Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Le Lac de Sherkaan était souvent apprécié pour son calme. C'était un lieu paisible, reposant, agréable. Mais quand l'on était soigneur, c'était aussi un lieu où l'on pouvait trouver certaines herbes qu'il n'y avait pas ailleurs. C'était un peu le but d'Airmead, lorsque la jeune louve se trouvait dans la forêt aux abords du lieu. Elle avait décidé, comme souvent, de s'éloigner du camp des Printaniers, où elle ne se sentait jamais vraiment chez elle depuis son arrivée. Alors, pourquoi pas en profiter pour ramener quelques herbes médicinales... ? Tel le voulait sa vocation.

Mais la chétive louve se figea du museau à la queue. Par dessus les tiges qui tenaient dans sa gueule, ses yeux de couleur végétale, scrutant les fourrés tandis qu'elle marchait, s'étaient arrêtés sur des herbes. Des plants teintés de rouge. Avec réticence, elle tendit précautionneusement le museau ; malgré tout, ce fut bel et bien l'odeur du sang qui la saisit. Il n'y avait pas de doutes.

D'où ce sang provenait-il ? Y avait-il eu un combat en territoire printanier ? Les traînées que formait le liquide rouge avaient sans doute été laissées par un loup. Ce sang devait être assez abondant sur le corps du porteur pour ainsi se démarquer au sol. L'odeur qu'il portait était printanière.

Plus le temps de songer. D'un pas ferme, bien que furtif, la louve au pelage blanc marqué de gris s'engagea à la suite des marques. Plus elle progressait, et plus le fumet qui lui parvenait lui semblait familier. Elle accéléra. Tout devenait de plus en plus clair, sans qu'elle puisse distinctement relier cette odeur à un individu seulement. Ses foulées s'allongèrent. Elle atteignit l'orée du bois.

Dans le Lac de Sherkaan se découpait une silhouette. Sombre, tâchée de sang, elle s'engageait dans l'eau, et le reflet du ciel dans le lac ne parvint pas à camoufler le liquide rouge qui souillait la surface et s'étendait autour de l'animal. Continuant d'avancer, plus rapidement qu'elle ne l'aurait imaginé, la guérisseuse printanière distinguait de mieux en mieux l'individu. Ce n'est cependant que lorsque les yeux du printanier balayèrent le lieu qu'elle put le reconnaître.

Darksky ?!

Sa course fut ralentie. Il était déjà bien trop tard, car elle n'était plus qu'à quelques mètres de son camarade, à présent. Elle termina alors de le rejoindre, sachant intérieurement qu'il ne mettrait que peu de temps à la reconnaître, lui aussi ; si ce n'était pas déjà fait... Aucun d'entre les deux ne devaient avoir oublié le jour de leur rencontre, ce jour indescriptible, ni mal ni bien. Airmead, elle, en tout cas, ne pouvait guère l'avoir oublié.

Au bord du lac, elle s'arrêta. Les pattes fermement plantées dans le sol, le corps redressé et les oreilles pointées vers l'arrière, elle fixait le loup en contrebas, dans l'eau. Tout près d'elle. Elle restait un instant silencieuse. Le liquide rouge continuait de se mouvoir dans l'eau limpide du lac.

C'est d'une voix calme mais tout aussi sérieuse et désireuse d'avoir des explications qu'elle s'engagea :

- Que s'est-il passé, Darksky ?

- Je ne pensais pas te voir ici...

Malgré elle, la louvette printanière ne put voir qu'une sorte de mauvaise connotation à ces paroles. Elle imaginait bien que le loup s'était pensé seul, mais en même temps, elle devinait aussi qu'il n'avait pas tellement envie de lui parler. Le contraire aurait été étonnant... Il avait vite fait de tourner le dos. Il ne se trouvait pas dans un état très avantageant.

Malgré tout, cela ne sembla pas perturber les façades habituelles qu'il employait ; sa voix n'avait pas changé lorsqu'il répondit :

- Cet endroit est très agréable... calme... et reposant...

Toujours immobile sur la berge, Airmead continuait de le scruter avec un semblant d'agacement par dessus son interrogation. Ses oreilles s'agitèrent, elle savait qu'elle ne devait pas perdre son sang froid. Il avait habilement esquivé sa question ; elle était consciente qu'elle allait avoir besoin de cran pour aller chercher les réponses qu'elle voulait.

- En effet. Mais j'imagine que tu n'as guère pour habitude de t'engager dans ces sortes d'endroits par plaisir.

Elle s'amusa brièvement de l'ironie de ses paroles : il lui semblait le connaître plus qu'elle ne le pensait. Il s'était éloigné un peu plus dans l'eau, mais il ne fallait pas lui laisser d'échappatoire pour autant. Elle n'allait pas laisser une telle discussion redevenir banale, car pour une fois, elle ne souhaitait pas tellement parler de la pluie et du beau temps.

