Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Avec un air de consternation des plus réussis, Damoclès observait son environnement immédiat, perplexe. Comment était-ce possible ?? Elle s'était levée il y a peu, avec l'aube, à l'issue d'un rêve pour le moins étrange lui indiquant une rencontre dans un futur proche ; puis elle avait été envoyée dans une nouvelle zone apparue mystérieusement, comme si le destin voulait effectivement que quelque chose arrivât aujourd'hui, et maintenant, elle trouvait ce crépuscule doré ! Mais on était le matin, elle en était sûre !

La rouge fronça les sourcils, puis se remit en marche. Ce n'était pas si différent des terres d'Halloween, sur le principe du moins ; des territoires qui du jour au lendemain prenait racine sur Four Seasons, amenant avec eux une atmosphère sombre et glauque... Sauf qu'ils respectaient le cours de la journée ! Voilà un moment qu'elle marchait dans une forêt odorante et joliment fleurie, et elle n'avait pas l'impression de voir la luminosité baisser. Quelle était cette diablerie ??

C'était peut-être la particularité de ces lieux, une ambiance de soirée sympa et gazouillante, mais dans quel but ? L'apprentie de la Lune avait du mal à saisir le sens de tout ceci, et continua à parcourir le coin, jusqu'à parvenir à l'orée d'un arbre dont les gigantesques feuilles venaient traîner jusqu'au sol, formant comme des rideaux joliment illuminés par des insectes. Eh bien, le résultat en jetait, c'était sûr ! Mais que tirer de tout ceci pour établir un rapport cohérent, voilà ce qui occupait plutôt l'esprit de la haute louve à l'heure actuelle...

Damoclès fronça derechef les sourcils, oreilles mobiles. Avec toutes ces feuilles comme des paravents, n'importe qui pouvait surgir et la surprendre à tout moment, et cette idée ne lui plaisait guère. Mue par son instinct, la rouge se faufila entre deux parois végétales et tendit l'oreille. Elle n'était pas sûre d'entendre venir quelqu'un, mais sentait comme une présence aux alentours ; serait-ce la fameuse rencontre promise par son rêve ? Les sens aux aguets, la louve attendit, une pointe d'excitation faisant palpiter le sang dans ses veines.

Cette fois elle en était sûre, quelqu'un s'approchait ! Elle n'aurait su dire à quel clan il appartenait cependant, mais une odeur nouvelle avait fait irruption non loin, chargée de senteurs florales et fruitées comme toutes celles qui environnait la rouge. Une petite note finale s'en dégageait tandis que l'individu devait approcher, une note qui chatouillait la mémoire olfactive de Damoclès et l'empêcha de faire le moindre mouvement, occupée à fouiller ses souvenirs pour se rappeler. Un pressentiment bien moins agréable restait accroché à cette odeur, une odeur de...

« Par tous les fichus grands dieux ! »

L'apprentie ouvrit de grands yeux, puis fronça les sourcils. De l'encens, bien sûr... et à qui d'autre que Viehrs pouvait appartenir pareille odeur, de même que ce rire et ce timbre de voix si agaçants ? Bon sang, était-ce là cette fameuse rencontre promise en rêve ?? Quelle arnaque ! Émergeant à pas lents de derrière la feuille, l'enfant de la Lune leva son maussade regard de lave vers la diva qui la surplombait sur son rocher. Elle l'avait échappé belle en réalité, connaissant la passion de cette maudite créature pour les coups de poignard dans le dos... quelle dinde d'avoir été surprise malgré tout l'enseignement que lui inculquait Hjalmar !!

« J'ai su depuis le début que nous étions faits l'un pour l'autre.
- Ça alors..! » un rire grinçant s'échappa de la gorge de la louve, qui afficha un air dénué de tout enthousiasme. « Viehrs. A moins que tu répondes toujours à Gauneur ? »

Menton relevé, elle arqua un sourcil, les yeux plissés. Elle ne savait pas trop quoi penser de cette rencontre, si ce n'est que la surprise était assurément de mauvais goût. Elle ressentait toujours une colère froide et amère contre l'albinos, qui s'asseyait allègrement sur tous les principes et valeurs qu'elle honorait, et lui en avait fait la démonstration plusieurs fois à présent. C'était assez ironique de le revoir en un lieu aussi charmant, en réalité, mais l'espace envahi de végétation lui apparaissant impropre à un combat, la rouge se dit qu'il valait mieux s'en tenir à la parlote pour le moment.

