Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Dans un très léger pépiement, l'hirondelle brune tourne autour du grand loup brun, délivrant ses informations avant de réintégrer le tatouage qui lui est dévolu. Keid'il'An fronce les sourcils ; un nouvel intrus s'est présenté sur leurs terres. Et s'il y a quelque chose que le chef Solstien n'aime pas beaucoup, ce sont les intrus.

Si encore il avait été identifié comme clanique, la situation aurait pu être différente, la discussion engagée - peut-être. Mais sans plus d'informations, il n'est pas question de laisser la situation en tant que telle. Le Juste a déjà beaucoup de choses à faire et à organiser avant leur départ vers l'étrange Archipel, alors il n'est pas question de traîner. Le mieux est encore d'aller voir en personne de quoi il s'agit.

La haute masse du loup se meut entre les roches de la montagne, descendant un sentier à peine visible et escarpé, que ses larges pattes connaissent pourtant par cœur. Rares sont les solstiens peu habiles dans les roches de leur habitat, mais le chef se fait un devoir de connaître les moindres recoins du territoire, d'être efficace en toute situation. Aussi, maintenant qu'il sait que l'intrus se dirige vers le vieux fort, dissimulé dans la forêt, il ne perd pas de temps et emprunte un raccourci. Une voie dangereuse pour un loup normal, mais une habitude pour le brun.

Bientôt, la végétation est de plus en plus fournie autour de lui, coupant toute notion d'horizon et de ciel dégagé ; c'est au moins le signe qu'il approche. Les hauts murs de pierres ne tarderont pas à apparaître au détour d'un virage, et alors, il sera fixé sur la conduite à tenir.

Quand le fort se dresse devant lui, Keid pose son regard sérieux dessus, l'examinant de haut en bas. Son pas se fait plus discret, malgré sa carrure imposante, et il pénètre sans bruit l'enceinte de pierres, regardant de tous côtés où peut se trouver le nouveau venu.

Ce dernier n'est en vérité pas difficile à débusquer... Cette dernière, d'ailleurs. Debout, une expression renfrognée sur le visage, le haut loup se demande quelle démarche adopter à présent. Il n'avait pas prévu que son fameux intrus serait une demoiselle gringalette en pleine crise d'inanition. La Tribu n'aime rien moins que les étrangers, même si des exceptions se créent grâce aux pactes conduits avec les clans de Four Seasons ; mais le Juste reste intègre derrière sa façade dure, et il n'a pas envie de laisser cette gamine là, inconsciente.

Du bout de la patte, il fait une première tentative de contact, pas trop brusque, mais ferme. En l'absence de réaction, il pousse à nouveau la louve, marmonnant dans sa barbe, regrettant déjà sa décision. En d'autres temps, il aurait pu demander à l'un de ses exécuteurs de l'emmener à la frontière, voire de la faire disparaître... Mais depuis, il a rencontré des pairs à l'esprit plus ouvert que le sien, et il ne s'imagine pas les regarder à nouveau dans les yeux avec ce cas sur la conscience.

La demoiselle semble dans les vapes pour de bon, et s'il en croit les borborygmes que son estomac produit malgré tout, son état ne va pas s'arranger de suite. Bon. Autant la prendre en charge. Efficace comme d'habitude, le solstien attrape l'autre par la nuque, la soulevant sans difficultés - cette crevette n'a décidément plus grand chose d'autre que la peau sur les os. Avançant d'un pas décidé, il la conduit tout droit dans la noirceur du fort, se guidant sans mal dans l'obscurité. Après quelques détours dans les passages et souterrains de la vieille bâtisse, il parvient enfin à destination : dans une grande salle illuminée par des puits de lumière, le bruit caractéristique de la source retentit, clair et pur.

Il ne peut lui proposer que de l'eau à l'heure actuelle, mais la fraîcheur de l'ondée commencera déjà à la revigorer. Et puis, ici elle pourra répondre à ses questions tranquillement. Déposant la louve étrange au sol, devant le bassin limpide, il agite quelques gouttes de la surface vers son visage, l'aspergeant à petites doses.

