Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Il n'y avait pas tellement à tergiverser sur sa situation : Hékate ne s'entendait pas avec la majorité de son clan, et cela n'allait pas en s'arrangeant en grandissant. Pire encore, cela avait tendance à empirer dernièrement, tandis que les prémices de l'adolescence commençaient déjà à pointer le bout de leur museau, agissant sur ses humeurs et ses réactions. Or venant d'Hékate, personne ne voyait déjà comment son humeur pouvait empirer, dans la mesure où elle semblait constamment agacée par l'univers tout entier alors qu'elle n'en avait elle-même rien vu. Elle était de plus en plus susceptible et semblait constamment à fleur de peau, vexée pour un rien et poussée au conflit encore plus facilement qu'à l'accoutumée. En dépit de sa petite taille, Hékate apprenait à se faire des muscles au fil des entraînements et les mettait déjà au service de sa propre défense, lorsqu'il fallait remettre à sa place quiconque croyait pouvoir s'amuser d'elle. Ainsi, quand un de ses congénères louveteaux avait cru bon de la provoquer alors qu'elle rentrait tout juste d'un entraînement avec son mentor qui l'avait particulièrement éreintée, Hékate avait vu rouge presque immédiatement et ne s'était pas perdue en discours acerbes avant de se jeter sur le louveteau qui l'avait titillée. Evidemment, étant plutôt forte pour sa petite taille, Hékate avait rapidement dominé le combat et aurait probablement blessé volontairement l'autre louveteau si un adulte ne l'avait pas arrêtée immédiatement. On l'avait sermonnée à haute voix, lui rabâchant qu'elle ne devait pas blesser les membres de son propre clan mais Hékate n'avait écouté aucune de leurs paroles. Pour elle, elle ne faisait que "rétablir le respect dû à sa personne" et se fichait bien que les adultes ne comprennent pas la soit-disante blessure faite à son honneur. Elle s'était tout de même tirée de cet affrontement avec une petite blessure à l'épaule qui ne tarderait pas à cicatriser et disparaître complètement, mais qui tâchait son pelage de quelques gouttes de sang rouge. En dépit de ce que la logique aurait souhaité, Hékate disparut dès que les adultes détournèrent l'attention de sa personne et elle s'en alla se réfugier loin de leurs regards courroucés.

L'enfant dissimulait bien sa sensibilité, mais elle n'était pas le mur de glace parfait qu'elle prétendait être et elle préférait que nul ne soit témoin du moindre coup dur que son moral pouvait encaisser. Hékate sortit du camp, désormais autorisée à aller et venir au printemps sans qu'on s'occupe de son cas; et trottina fermement jusqu'à la cascade, dans un recoin de la forêt. L'endroit semblait désert, malgré la chaleur encore présente qui aurait pu pousser les membres à venir s'y ressourcer dans la gaieté et la bonne humeur. Elle n'entendait rien d'autre que le remous régulier de l'eau qui tombait de la cascade. Là seulement, elle laissa échapper un souffle qu'elle avait l'impression de retenir depuis qu'elle avait échappé aux adultes et se pencha sur l'eau, étudiant son reflet. Une couronne blonde de plus en plus longue entourait les traits sévères et fermés de son visage. Elle n'était pas vilaine, l'orpheline, mais d'une beauté qui tendait plus à intimider qu'à attirer. Grommelant, elle entreprit de nettoyer autant que possible la petite plaie superficielle qui piquait son épaule, tout en continuant de pester ouvertement contre le monde.

Un bruit fort attira son attention et, redressant la tête, déjà prête à râler, elle  reconnut le pelage grège et les yeux azurs et roses de l'enfant avant-même qu'elle ne soit venue jusqu'à elle. Elle s'enquit, quelque peu surprise de la voir ici :

« ....Ellie ? »

Elle n'était peut être pas intéressée, mais elle connaissait tout de même le nom des louveteaux aux côtés desquels elle grandissait. Toujours nerveuse, sans pour autant grogner, Hékate maugréa, pas agréable pour deux sous :


« C'est pas vraiment le moment. »

Détournant le regard, elle reporta son attention sur son reflet dans l'onde transparente de la cascade.

