Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Le souci des loups un peu trop fiers, c'est qu'il leur faut un temps considérable pour bien vouloir admettre qu'ils sont dans une situation dont ils ne sauraient se tirer seuls, si bien qu'une fois qu'ils sont capables de mettre leur ego de côté, ils sont déjà enfoncés dans la neige jusqu'au museau. Et c'était totalement le cas du Conseiller du printemps, qui n'abandonnait son assurance pour rien au monde...Même si là, il commençait quelque peu à désespérer.

Mais reprenons depuis le début. Viehrs, dont on sait qu'il se baladait un peu partout, avait voulu fuir le temps d'un instant l'agitation printanière que de récents événements n'arrangeait en rien. Pour des raisons qu'il trouvait parfaitement légitimes, l'albinos n'avait pas envie de se confronter à Seira, dont l'humeur n'allait définitivement pas en s'arrangeant. Et quoi de mieux pour se divertir, que de taquiner quelque peu les automnaux en rentrant sur leur terres sous leur nez, en inventant d'extravagantes excuses pour justifier sa présence. Le fallacieux hermaphrodite se délectait des visages confus des veilleurs automnaux qui le laissaient circuler avec réluctance, répondant à son large sourire moqueur par des grondements menaçant. Oh, comme il avait toujours eu le sens de la diplomatie!

Viehrs s'enfonça profondément dans le territoire automnale, qui ne lui était pas du tout familier. Ce n'est pas vraiment volontairement qu'il s'enfonça dans le Labyrinthe automnal. Ses prunelles rouges, perçant à travers sa chevelure blanche qui lui barrait une partie du visage, scrutaient les hauts murs du dédale bordés de ronces acérés. Malgré toute l'intelligence dont il était capable, l'albinos se retrouva progressivement complètement perdu dans les couloirs interminables. Sa truffe ne reconnaissait aucune des odeurs alentours, l'empêchant de se repérer dans le labyrinthe. Même s'il faisait un peu moins froid en hiver, la brise automnale lui glaçait les os et il regrettait de ne pas avoir un pelage un peu plus fourni. Il pensa, avec une ironie empreinte de tristesse, que les territoires colorées ainsi recouvertes de neige et impitoyablement glaciales lui rappelaient sa terre natale. C'était parce que l'hiver lui rappelait tant la famille qu'il avait fui que Viehrs l'appréciait si peu. Mais enfin, les deux étaient difficilement comparables.

Un grondement au fond d'un des couloirs du labyrinthe sortirent Viehrs de ses pensées. Il remarqua soudainement que le vent était chargé de tension et qu'une aura de danger pesait sur lui. Le loup blanc baissa instinctivement la queue et ralentit le pas, veillant à se faire silencieux. Y avait-il un monstre dans ce labyrinthe ? Etait-ce un loup qui avait fait ce bruit ? Dans les deux cas, Viehrs ne se sentait pas particulièrement rassuré. La brise soufflait dans ses longues boucles blanches, dans le dos, portant son odeur. Un nouveau grondement se fit-entendre, beaucoup plus proche cette fois-ci. Le pelage du loup albinos se hérissa autour de son cou et il se mit à chercher une issue. Il lui faudrait soit faire demi-tour...Soit grimper à l'un des murs de ronces. Le bruit se rapprocha encore et il n'eût plus le temps de tergiverser.

C'est ici que notre aventure devient sinon intéressante, au moins cocasse. Le souple hermaphrodite croyait parfaitement en ses capacités, et il s'accrocha au ronces aiguës qu'il utilisa pour escalader le haut mur. Il n'était pas trouillard, voyons, mais se retrouver encore nez à nez avec une bête féroce, très peu pour notre délicat printanier. Sauf que ! Une fois arrivé en haut du mur du labyrinthe, notre prodige s'appuya sur une branche un peu trop fragile et un peu trop pointue. Elle craqua sous le poids de ses pattes et Viehrs chuta le long de l'autre côté du mur, les ronces éraflant quelque peu son dos. Mais avant qu'il n'ait pu toucher le sol, son harnais se prit solidement dans les ronces et le pauvre loup se retrouva suspendu à plusieurs longueurs de queue du sol, avec la grâce d'un vêtement jeté sur un porte-manteau. Viehrs eût beau se débattre comme un beau diable, rien n'y fit, notre si bel hermaphrodite était piégé contre le mur.