« Il faut se réveiller maintenant, jeune dame. »

Sa puissante voix éveille quelques échos contre les parois, et dans les hauteurs du plafonds, des plantes en cascade bruissent doucement. Le courant d'air frais qui leur parvient achèvera peut-être de remettre sa visiteuse sur pattes.

Encore un peu, et il finira par croire qu'elle va mourir ici et maintenant, sous ses yeux. Voilà quelque chose de déplaisant aux yeux du Juste, qui maintient son regard perçant sur la frêle silhouette, comme pour l'encourager à se réveiller. À force de patience, elle émerge enfin, pantelante... pour bondir de côté, vive comme l'éclair. Arquant brièvement les sourcils, Keid repose la patte avec laquelle il allait la secouer encore un peu. Eh bien... au moins elle est réveillée à présent. En panique, mais plus ou moins consciente. Il ne faut pas longtemps au regard acéré du solstien pour voir qu'elle tangue, et que le manque de nourriture ne tardera pas à la rappeler dans les limbes.

« Qui êtes-vous??! »

Ah, elle a quand même la force de poser des questions et de s'inquiéter de sa situation... Quoi qu'au final, c'est davantage une perte d'énergie inutile, mais bon, le brun est mal placé pour la blâmer. Il ne doit pas faire figure d'apparition réjouissante au réveil. Malgré son léger embarras, il adopte son ton le plus doux possible, un chatoiement grave et posé.

« Je m'appelle Keid'il'An, et je fais partie de la Tribu du Solstice. »

Méfiante, la demoiselle regarde autour d'elle, comme pour réfléchir à un plan de secours. Des deux, le haut loup est le seul à savoir que c'est une vaine tentative, mais ne veut pas l'effrayer encore plus ; mieux vaut qu'elle boive et tâche de retrouver des idées claires, tandis que lui reste à une distance respectueuse, l'observant calmement sous couvert de l'obscurité. Prenant une courte inspiration, il hésite à lui dire que boire trop d'eau fraîche avec le ventre vide pourrait lui faire plus de mal que de bien, mais elle se retourne à nouveau, dardant sur lui ses prunelles enfiévrées.

« Que voulez-vous de moi? »

Le masque inanimé du Juste reste de marbre, mais cette réaction l'ennuie légèrement ; il n'a après tout aucun plan à propos de cette nouvelle venue, si ce n'est de lui porter quelque secours. À pas lents, il choisit finalement d'entrer dans la faible lumière, histoire qu'elle voie pleinement son interlocuteur, et l'absence de mauvaises intentions chez lui.

« Absolument rien, en réalité. »

Il se laisse observer par l'intruse, qui grogne à son encontre, le défiant d'approcher encore. Conservant une distance de courtoisie, le solstien finit par s'assoir, raide comme à son habitude, mais ne montrant aucun signe d'animosité. Au contraire, il tâche de casser son image de froideur et de discipline, réservée aux rapports des siens, pour afficher un grand calme.

« Je vous ai trouvée inanimée sur l'esplanade ; n'ayant pas de vivres solides sous la patte présentement, j'ai pensé qu'un peu d'eau pourrait vous faire du bien. »

Il se tait, détaillant à son tour l'étrangeté de sa vis-à-vis ; depuis que les clans se sont dévoilés à leur connaissance, Keid'il'An a eu l'occasion de rencontrer des individus aux pelages et attributs variés - bien plus qu'il ne croyait exister. Cette jeune louve apporte encore quelques nouveautés à son panel réduit, bien qu'il ait du mal à comprendre la matière exacte dont est faite sa queue dans la lumière réduite.

Espérant avoir apaisé un peu des craintes de la demoiselle, le brun reprend son examen de la situation, tâchant de rester toujours poli et avenant - la deuxième qualité étant un défi de taille pour lui.