« Vaste blague. Tu es venu chercher ta sombre moitié par ici ? »

Elle parcourut la silhouette du blanc des yeux ; il était toujours aussi propre sur lui, coquettement apprêté, mais elle doutait qu'il prenne les rencontres au sérieux ; en témoignait son rire de tout à l'heure, la situation ne devait pas manquer de comique à ses yeux, et il allait sûrement s'en délecter. Un vague courant électrique parcourait les muscles de Damoclès, mais elle ne sentit pas le besoin de bouger pour le moment, préférant s'assoir bien droite et attendant la suite. Viehrs n'aurait aucun mal à l'asticoter, et à ce moment-là, il lui faudrait peu de temps pour entamer une petite danse plus mouvementée.

Il y eut un bref échange de regards empreint de silence entre les deux loups, et Damoclès fit un effort sur elle-même pour rester parfaitement immobile et patiente. Ce n'était pas facile quand on avait en face de soi la personnification même du dédain, et plus Viehrs jouait de ses manières précieuses, plus les désagréables souvenirs de leur rencontre en hiver revenaient la hanter, démangeant ses nerfs pour la forcer à bouger. Entre-temps, elle avait heureusement appris le grand pouvoir de la réflexion au lieu de l'action bête et brutale, mais si ça lui permettait d'aborder la situation avec plus de sang-froid, ça n'aidait en rien son humeur colérique. Arquant un sourcil, la rouge se focalisa sur la partie "romantique" évoquée dans la réplique du blanc, et jeta un coup d’œil autour d'eux. Ah, effectivement, c'était ce genre d'ambiance qui régnait ici... Désabusée, elle haussa les épaules.

« C'est pas ce que je suis venue chercher. »

Fronçant légèrement le museau, l'apprentie réalisa que sa tournure était plutôt maladroite et se maudit en silence. De toute façon, elle se moquait bien de ce que pouvait en penser l'albinos. Mais si il en venait à rire ouvertement d'elle, elle irait continuer le travail commencé sur son délicat visage... Ce qui serait salutaire, surtout si ça pouvait l'empêcher de se pavaner sur son rocher une bonne fois pour toutes.

Elle redressa les oreilles lorsqu'il caressa l'idée que sa situation avait changé depuis son arrivée sur ces terres, et un fin sourire rehaussa les babines de Damoclès. Ah ça oui ça avait bien changé, et quand on y pensait, c'était un peu grâce à lui. Sa bonne humeur s'estompa vite lorsque Viehrs daigna jeter un coup d’œil dans sa direction, cherchant la provocation sans même se dissimuler. La rouge laissa échapper un petit soupir, levant les yeux au ciel. C'était facile, ça.

« Je me rappelle pas avoir fait de présentation en bonne et due forme, c'est vrai. »

Et qu'importe, après tout ?? Elle ne tirait pas de fierté vaniteuse à savoir son nom sur toutes les babines, même pour des hauts faits ; quant au traître, s'il avait encore ne serait-ce qu'une once d'honneur, il ne serait pas si orgueilleux de sa triste renommée. Une étincelle brilla dans les yeux de la haute louve lorsqu'elle les plissa vers son interlocuteur.

« C'est aussi vrai que ton nom ressort souvent dans la bouche de mes fréquentations. Je pourrais même aller jusqu'à te... remercier de m'avoir mise sur leur voie ? » Elle réfléchit un instant, pointant son regard vers le ciel mordoré du coucher de soleil, puis haussa à nouveau les épaules. « Mais je ne tomberai pas aussi bas. Je préfère croire au destin. »

Même si ce coquin de destin avait justement réuni sa route avec celle de l'albinos... dans ce cas, elle était curieuse d'en découvrir la raison. Suave, elle esquissa un sourire distrait, réajustant ses longues pattes devant elle.

« J'espère que ton séjour en automne a été agréable jusqu'à présent. »

La rouge ne décelait pas toujours les railleries ou arrières-pensées de Viehrs lorsqu'il se jouait d'elle, mais estima que le plus sage était encore de l'ignorer quand il fanfaronnait de la sorte. D'ailleurs, sa vision de l'amour devant sûrement être dépravée, cynique et auto-centrée, l'entendre discourir à ce sujet n'était sûrement pas d'un grand intérêt.