Au bout d'à peine quelques minutes, le printanier avait complètement cédé à la panique et se dit qu'il mourrait là, bêtement, et ne serait jamais retrouvé! Aussi dramatique q'un acteur de théâtre, Viehrs balança la tête en arrière et s'apprêtait à chanter ( enfin, hurler en fait.) son désespoir; quand une masse de fourrure attira son regard et son cri se mua en un glapissement étouffé de surprise. L'hermaphrodite toisa la nouvelle venue, une louve au pelage gris et à la longue chevelure noire, qui sentait les feuilles mouillées et les épices; l'odeur caractéristique des automnaux. Viehrs leva les yeux au ciel; et décida finalement qu'il était moins humiliant de mourir seul accroché à des ronces, que d'être retrouvé, prit en flagrant délit d'intrusion, par une automnale.

Enfin, dans un tel cas, il n'avait guère trop le choix. Il s'agita en vain, avec l'espoir de se décrocher tout seul, mais rien n'y fit. Il lui fallait de l'aide et pour cela, il fallait se faire bien voir aux yeux de cette jeune automnale. Le Conseiller du printemps poussa un long, très long soupir; puis il s'exclama avec un large sourire d'apparat, comme s'il n'était pas suspendu au mur :

« Mes plus amicales salutations, demoiselle automnale. »  


 

Déjà, la jeune automnale n'exprima pas immédiatement de l'agressivité ou de la colère à son égard, ce que Viehrs considérait, sûrement un peu hâtivement, comme un point positif pour lui. Il avait cessé de gigoter afin de ne pas se rendre plus ridicule qu'il ne l'était déjà, mais aussi pour ne pas enfoncer plus les ronces qui étaient plantées dans son dos. L'albinos était tenté de presser un peu la louve argentée qui n'avait pipé mot depuis qu'elle avait posé les yeux sur lui et continuait de le fixer avec une grimace incrédule sur le visage. Oh! Viehrs se doutait que ce n'était pas son incroyable beauté qui la rendait muette. Cependant, il ne pouvait que lui être reconnaissant de ne pas avoir tracé sa route après cette vision tout droit sorti d'une illusion; car à sa place lui aurait été tenté de le faire, ne serait-ce que pour rigoler un peu. Viehrs ne que soupirer doucement et s'armer de patience...Ou au moins essayer. Il fallut quelques instants de plus avant que la printanière à la longue chevelure noire ne sorte de sa stupeur, pour lui répondre avec tout autant de politesse et de mesure :

« Recevez, cher printanier, l'expression de mes meilleurs sentiments. »

De la part d'une louve qui devait être en pleine adolescence, cette réplique surprit agréablement le printanier blanc qui élargit son charmant sourire. Il était tout de suite plus enclin à négocier patiemment avec quelqu'un qui parlait avec charme et élégance. Ce qui était assez rare, chez les loups si jeunes. ( Quoique lui n'était pas si vieux, à vrai dire.).

L'hermaphrodite ne cessait de lui sourire, comme s'il espérait qu'elle finirai par être touchée par son charme et se déciderait à le descendre de son perchoir. Ca n'est pas qu'il n'appréciait pas être en hauteur, néanmoins son poids pesant sur le harnais amenait les lanières de cuir à lacérer sa peau encore plus douloureusement que ne le faisait les ronces dans sa fourrure. Il grinçait des crocs en imaginant déjà à quel point il n'aurait pas fier allure en descendant finalement de là. Son regard attentif était rivé sur l'automnale, scrutant ses gestes avec attention. On remarquera que notre printanier ne faisait ici preuve d'aucune méfiance, sa situation ne lui permettait pas de se préoccuper d'un quelconque danger ou d'une quelconque menace : tout ce qu'il désirait c'était qu'on abrège son spectacle ridicule. Ensuite seulement pourrait-il s'inquiéter que l'automnale veuille potentiellement lui faire la peau.

Un frisson fit s'hérisser les poils autour de son cou lorsqu'il vit des plumes apparaître sur le pelage de la louve, perçant sa fourrure grise. Pour une raison qui lui était toute personnelle, la vue de plumes sur un pelage lupin mettait immédiatement tous ses sens en éveil. Il ne put détacher son regard de la transformation progressive de la louve en rapace, se demandant avec une curiosité dépourvue d'inquiétude si cela était douloureux pour son corps de se métamorphoser ainsi. Viehrs se dit alors qu'il avait rarement eut l'occasion de voir des loups capables de prendre la forme d'autres animaux et cela l'intrigua. Une adolescente automnale plus que polie et capable de se changer en faucon, voilà qui le rendait plus stupéfait encore que le fait d'être suspendu à plusieurs longueurs du sol. Mais toute interrogation disparaissait derrière le soulagement qui le gagnait à l'idée d'enfin se défaire de ce piège. Avec sa jovialité naturelle, l'hermaphrodite s'exclama :


« Vraiment, c'est bien aimable ! »