« Savez-vous où vous vous trouvez ? »

L'inconnue semble encore méfiante, malgré tous les efforts du Juste. Intérieurement, ce dernier espère qu'elle finira par baisser sa garde, parce qu'il a atteint les limites de gentillesse et de patience dont il se sent capable. Il n'a pas le talent de l'Honorable pour mettre les gens en confiance, en général c'est son sérieux et sa rigueur qui peuvent rassurer dans les situations de crise. Petit à petit, la demoiselle semble accepter sa présence et ses arguments, s'asseyant en face de lui. Elle semble toujours tourmentée, mais au moment où il croit avoir droit à une réponse construite, la voilà qui se rue à nouveau vers la source, plongeant la tête dans l'eau et suscitant l'étonnement chez son interlocuteur.

Le faciès impénétrable du solstien se distend quelque peu tandis qu'il arque un sourcil ; cette réaction est totalement imprévue, cette jeune louve doit avoir besoin d'un repas plus vite qu'il ne le pensait. Lui accordant un petit répit, il déplace son regard de glace vers les parois, attendant qu'elle récupère quelques maigres forces ; il l'oublie régulièrement, mais l'ombre et sa mauvaise vision n'aidant pas, il à tendance à fixer les gens et occasionner une certaine gêne chez eux. Ce n'est pas forcément l'idéal lorsqu'on rencontre une créature en détresse et particulièrement méfiante.

Lorsqu'elle retourne s'assoir, calmée, il la regarde à nouveau, dans l'expectative ; elle a l'air d'être habituée de la vie en solitaire, mais aura sûrement besoin d'une aide pour trouver rapidement de quoi se nourrir. Sans quoi, ses jours seront menacés...

« Excusez moi pour cette scène un peu étrange... Mon ventre me fait terriblement mal... » Voilà qui confirme ses pensées. Attentif, il attend qu'elle poursuive. « Non, je n'ai aucune idée d'où nous sommes... Mais j'ai faim, et je suppose qu'ici, je ne vais trouver aucune nourriture d'une consistance convenable. Peut être pourriez vous me conduire à l'extérieur pour que je puisse me mettre quelque chose sous la dent? »

Un bref amusement traverse les prunelles du brun ; en réalité, il est possible de trouver d'anciennes réserves de nourriture dans les souterrains, entreposées par les anciens occupants en prévoyance de temps durs. Mais si la jeune dame est à la recherche d'une "consistance convenable", alors en effet, il va falloir aller en chercher ailleurs.

« Cela semble être la meilleure option. Retrouver des forces est une priorité. »

Accompagné par le souffle grave de sa voix, Keid'il'An se lève dans un mouvement lent, se plaçant de côté pour montrer la voie.

« Nous avons la chance d'être entourés d'une forêt qui ne manque pas de fruits, racines et baies ; je suppose que ce sera un bon début avant de débusquer quelque chose de chair et de sang. »

Attentif à ne pas marcher trop vite sur ses longs membres, il jette de fréquents coups d’œil dans son dos, histoire de vérifier qu'il n'a pas perdu sa protégée ou qu'elle ne s'est pas évanouie au détour d'un escalier. La pénombre règne en maîtresse dans la plupart des couloirs, mais quelques puits de lumière jalonnent la voie à suivre pour ne pas se retrouver dans le noir complet. Le retour vers l'extérieur ne prend que quelques minutes, mais les souterrains sont un tel dédale qu'on devine qu'un visiteur non expérimenté mettrait tout aussi peu de temps à se perdre définitivement dans les entrailles de la montagne.

« Je me rappelle avoir dépassé des ronciers, les baies seront mûres à cette époque de l'année. »

Les revoilà sur l'esplanade, où il l'a dénichée tout à l'heure. Son pas assuré reprend la route des bois, et après quelques mètres à peine en descendant le flanc de la montagne, des fourrés les entourent, chargés de fruits. De quoi commencer son repas dignement. S'écartant pour laisser la place à la demoiselle, le Juste se place en retrait et observe les baies, parlant plus pour-lui même en faisant le rapport du territoire.

« Elles ont poussé malgré les températures curieusement basses... » Il en goûte une, puis reprend son aparté. « Elles manquent un peu de sucre. C'est l'absence du soleil. »

Tout à son examen des ressources du territoire, le Juste laisse un peu d'intimité à son invitée, lui permettant de se repaître sans souffrir du poids de son regard scrutateur. De ce qu'il entend, elle n'en aurait de toute façon pas cure, trop occupée à engloutir tous les fruits à sa portée. Voilà un repas qui lui procurera au moins un peu d'énergie avant de trouver une proie plus consistante et nourricière.

