Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Si la mère de Mae fut surprise de mettre au monde un hybride moitié loup-moitié tigre qui avait hérité de ses ailes, elle ne le laissa jamais paraître. Elle-même guérisseuse errante, il semblait qu’elle était tombée enceinte d’un client qui avait jugé que de se transformer en tigre pour lui faire vivre l’expérience unique de se reproduire avec un félin était une preuve de gratitude qui valait bien d’avoir été sauvé d’une maladie qui aurait pu le tuer. Maeya ne sut jamais vraiment par contre si sa mère avait été ou non consentante, et à l’amour qu’elle lui donnait il n’en avait que faire, honnêtement.

Il passa donc les premiers mois de sa vie à apprendre le fonctionnement globale des choses du monde, élevé par une mère monoparentale qui l’aimait plus que tout au monde et à laquelle il le rendait bien. Il comprit rapidement que ses traits félins n’étaient pas normaux, et que ronronner n’était pas un acte de loup. Sa mère ne le lui reprocha jamais, cependant, et il aimait tellement ronronner (en plus qu’il ne contrôlait pas toujours ça) qu’il n’en fit pas de cas. Quand il fut assez grand pour voyager, elle reprit la route.

Pendant des années, il voyagea avec elle, apprenant plein de choses fascinantes sur les plantes, sujet sur lequel sa mère semblait inépuisable, et qui le fascinait. Il en venait à poser automatiquement toutes les questions qui lui passaient par la tête (C’est quoi le nom? À quoi ça sert? Comment il faut le préparer? À quoi dois-je faire attention? Quels sont les mélanges à ne surtout pas faire avec? Quelle posologie ne doit pas être dépassée? Où puis-je en trouver?) dès qu’il voyait une nouvelle plante. Quand elle s’occupait d’un patient, il l’assistait, l’coutait commenter, lui donner des conseils, posait des questions, l’avertissait parfois quand elle était en train de commettre une erreur, jouait au jeu « es-tu capable d’identifier le mal et le traitement tout seul? » Il adorait ça, il se sentait bien quand il travaillait avec sa mère.

Il comprit très rapidement 2 choses au cours de ses voyages. La première, c’était qu’il ne vieillissait plus, ou pas. Il voyait des adultes, des adolescents, des louveteaux plus vieux que lui physiquement alors qu’il était né avant eux! Au début il trouva ça intéressant, et même plaisant. Lui il serait toujours jeune, il ne serait jamais un vieux ennuyant et pas drôle. Mais rapidement il comprit aussi que c’était très limitant. Les adultes pouvaient faire beaucoup de choses que les enfants ne pouvaient pas faire, c’était frustrant. Quand il s’en ouvrit à sa mère, elle sembla triste, le serra contre elle et lui murmura : tu seras toujours mon petit garçon et je serai toujours auprès de toi pour te protéger et m’occuper de toi.

La deuxième chose qu’il constata ne pas être normale chez lui, ce fut à propos de ce qu’il avait (ou plutôt n’avait pas) entre les deux jambes. Sa mère n’arrêtait pas de lui dire qu’il était un mâle, et pour en avoir croisé beaucoup, et avoir croisé aussi des femelles, il était d’accord avec elle. Il avait la voix d’un mâle, l’allure physique d’un mâle, et il pensait comme un mâle. Mais entre les jambes, il était une femelle… Troublé, il passa plusieurs fois des longues secondes à épier l’entrejambe des mâles que sa mère soignait, discrètement bien sûr. Il avait envie d’y toucher, se sentait comme attiré par ce… jouet? Oui un jouet, comme un jouet pour gamin. C’était parce qu’il n’était pas un vrai mâle? Parce qu’il était en partie femelle? Il ne le savait pas, mais il déduit de lui-même que c’était une obsession malsaine et la rangea loin dans son esprit, sans jamais totalement se débarrasser de cette curiosité pour les « vrais » mâles, cependant.

Il mena cette vie jusqu’à ce sa mère tombe malade. À ce moment, il avait déjà son collier et son brassard, cadeaux de remerciement de loups qu’il avait aidé à guérir. Trouvant une grotte où il pourrait s’occuper d’elle, il commença à essayer de la soigner, à lui ramener de la nourriture et de l’eau, à prendre soin d’elle comme elle avait pris soin de lui. Ce ne fut pas suffisant. Il était incapable de guérir sa maladie, et il voyait dans le regard de sa mère qu’elle le savait depuis le début. Elle lui avait menti. Elle ne serait pas toujours là pour lui. Mais il ne pouvait pas lui en vouloir. Elle n’était pas malade quand elle lui avait fait la promesse. Il passa plusieurs jours à continuer de tenter l’impossible, et dû se résoudre à déclarer forfait. Elle allait mourir, et l’idée lui en était insupportable.

Il passa à l’action un matin, alors qu’il lui ramenait de l’eau. Elle était si faible, et si souffrante… même avec des plantes pour chasser la douleur, il pouvait voir à quel point elle souffrait. C’en était trop, elle n’avait pas mérité de souffrir comme ça, et il devait faire quelque chose. Il se procura une plante que sa mère lui avait toujours déconseillé d’approcher, une plante hautement toxique, avait-elle dit. Il en broya les feuilles et les mélangea à l’eau. Il espérait qu’elle ne se rendrait compte de rien. Comme tous les matins, après lui avoir approché sa ration d’eau, il se glissa sous son aile et se blottit contre son flanc. En pleurant silencieusement, il la regarda, yeux fermés, ingérer le poison mortel qu’il lui avait préparé.

Se roulant en boule, il éclata en sanglots quand il comprit qu’elle savait ce qu’il lui avait fait, alors qu’elle pressait faiblement son museau contre son oreille et murmurait de la voix la plus douce le plus émotionnellement empreint des « je t’aime » qu’elle ne lui avait jamais adressé, juste avant de prendre sa dernière inspiration. Quelques heures plus tard, c’est la gorge nouée et les yeux rougis qu’il quitta la caverne. Se retournant pour poser une dernière fois son regard sur le corps de sa mère, sa gorge brisée ne lui permit d’articuler faiblement que deux mots, qui s’évadèrent de sa bouche d’une voix tout aussi cassée par les émotions : « Plus jamais… » Et en se détournant, il se jura intérieurement sur l’âme de sa mère que la première fois qu’il avait utilisé ses connaissances pour donner la mort serait aussi la toute dernière.