Derrière la surprise de la métamorphose et l'enthousiasme de la libération, Viehrs avait évidemment oublié que lui même pouvait se révéler être un piège pour la louve. Si il pensa à la prévenir que le toucher n'était pas une idée judicieuse, il y pensa bien trop tard et le mal était déjà fait. L'albinos sentit son pouvoir qui ne lui obéissait pas se déclencher à l'instant même où la louve changée en oiseau voulut saisir son pelage entre ses serres. Imitant l'expression de surprise de l'oiseau redevenue louve, les yeux de Viehrs s'écarquillèrent et il n'eut le temps que de pousser un glapissement surprise avant que les deux loups chutent au sol. Instinctivement, Viehrs se mit en boule pour atténuer le choc mais cela ne l'empêcha pas de heurter violemment le sol. Le loup blanc émit un sifflement de douleur et resta un moment couché sur le dos, les pattes en l'air, complètement sonné. Il pouvait sentir les épines qui s'étaient mêlées à sa fourrure et plantées dans sa peau délicate. Il pouvait aussi sentir les petites gouttes de sang qui mouchetaient son pelage albâtre. Voyons le bon côté des choses : au moins, il était descendu !

Maudit pouvoir inutile, pestiféra intérieurement l'hermaphrodite. Viehrs ne s'était toujours pas relevé lorsqu'il entendit sa sauveuse lui lancer avec la colère de celui qui ne l'a pas vu venir :

« Qu'est-ce qui vient de se passer ? »

Viehrs coula un regard exagérément penaud vers elle. En observant la louve, il se dit qu'elle non plus n'avait plus très fière allure. C'était au moins une petite consolation pour notre fier printanier. Avec prudence, il décida enfin d'essayer de se mettre debout...Et abandonna bien vite. Il n'avait pas encore appuyé deux pattes sur le sol qu'il sentit l'une de ses pattes arrière se dérober sous lui. Sa longue queue fouetta l'air avec agacement et il grogna de douleur avant de s'étaler de nouveau au sol avec la grâce et le dramatisme absolu d'une diva à qui on aurait demandé de faire la morte. Bon, il ne risquait pas de mourir. En réalité aucune de ses pattes n'était cassée ni même foulée, seulement éprouvées par le choc. Quelques instants de repos l'aurait vite remit sur pattes. Mais c'était mal connaître Viehrs de croire qu'il n'utiliserait pas la moindre blessure pour se dédouaner de toute responsabilité envers leur douloureuse chute !

Il resta donc étendu sur l'herbe douce, sa longue chevelure toute autour, ses oreilles couchées en arrière et s'expliqua :

« Je te prie de croire que ce n'était pas mon intention de nous faire tomber tous les deux, je n'ai nul attrait pour les attaques suicidaires... » Il étira douloureusement ses pattes en sifflant toujours de douleur, avant de continuer. « Ce qui vient de se passer, chère automnale, c'est qu'en me touchant avec tes serres tu as malencontreusement déclenché mon "pouvoir". »

Le mot "pouvoir" lui laissait toujours un goût amère sur le bout des babines et le loup blanc rechignait à considérer sa capacité comme un véritable pouvoir. Du coin de l'oeil, il regardait le sang de la louve grise qui s'écoulait hors de ses plaies de manière pour le moins singulière. Prudent, il se décida à ne pas trop se questionner sur cela mais resta attentif. Il continua sa tirade, toujours couché avec dramatisme :


« Je tends à oublier que ma "magie" absorbe sans distinction celle des autres. »

Le printanier marmonna enfin, avec un sarcasme qu'il ne put dissimuler tant son sourire seul traduisait son ironie :

« Mais tout de même, merci de m'avoir aidé à descendre ! »

 

Avec certains loups, le sarcasme de Viehrs passait inaperçu ou alors était vu comme une qualité ajoutant à son charme...Et avec d'autres, pas du tout. Viehrs n'était en rien humble, mais il était de nature pragmatique et capable de bien des comédies pour se faire voir d'un bon oeil. Il vu bien vite qu'avec la louve automnale, sa stratégie s'était plantée misérablement. Du haut de ses pattes, elle le toisait avec un agacement palpable et il s'attendait même à ce qu'elle lui fasse voir ses crocs. Il fronça les sourcils à ses paroles, manifestement surpris que cette adolescente s'attendit à plus de reconnaissance de sa part. Peut-être était-il sur le point de comprendre pourquoi les printaniers et les automnaux s'entendait si mal. Lentement, prenant soin d'ébrouer vivement son pelage couvert d'épines, l'albinos se remit sur ses pattes sans grande difficulté, prouvant qu'il ne s'était manifestement pas fait si mal que ça. Il se retint de lever les yeux au ciel et n'afficha que son sourire de diplomate absolu, laissant son sarcasme pour d'autres occasions. Le loup blanc se redressa, digne et noble, dépassant l'adolescente de plus d'une tête. Quelques épines étaient toujours prises dans sa longue chevelure, mais il en fallait plus pour le défaire de son assurance naturelle. Il répliqua à son tour, avec un sourire cette fois-ci dépourvue de sarcasme, ne prouvant qu'un peu plus sa capacité légendaire à changer de visage dès que besoin :