Après quelques instants, les bruits de festin laissent place au silence ; Keid attend cependant un mouvement ou une interpellation de sa voisine avant de se tourner à nouveau vers elle. Qui sait, elle pourrait aussi choisir de s'esquiver sans autre forme de procès... même si elle n'a pas l'air d'être ce genre d'ingrate. De légers bruits de pas dans sa direction, et le brun tourne ses prunelles aigues-marines vers la demoiselle ; à la clarté mourante du jour, il en a un meilleur aperçu, d'autant qu'elle s'est requinqué. Une silhouette frêle, mais des yeux brillants d'une belle détermination, au milieu d'un visage encore un peu méfiant ou sur la réserve. Comment lui en vouloir ? Lui-même ne peut que lui renvoyer sa façade poliment froide, pas de quoi nourrir chez autrui beaucoup de chaleur.

« Merci beaucoup pour votre aide. Pour m'avoir aidé à sortir de là, et pour m'avoir indiqué ces baies. Je pense que je n'aurai plus faim avant un petit moment. »

Le haut loup ploie son échine en un noble salut ; c'était naturel de porter secours à cette jeune dame. Ou pas ? En réalité, c'est plutôt une première pour le chef solstien, mais la mentalité de la Tribu commence lentement à évoluer en ce sens. L'ouverture aux loups de Four Seasons et même aux étrangers semble de plus en plus naturelle pour les montagnards, et sans incident notable pour le moment, le Juste espère que la situation prospère dans cette direction.

Prise de bâillement, la petite louve grise s'assoit, finit même par se coucher. Un instant décontenancé par la posture à adopter, Keid choisit de rester assis, mais détend un brin ses larges épaules, histoire de ne pas paraître comme un guerrier en revue militaire. Il a beau être chef, cette rencontre n'a rien d'officiel, et il peut bien s'autoriser un peu de confort, pour lui et pour achever de détendre sa vis-à-vis. Même si en réalité, il puise d'habitude son confort dans la rigidité et les procédures...

« Moi c'est Jenn. Et vous?
— Je m'appelle Keid'il'An. »

Une inspiration, subtile et brève, tandis qu'il hésite à poursuivre avant de finalement se raviser. Il n'a pas besoin de lui énoncer sa position hiérarchique, pas immédiatement du moins. Il ne souhaite pas l'impressionner davantage, maintenant qu'elle commence à s'ouvrir et qu'il pourrait savoir un peu plus d'où elle vient.

« Vous habitez ici je suppose ? Vous semblez connaitre les lieux sur le bout des doigts... Je m'excuse si je me suis aventurée sur votre territoire. »

Finalement, il lui faudra en dire un peu plus sur lui ; amusé par ce léger retournement de situation, Keid finit par craqueler son masque de sérieux et esquisser un mince sourire.

« C'est exact. Vous vous trouvez sur les terres de la Tribu du Solstice - dans une forêt que nous qualifions de "primitive", si vous voulez connaître le détail. Il se trouve que je suis l'un des chefs du Solstice, celui qu'on appelle "le Juste". »

Son docte exposé terminé, il toussote, et combat la tentation de se redresser qui lui démange les pattes. Un peu plus de laisser-aller, a-t-on dit. Il n'est pas là pour rendre une sentence, mais pour orienter une jeune demoiselle égarée.

« Quant à vous excuser pour votre présence, il n'y a pas de mal. Il y a peu, nous n'avions pas connaissance des terres de Four Seasons, mais maintenant que c'est chose faite, nous n'avons rien contre les visiteurs. Du moins, ceux qui ne présentent aucune intention maligne. »

Il faudra qu'il change bientôt son laïus, en réalité la découverte des claniques commence à dater plus que "un peu". Maintenant que les présentations en bonnes et dues formes sont faites, une étincelle de curiosité brille dans le regard sombre du chef, donnant un peu de vie à ses traits austères.

« Dois-je déduire de vos questions que vous découvrez ce monde depuis peu ? »