Sous une pluie battante, la délégation hivernale était passée devant Lysandre et sa soeur, silencieux aux côtés de leur mère qui leur avait adressé quelques paroles pour qu'ils restent immobiles et nobles. La procession s'était avancée avec grâce et dignité, comme une brise glaciale circulant entre les grands pins enneigés. Le père de Lysandre et Andracée, le fier Daeron, avait pris le temps de s'entretenir avec ces inconnus venus des Neiges dès leur arrivée, mais il était évident qu'il était encore accablé et distrait par la perte de son fils, si bien qu'Asha, ayant tourné son regard voilé vers lui, avait finalement déclaré à ses enfants :
-Restez ici. Vous êtes encore trop jeunes pour participer aux échanges politiques, et votre père a besoin que vous restiez en sûreté.
Tournant ensuite son regard sur son jeune prince, la Reine blanche lui avait servi son énigmatique sourire, tandis que la pluie tombait sourdement sur son immense couvre-chef aux couleurs de l'automne. Peut-être avait-elle vu le dépit de Lysandre qui mourait d'envie d'assister à la rencontre avec les hivernaux, ou peut-être était-ce son intuition qui lui susurrait ces mots, mais la Libre-Lune avait ensuite asséné :
-Je compte sur toi, Lysandre. Sois sage, sois un bon prince.
Lysandre s'était raidi, immensément déçu de passer au second plan, mais également frustré que sa mère se serve de son sens de l'honneur et de l'obéissance contre lui. Evidemment qu'il serait sage, si c'était en ces termes que sa mère le lui ordonnait. Le jeune prince se rendait compte, à présent, que le choix de mots de la Reine blanche n'avait rien à envier aux rumeurs qui circulait à son sujet.
Demeurant seul, Lysandre avait préféré s'isoler, dépité. Ses oreilles blanches rabattues en arrière, il avait mollement avancé hors du camp, se demandant amèrement s'il serait lui-aussi aussi bon orateur que sa mère ne l'était quand il serait grand.
"
Les rouges glaïeuls ne s'épanouissent pas parmi les colchiques..." murmura une voix douce, qui semblait trottiner à ses côtés. "
En revanche, les raisins de loups ne s'en font pas prier..."
Lysandre n'eut pas besoin de tourner la tête pour savoir que ces paroles énigmatiques énoncées d'un ton réconfortant provenaient de Grerest, un des dieux qui hantaient l'esprit du louveteau. Car il ne pouvait s'agir que de dieux, n'est-ce pas ? Qui d'autre pourrait s'immiscer dans l'esprit de Lysandre aussi impunément, si ce n'étaient les puissances divines dont son père n'avait cesse de parler ?
-Je ne comprend pas...murmura Lysandre avec l'impression désagréable d'être stupide, ou simplement trop jeune - comme sa mère le lui avait si bien fait remarqué.
Sa frustration forma comme une boule dans sa gorge, et sa morosité le trempa bien plus que la pluie qui auréolait les arbres mordorés d'une brume grisâtre. Perdu dans ses pensées et dans cette atmosphère nostalgique, le prince ne faillit pas apercevoir la silhouette blanche devant lui. En réalité, ce fut une nouvelle voix qui le sortit de sa rêverie :
"
Les fleurs de lys, en revanche, font d'excellentes perce-neiges. Mais comment ignorer leur Oeil Sombre unique ?"
Cette fois, la voix était celle de Oilef, un dieu des plus étranges pour Lysandre, mais si rare qu'entendre sa voix stridente fit relever vivement la tête du louveteau pour mieux apercevoir la silhouette devant lui. Ce n'était pas un loup qu'il avait déjà vu, et il ne sentait pas les feuilles mortes comme les autres loups. Mais avec la pluie, Lysandre ne parvenait pas à identifier quoique ce soit d'autre. Un détail le fascinait cependant : le grand loup semblait porter quelque chose sur son museau, cachant ses yeux comme Mère cachait les siens, mais décoré de fins détails dorés des plus attrayants. Il dégageait également une certaine majesté qui suivait ses mouvements aussi surement que la grâce dont ils étaient constitués.
-Ne risquez vous pas de prendre froid ainsi ? s'exclama alors l'inconnu à son encontre.
Lysandre, captivé, sursauta comme pris sur le fait d'une quelconque faute. Il hésita, repensant aux paroles de sa mère. Il devait rester sage, et parler à un inconnu n'était pas vraiment la définition qu'il se faisait de la sagesse. Mais, s'il s'agissait d'un membre de la délégation hivernale, il ne pouvait pas le laisser là tout seul. Etait-ce cependant plus avisé d'aller de suite prévenir son père ou sa mère ? Lysandre était encore trop jeune pour faire la part des choses, et pour une fois, il en avait pleinement conscience.
Jugeant son propre silence comme indisposant, le jeune prince finit par répondre avec une méfiance teintée de la courtoisie qu'on lui avait inculquée.
-F-Froid ? Pas pour le moment, non, je vous remercie de votre sollicitude...mentit-il évasivement.
"
Súilleabháin" asséna nonchalamment Oilef comme s'il s'agissait d'une évidence absolue. Lysandre n'avait pas la moindre idée de ce dont cela signifiait et préféra ignorer le dieu facétieux.
-Je vous prie de m'excuser, messire, mais je ne dois pas parler aux inconnus...reprit sagement le jeune prince en haussant le ton pour se faire entendre malgré la pluie qui rebondissait sur la surface grisée de l'eau. Sauf si vous êtes un membre de la délépa-...délégation ? Je peux vous accompagner jusqu'au camp, si c'est le cas.