« Heureusement, alors, que tu aies été d'une bonté particulière pour me défaire de ce pétrin. »

Ce qui l'inquiétait un peu plus, c'était le sang de la louve qui s'écoulait de ses plaies de manière toujours plus délirante. A cet instant, le printanier ne se disait absolument pas qu'il pouvait s'agir d'un pouvoir, il se demandait simplement ce qui dans leur chute avait pu provoquer une hémorragie si particulière. Il surveillait cela d'un oeil sans bien sûr en informer l'adolescente automnale, se figurant que si cela venait à l'affaiblir, alors elle n'aurait d'autre choix que de solliciter à son tour l'aide du printanier. Oh oui, il était fier opportuniste sans limites ni scrupules. Son attention se reporta sur lui même et il s'appliqua à donner des coups de langue dans sa fourrure, afin d'enlever le sang et les piques de ses plaies; mais aussi de se refaire une petite beauté. L'hermaphrodite savait parfaitement que sa sauveuse  avait son regard posé sur lui, mais il était bien trop intéressé par lui-même. Viehrs ne s'interrompit que lorsqu'elle lui lança, sèche et courroucée :

« Maintenant que cet imprévu est derrière nous, puis-je savoir ce qu'un membre du printemps comme toi vient faire ici en automne ? Oh, mais quelle ingrate je suis. Commençons par les formalités. » Et ajouta, d'un ton impérieux. « Galadriel. Puis-je savoir ton nom ? »

L'aimable automnale s'était vite défaite de toute courtoisie. Viehrs pensa avec un sourire intérieur que cela trahissait encore sa jeunesse, prompte à être décontenancée par les événements et à défier l'autorité des plus âgés. Cette réflexion effraya un peu notre printanier, qui se rendit compte qu'il devait être bien vieux, pour raisonner ainsi. Lui qui se croyait d'une jouvence éternelle!
Viehrs n'aimait pas que quiconque lui donne des ordres. Cela avait le don de le  prendre à rebrousse-poil. Cependant, il pesa rapidement sa fierté face à son envie d'éviter un énième conflit et sa fierté perdit bien vite. Machinalement, l'albinos passa sa langue sur ses babines roses  et répondit, d'un ton toujours mesuré, par rapport à celui de Galadriel :

« Enchanté de faire ta connaissance, Galadriel. Je suis Viehrs, du clan du printemps comme tu l'as si habilement deviné. » Il s'expliqua sans sourciller un seul instant, mêlant la vérité au mensonge « Je m'étais rendue sur vos terres envoyée par mon alpha, Seira. Je suppose que les plus jeunes n'ont pas été mis au courant.»


Pour cacher son sourire perfide, il enfouit son museau dans son pelage auquel il donna un dernier coup de langue, pour faire bonne figure. Il lui plaisait de lancer quelques piques, malgré son air sympathique et agréable de façade. Viehrs se croyait plus connu que cela. Il s'imaginait certainement que n'importe qui aurait pu mettre un nom sur son visage... Mais il se consola : c'était une bonne chose que tous ne le connaissent pas. Décidé à calmer le jeu, parce qu'il avait les muscles encore bien trop engourdi pour esquiver si l'agacée Galadriel décidait de le remettre les idées en place, Viehrs pointa du bout du museau l'écoulement de sang bizarre qui maculait le pelage argentée de la louve. Ses oreilles s'étaient inclinées en arrière, par méfiance instinctive. Il s'enquit, d'une voix qu'il voulait inquiète plus que curieuse :

« Manifestement, tu risque d'avoir d'autres préoccupations que ma présence ici, chère Galadriel. J'ignore si tu l'as remarqué, mais tes plaies saignent d'une manière bien plus inquiétante que les miennes... »

Rappelons ici que Viehrs, s'il doutait au fond de son esprit qu'il ait pu s'agir de magie, pensait de prime abord que cet écoulement étrange n'avait rien à voir avec un pouvoir offensif. Il ajouta, d'un sourire bienveillant de parfait comédien :


« Peut-être t'es-tu fais plus mal que tu ne le penses...»

Et, toujours dans l'inconscience de son propre pouvoir ( ou peut-être le faisait-il exprès, c'était aussi possible, mais décidons que non.) , