelle comme tu nous mettais la misère à chaque fois. A l'époque, ça m'avait vraiment vexée.

Herrade eut un petit rire ; heureusement, elle avait eut le temps de grandir et mûrir depuis. Mais en petite merdeuse gonflée d'orgueil, voir son amie maigrelette la surpasser et recevoir les félicitations de son paternel, ç'avait été dur. Au moins, cet entraînement avait porté ses fruits aujourd'hui, c'est ce qu'il fallait en retenir !

- J'espère que je serai à la hauteur pour te rendre encore plus forte...

Son sourire n'avait pas disparu ; il s'accentua même en une grimace taquine. L'exercice ne serait pas aussi simple, il était bien temps de renouveler l'exercice de feu son père... La surprise pouvait être un bon entraînement aussi !

Plissant ses prunelles dorées, Herrade fit jaillir une fine liane de végétaux pendant mollement au-dessus de Seira ; son filin s'enroula autour de la fleur, et l'arracha sous le museau de l'Alpha. Une autre liane surgit et prit le relais pour l'emmener un peu plus haut, hors de portée... A moins que la noiraude ne se remette à l'escalade.

- ... Et j'espère que tu le seras aussi pour venir à bout de mes exercices.

Il n'y avait rien de cruel ni de mesquin dans sa voix, mais on sentait qu'elle était contente de la tournure de la situation. Elle avait hâte de voir comment Seira s'en sortirait.

Il en fallait bien plus pour démonter l'irréductible enthousiasme de Seira que de lui voler une petite fleur ; ni une ni deux, l'Alpha prit son élan et bondit en direction de sa cible, créant un chaos de poutres vermoulues effondrées sous ses pattes. Suivant ses efforts des yeux, tout en tâchant de maintenir la fleur à distance, Herrade souriait toujours malicieusement, se jouant de la patience et des tentatives de sa chef. Elle s'en sortait bien assez pour que l'exercice dure quelques temps, et très vite la fleur fut de nouveau en sa possession !

Le bourreau l'aurait bien félicitée, mais dans l'instant qui suivit, la noiraude était en train de glisser le long de la liane, droit vers le vide hérissé d'échardes qui s'étalait en dessous. Retenant un hoquet de surprise, la verte réagit dans la seconde, et peu importe si ça mettait fin à l'exercice ; elle réunit une grande concentration et créa un large et solide filet pour retenir la chute de Seira, tendu entre les murs de vieilles pierres. Moins une... mais ce n'était pas fini.

- Ça ne tiendra pas longtemps, je serais toi je me sortirais rapidement de là.

Ce qui, ma foi, était aussi une bonne manière de mettre fin à cet exercice. Pour enchaîner avec le suivant, bien entendu !

Une fois de plus, il y eut plus de peur que de mal. Discrètement, le bourreau s'octroya un petit soupir de soulagement lorsque Seira fut grimpée sur la poutre. Elle semblait fatiguée, mais la verte se contenta de répondre à sa prière par un petit sourire. On verrait ça plus tard. Il est vrai que pour l'heure, l'exercice allait varier un peu.

- Tu t'en es bien sortie. Bravo.

Herrade fit quelques pas en arrière, libérant l'accès qui retournait vers les escaliers principaux. Faisant volte-face, elle regarda les lieux, pensive. A ce train là, elle risquait de réduire sa reine en miettes avant même que le soleil atteigne son zénith... Peut-être faudrait-il tabler sur des exercices moins casse-cou.

Un affrontement, par exemple, c'était simple et ça permettrait de lui faire travailler son corps à corps ! Hochant la tête pour elle-même, la printanière regarda les grands escaliers, puis une porte sur sa droite ; elle menait à une nouvelle pièce, spacieuse et avec un sol en pierres. Pas encore effondré, mais personne ne pouvait deviner combien de temps tout ça tiendrait encore...

Marchant d'un pas résolu jusqu'au centre de la pièce, le bourreau se retourna vers son Alpha, la mine déterminée. Autour d'elles, le long des murs, les vieux candélabres et les armures rouillées constituaient un étrange public. D'une voix forte, la verte harangua sa supérieure.

- Voyons ce que tu vaux en combat singulier.

Droite sur ses hautes pattes, elle attendit l'offensive, un petit sourire se formant au coin de sa babine.

- Tous les coups sont permis, bien sûr.

Seira avait un petit avantage sur son bourreau dans cette pièce : l'absence totale de végétaux empêchait celui-ci de faire usage de son pouvoir, ce qui pouvait faire une sacré différence dans leur combat. Mais celui-ci était biaisé dès le départ, l'Alpha se remettant à peine d'une longue série d'exercices ; c'était exactement ce que recherchait Herrade, pourtant. Aucun assassin, aucun mercenaire n'attendrait que la reine du printemps soit fraîche et dispose pour l'attaquer ; elle devait pouvoir riposter à tout moment.

S'esquivant avec rapidité, Seira utilisa les armures pour attaquer la verte sous un nouvel angle, fonçant sur elle tête baissée. Celle-ci secoua légèrement la tête, puis courut de même vers son adversaire. Elle glissa au dernier moment sous le museau de la noiraude, s'aplatissant dans la poussière pour lui asséner une poussée d'en-dessous, parvenant à la propulser en arrière puis la plaquer au sol. Debout au-dessus d'elle, le bourreau la morigéna.

- Seule toi connais tes faiblesses lorsque l'ennemi attaque. Ne fonce pas tête baissée, sers-toi de tes atouts. La verte recula de quelques pas, puis reprit plus durement, sourcils légèrement froncés. On recommence.

Elle voulait extirper le meilleur de sa reine, s'assurer de la rendre invincible face à n'importe quel adversaire ; pour ça, elle comptait bien la pousser dans ses derniers retranchements. A peine un instant plus tard, le bourreau revenait à l'attaque, chargeant la petite louve noire, les crocs dévoilés. Elle n'avait pas peur de se prendre une défense corsée ; elle était prête à tout donner pour que Seira soit prête au combat.

Herrade freina des quatre fers avant de percuter Seira, et fixa son Alpha tandis que ses dernières paroles parvenaient enfin à ses grandes oreilles. Une réplique cinglante lui monta à la gueule, mais elle se brida pour peser ses mots ; si elle ne souhaitait rien cacher à Seira, il était cependant inutile d'enfoncer le couteau dans la plaie. Le bourreau poussa un petit soupir, et baissa la tête vers sa Reine. La noiraude avait tant de prestance et d'assurance que son fidèle bras droit avait parfois tendance à oublier leur différence de taille, et les complexes que devaient nourrir la blonde.

- En étant plus petite et plus maigre, tu es plus difficile à atteindre ; c'est là l'important, ne pas se faire toucher, même en combat de face. Prendre de l'élan et foncer dans le tas, c'est bon pour moi, mais toi il te faut étudier davantage l'adversaire. L'observation suffit parfois, en fonction de la course, de la manière dont l'ennemi se ramasse sur lui avant d'attaquer, tu peux estimer s'il va bondir, frapper de la patte gauche, droite... Et c'est là qu'intervient l'esquive. C'est un élément capital du combat, et c'est une très bonne chose que tu excelles là-dedans.

Herrade se détourna et fit quelques pas pour se repositionner un peu plus loin, se campant fermement sur ses solides pattes. Le regard qu'elle lança sur Seira était sérieux et pénétrant : elle attendait une grande attention de sa part, et beaucoup d'efforts pour l'application.

- Taper fort, c'est bien ; mais la plupart du temps, ça ne suffira pas. Ta frappe n'a pas besoin d'être forte si elle est bien placée... Grâce à ta vitesse, tu as la possibilité de devancer l'ennemi, de te positionner hors de son champ de vision, ou à tout autre endroit où il lui sera malaisé de t'atteindre rapidement ; à ce moment-là, tu peux frapper.

Le bourreau fronça légèrement les sourcils, tout à son discours, les oreilles tendues vers son Alpha.

- Et comme je le disais, tu dois être en mesure de savoir où frapper pour faire le plus mal : tendons, artères, espace entre les os, les points faibles abondent et ils sont sensiblement identiques pour chaque loup, certainement pas hors de ta portée ; ce que tu dois être capable de faire, c'est analyser à chaque instant quelle ouverture est la plus propice pour faire le plus de dégâts, en te déplaçant en fonction de ton adversaire. Par exemple...

A pas mesurés, la verte s'approcha à nouveau de sa Reine, avançant vers elle lentement pour mimer l'ennemi en approche ; une fois à portée de la blonde, elle leva haut sa patte droite, prête à trancher droit devant elle. Ses prunelles bicolores ne quittèrent pas Seira.

- Si je t'attaque comme ceci... Comment vas-tu riposter ?