Lorsqu'il se retourna vers elle, elle put aisément reconnaître ce regard glacial qu'il employa. Un regard à la fois hostile, aggressif, mais surtout mystérieux, qui parvenait souvent à voiler le moindre songe du sombre loup marqué de bleu. Ses griffures faciales et  ses blessures au cou formaient autour de lui un nouveau brouillard de sang souillant l'eau limpide et pure du lac. Elle attendit un instant, refoulant les émotions que ce puissant regard pouvaient procurer. Jamais elle ne saurait vraiment d'où lui venait cet énervement croissant ; cette fois-ci, les circonstances en étaient peut-être la raison.

La jeune louve parvint à conserver son calme et son équilibre, ses courtes griffes plantées dans le sol de la berge. Malgré tout, ses oreilles s'abaissèrent légèrement tandis qu'elle s'engagea :

- Je sais que tu ne veux rien me dire. Mais si tu attends du lac qu'il soigne tes blessures, c'est une perte de temps. Cela ne te ressemblerait pas...

Elle s'assit alors, avant de remarquer que le collier brisé du loup blessé se trouvait juste à côté de sa patte. Ses yeux s'abaissèrent un instant dessus, avant qu'elle ne les relève vers son camarade printanier. Elle n'aimait pas ça. Mais à la fois, elle considérait que savoir les raisons de ces blessures n'était pas son unique objectif, et qu'elle allait devoir aussi le soigner.

Et il se mit à rire. Il ne manquait plus que cela. Enfin, tant mieux, s'il pouvait trouver de l'amusement dans une discussion. Elle ne trouvait pas son rire aussi mélodieux que celui de son frère de coeur ou que celui de son confident, mais il valait mieux ça qu'autre chose lorsque l'on traitait avec ce genre d'individus. N'était-ce pas la première fois, après tout, qu'elle l'entendait rire d'autre chose que de méchanceté ?

Airmead resta assise, placide, ramenant sa souple queue contre elle. Elle devinait l'assurance du loup gris, dans ses gestes et ses airs d'arrogance plaqués sur son visage. Malgré tout, pour une fois, elle ne se sentait pas naïve : elle était consciente qu'à tout moment, elle pouvait être en danger. Qu'elle était seule, face au loup, sans aucun moyen de défense, dans un lieu isolé et vide de présences. Cela ne semblait pourtant pas l'effrayer.

Elle se contenta de l'observer venir, lorsqu'il rejoignit la berge pour s'ébrouer. En fait, elle s'estimait plutôt heureuse de ne pas avoir été chassée. C'était un sentiment contradictoire, elle en convenait. Mais pour éviter de se confondre, elle esquivait soigneusement la moindre réflexion sur la situation, pour pouvoir mieux se concentrer sur la suite.

C'est alors qu'elle put remarquer le petit coup d'oeil qu'il avait jeté à son collier.

- Aurais-tu une meilleure idée pour que mes blessures guérissent ?

L'ironie du loup fit un peu sourire la guérisseuse. La question un peu naïve de Darksky lui avait donné aux yeux de la louve un subit air enfantin, qui pourtant correspondait mal au mâle au pelage foncé. Comme s'il ne pensait pas une seconde que des personnes savaient faire de telles prouesses, que tout le monde était paré au combat... Ah. Elle ne pouvait pas lui en vouloir d'avoir les principes d'un solitaire...

- Oui. Par exemple, l'idée de t'aider d'un soigneur, qui te permettrait de te remettre sur pattes avec bien plus d'aisance et en bien moins de temps. Devinant que le loup aurait sans doute un nouveau sarcasme à déployer à ces paroles, elle ajouta : Mais vu ta question, j'imagine que tu n'y avais même pas songé, ou bien que malgré le fait que cela apaiserait ton corps, cela blesserait aussi ton amour-propre si tu avais recours à de tels procédés. A moins que je ne me trompe... ?

Elle le regarda un peu curieusement, conservant un petit sourire empathique sur son visage. Sa question n'était pas moqueuse ; sinon, elle se serait surement préparée à une attaque. Ou bien aurait-elle fui. A la place, son interrogation étant sincère, elle attendait plutôt d'avoir l'avis de Darksky à ce sujet. Est-ce que le loup était réellement un printanier ayant oublié l'existence des guérisseurs, ou cela lui aurait-il fait mal de se ramener au camp ainsi en clamant l'aide d'un soigneur... ? Peut-être avait-il sinon simplement des principes très solitaires. S'il y avait une autre raison, le Chasseur saurait sûrement l'exposer mieux qu'elle ne saurait le deviner.

D'une certaine manière, c'était aussi une proposition. Elle pensait bien que Darksky ne devait pas avoir envisagé le fait qu'elle puisse être une Tueuse ou une Chasseuse. Mais pour le coup, elle préférait déjà anticiper son approche. Ses yeux se reposèrent sur le collier, à la gauche de sa patte droite. Elle le regarda quelques instants dans son attente d'un air à la fois paisible, mais aussi songeuse, à l'arrière de ses yeux mi-clos.