Retranchée dans le mutisme, elle eut tout le loisir de voir ses paroles faire leur chemin dans la petite cervelle de l'albinos, qui arrêta de danser une fois que tous les rouages se furent mis en place. Elle ressentit une pointe de satisfaction à l'avoir surpris, mais se houspilla vite intérieurement ; ce petit jeu n'avait rien de digne pour la future LibreLune qu'elle était, elle devait lutter contre toute la négativité que le blanc faisait ressortir d'elle. C'est donc le regard sérieux, mais toujours un fin sourire aux babines qu'elle accueillit la réaction de son vis-à-vis, ne cillant pas d'un poil lorsqu'il lui joua son nouveau numéro.

« Ne me dis pas que tu as rejoins ces incapables de Librelunes ? Oh! Moi qui avais tant d'espoir et d'ambitions pour toi ma jeune élève! Alors maintenant, tu prie à la Lune et tu véhicule un message de paix à travers les clans? »

L'enfant de la nuit laissa échapper un discret soupir, résistant à la tentation de se masser les tempes après avoir entendu autant de bêtises. A croire que Viehrs ne vivait que de rôles différents, dans lesquels il se glissait sans discontinuer pour se moquer continuellement du monde. Elle était presque admirative de sa capacité à afficher autant de moues et d'expression différentes, mais trop agacée par son spectacle pour en rire.

« La simple idée de t'avoir pour mentor me dégoûte. » Relevant un sourcil, elle jeta un regard perçant sur le traître. « Mais ne t'inquiètes pas, je ne manque ni d'espoirs ni d'ambition. »

Visiblement fier de sa petite manœuvre, le blanc se redressa, goguenard. Elle se doutait bien que la nouvelle de son entrée chez les LibreLunes passait largement au-dessus de ses petites affaires, parce qu'il se croyait à l'abri chez les automnaux... Mais s'il pensait en avoir fini avec elle, il se trompait. Et il se trompait également s'il estimait qu'elle cherchait la paix en prônant l'amour de son prochain et la fraternité... S'il lui fallait se salir les pattes pour évincer une menace, elle n'hésiterait pas. Et en termes de menaces, elle était à peu près sûre de garder le nom de l'albinos sur sa liste.

« Ma foi, c'est fort aimable à toi de t'en inquiéter! Je suppose que je me plais autant chez eux que tu dois te plaire chez les Libre-lunes. Honnêtement, il y fait bien bon vivre et je me délecte de ma tranquillité ! »

Un rire clair et grinçant échappa à la rouge, qui ne fit rien pour le retenir. Il ne lui était pas difficile d'imaginer le blanc se la couler douce en Automne, il profitait toujours du meilleur de sa situation ; restait à voir combien de temps cela durerait.

« Dans ce cas, je ne peux que te souhaiter que ça dure ! »

Son ton était léger, mais son regard éloquent ; ses yeux de feu se plantèrent comme un poignard dans les prunelles de Viehrs, et son sourire se fit carnassier le temps d'un battement de cœur. Au-delà de sa rancœur personnelle, elle n'oubliait pas tous les outrages que le blanc avait signé de sa patte sur Four Seasons, et pour ça, il paierait un jour ou l'autre. Damoclès ne croyait pas à sa possible rédemption, aussi était-elle convaincue qu'il fallait le surveiller, et l'empêcher de nuire, le cas échéant. Et elle comptait bien s'acquitter de cette mission.

Revigorée par son objectif personnel, la haute louve se releva, souple et dynamique, et fit rouler les muscles de ses épaules avant de se remettre en route. Elle avait retrouvé son habituel masque de neutralité désabusée, mais une amorce de sourire relevait toujours sa babine lorsqu'elle fit de nouveau face au blanc.

« Eh bien, cette rencontre n'était peut-être pas si vaine, finalement. À bientôt, Viehrs ! »

Quoi qu'il dise, quelles que soient ses moqueries, Damoclès se sentait prête à les affronter sereinement ; elle n'était plus l'écervelée ignorante prompte à égorger le premier quidam qui se gausserait d'elle. Elle sentait un nouveau pouvoir lui donner de la force, et comptait bien en user pour chasser les ennemis de la paix. Celui qu'elle quittait présentement, d'un pas gymnastique entre les hautes feuilles, ne l'inquiétait plus vraiment, bien qu'elle conservât toute sa concentration pour prévenir une éventuelle attaque en fourbe. Elle lui accordait un répit, pour le moment, mais se promit de ne jamais lui laisser le loisir d'une nouvelle entourloupe.