Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Prier et se recueillir étaient légèrement sorti de son esprit. Sa foi était timide et personnelle, de sorte qu'il n'aurait laissé quiconque l'observer tandis qu'il s'adressait à sa Déesse; encore moins aurait-il ouvert son coeur quant à ce qu'il pensait du Très Haut. Le vent glacial qui s'engouffrait dans sa chevelure azure, la faisant virevolter, lui porta de nouveau l'odeur de l'inconnu et la moue impassible de l'hivernal se renfrogna de manière presque visible. Pourtant, le prince poli et placide n'était pas du genre à laisser une petite inconvénience se traduire sur son visage, d'autant plus si celle-ci concernait son interlocuteur. L'affaire était que son interlocuteur, quiconque fut-il portait une odeur qui alarmait les sens déjà réduits de Sullivan. Il ne portait pas aucune odeur, cela était, à la connaissance de l'aveugle, parfaitement impossible. Il détectait bien sur lui quelques odeurs naturelles qui s'étaient accrochées à son pelage, mais il y avait quelque chose qu'il ne possédait pas; et cela était la fragrance parfaitement unique que chaque loup portait sur lui. Une odeur qui, en dépit de celles qu'il partageait avec ses congénères, le départageait immédiatement d'eux, car elle n'appartenait qu'à lui et faisait la singularité de sa personne. Et son interlocuteur, lui, ne semblait pas en posséder de telle. C'était comme s'il avait pu être n'importe qui. Ou tout simplement, qu'il n'était personne. Dérangé, Sullivan resserra inconsciemment son emprise sur sa croix, avant de la relâcher et de la déposer délicatement au sol. Il ne pensa pas à rationaliser ce phénomène mais plutôt, demeura légèrement crispé et aux aguets. Quelque part, son esprit n'était pas encore certain que son interlocuteur, interrompant sa prière, était bien réel. Comme pour lui prouver le contraire, la voix de l'étranger s'éleva pour protester vivement et Sullivan, sentant un toc gratter son esprit en réaction à cette voix tout aussi étrange, fit légèrement grincer ses crocs à plusieurs reprises :

«Je ne suis pas un mâle… ! Pas un mâle… Étranger, étranger… Juste Bel. Bel ira bien. S’il vous plait, Masque d’Or, juste Bel pour vous. »

Derrière son masque protecteur, les sourcils de Sullivan se froncèrent, légèrement. L'étranger qui était peut-être un spectre, prétendait maintenant ne pas être un mâle, mais n'affirma pas non plus être une femelle; et pour cause, rien n'indiquait qu'il en était une. Le jeune prince se trouva confus et, bien qu'il accepta l'étrangeté avec la curiosité de l'ignorant autant que du tolérant sans à priori, son esprit cherchait à trouver de la rationalité à l'étrange créature qui devait se trouver parfaitement placée dans le champ de vision qu'il ne pouvait exploiter. Il tiqua de nouveau, faisant désormais frénétiquement cliqueter des canines entre elles à plusieurs reprises avant d'arrêter de nouveau, lorsqu'il parvenait de nouveau à le contrôler. Sullivan aurait pu, par déduction, assimiler la créature au sexe d'hermaphrodite, mais cela ne lui parut pas juste. Le bourreau aveugle, une fois qu'il eut finit d'accepter toutes les informations qui alarmaient son esprit, parvint à accepter la requête de l'inconnu, ce qu'il ne signala que par un léger signe de tête approbateur. Bel, donc serait le nom de la créature sans visage, sans odeur et sans sexe. Son nom flottait au milieu de son palais mental, plongé dans le noir. Bel était à la fois parfaitement inoubliable, du fait de sa singularité, et en même temps invisible et spectral. Le prince venu d'ailleurs, parce qu'il était chaste et pieux, se tournait vers la Déesse pour qu'elle explique pourquoi elle avait permis à cet être particulier d'interrompre sa prière. Mais le divin resta muet.

De nouveau, Bel se fit entendre, l'interrogeant cette fois-ci et si Sullivan douta encore de son existence, il pouvait désormais parfaitement sentir l'intrusion de son regard qui détaillait sa personne, sans que l'aveugle ne s'en sentit dérangé mais au contraire, soulagé.

« Comment faites-vous pour y voir ? Moi je n’y verrais rien. J’ai déjà oublié d’ouvrir les yeux, un jour, et je suis tombé dans une pente ! Une pente, pente si raide, au point que j’ai glissé jusqu’en… En… Oh, une croix, j’aime bien votre croix. Elle est jolie. Vous êtes joli aussi. Avec votre masque. Un masque… Pourquoi un masque ? »

Bel s'exprimait avec le même train de pensée qu'un enfant ne contrôlant guère sa curiosité, glissant d'une idée à une autre sans transition intelligible entre chacune des pensées qu'il exprima. D'abord, Sullivan ne s'offusqua pas, car il se savait lui-même curieux et qu'il ne se sentait pas assailli par ce flot de paroles distraites. Il préparait déjà sa réponse, son air sévère se faisant plus calme et conciliant, bien qu'aucune différence ne se serait véritablement vue dans son attitude. Il était habitué à provoquer certaines questions, auxquelles il avait déjà répondu bien des fois, de sorte qu'il répétait sans cesse le même petit discours apprit sagement par coeur, tel l'enfant sage qu'il était; et sans se lasser de le répéter à chaque nouvelle personne qui lui exprimait sa curiosité. Cependant, Bel, tenant à se distinguer toujours plus de toutes les rencontres qu'il avait déjà pu faire, posa une question que nul ne lui avait jamais posé sur Fourseason, car celle-ci semblait à chacun, dépasser la ligne des questions un peu trop personnelles. La question était naturelle, en soi, mais Sullivan n'aimait pas qu'on la lui pose et, voulant répondre alors qu'il s'apprêtait à tiquer de nouveau, il s'exclama presque, d'une manière qui le surprit lui-même :

« Nous ne devons pas répondre à ça! »

Sullivan, ravalant cet éclat incontrôlé, mordit sa langue jusqu'à ce qu'il se calme.  Ses yeux se fermèrent, toujours cachés derrière son masque, comme si le fait de les avoir ouvert était tabou et qu'il avait transgressé une règle. Il ramena sa croix tant contre lui qu'elle se perdait presque dans son pelage noir et blanc, comme s'il craignait que cet étrange créature ne cherche à s'en emparer. Il reprit lentement la parole, gardant la tête légèrement basse et l'air moins dominant qu'à l'accoutumée :

« Nous sommes privé de la vue, nous ne nous en servons pas et n'avons guère besoin de nous en servir...Mais nous vous conseillons de chérir la vue qui est la vôtre, car il n'est guère aisé pour chacun de s'accoutumer à vivre sans..»

Il s'arrêta, comme s'il craignait que sa Déesse ne le gronde d'avoir parlé ainsi. Il changea rapidement d'approche.

« Bel, ainsi vous nommez vous ? Nous croyions véritablement ne rencontrer personne par une telle nuit. D'où venez vous ainsi, Bel ? Car il semble à nos sens que vous ne venez de nulle part et n'allez nulle part. »