Hékate ne connaissait Ellie que de loin, mais elle savait que la louve, à peine plus jeune qu'elle, possédait plus ou moins le même tempérament qu'Amaryllis, sa propre soeur. Elle ne l'avait jamais vu se chamailler sérieusement avec les autres louveteaux et ne l'avait jamais vu, de manière générale, se comporter comme Titania ou elle-même. Elle était probablement ce que les adultes considéraient comme une "bonne enfant". Hékate aurait pu la détester pour cela, alimentant sa jalousie et sa haine d'à peu près tout ce qui passait sous ses crocs de porcelaine. Cependant, pour une raison qui échappait même à la démone, elle n'était pas particulièrement belliqueuse à son égard. Elle mettait ça sur le fait que probablement collectionnait-elle tellement les ennemis qu'elle pouvait bien gracier quelques êtres à qui elle ne voulait pas immédiatement et fondamentalement du mal. Après tout, du fait de sa gentillesse, Hékate ne la connaissait presque pas, préférant se coller aux louveteaux qui la détestaient et avec qui elle essayait quotidiennement de s'écharper. Arrivant ici, la gamine printanière avait fait une chute qui avait attiré l'attention d'Hékate, mais la blondinette était trop égoïste pour témoigner d'une quelconque compassion à l'égard de la brunette.

Hékate s'attendait à ce qu'elle vienne immédiatement jusqu'à elle mais, visiblement aussi respectueuse et prudente qu'elle était douce, Ellie resta à une certaine distance de la démone blonde et ne vint pas envahir son espace personnel. Définitivement le genre de petite louve parfaite que Saïka aurait probablement aimé élever plutôt que son duo de monstres. La pensée vexa et agaça la printanière aux yeux magenta qui se concentra sur son reflet et se borna à ignorer sa congénère, jusqu'à ce que celle-ci s'exclame :

- Oh... Tu as pas l'air de très très bonne humeur... Tu sais si c'est tes cheveux que tu regardes dans l'eau, ils sont très très bien coiffés.

Hékate fut plus que surprise et elle se retourna presque immédiatement vers Ellie, visiblement abasourdie. Elle était assez vaniteuse et consciente de sa beauté mais il était rarissime qu'Hékate reçoive le moindre compliment qui ne soit pas un tantinet ironique. Elle douta même un instant de la sincérité d'Ellie mais ayant vu son regard franc et bon, la petite pimbêche blonde se prit à rougir et, ne sachant comment réagir, elle faillit grogner sur la jeune louve brune, qui ne lui avait définitivement rien fait et ne lui voulait aucun mal. Au fond, cela était toujours plaisant de recevoir un compliment et la rareté de ces derniers les rendait d'autant plus touchant, même pour le coeur de pierre de la fille de Seira. Baissant les oreilles, elle répondit, toujours autant déstabilisée et d'une voix froide mais sans aucune agressivité, pour une fois :

« Je...Merci, Ellie. »

D'un signe de tête, Hékate, décidée à se montrer clémente, invita la jeune loupiotte à la rejoindre sur le bord de la berge. Elle n'était pas plus gentille, mais au moins, elle ne lui sauterait pas dessus. Sa plaie la dérangea de nouveau et Hékate grinça de gêne, cherchant à atteindre la petite coupure sanguinolente pour l'apaiser de quelques coups de langue. Si son humeur s'était améliorée, le destin semblait déterminé à la ramener à ce qu'elle était : haine et colère. Laissant sa petite blessure, incapable de s'en occuper véritablement, elle haussa les épaules et reporta son attention sur Ellie. D'un ton toujours glacial, mais avec une animosité moindre (ce qui était un exploit pour la blondinette démoniaque), elle s'enquit, tentant presque de sociabiliser :


« Qu'est-ce que tu fais par ici ? »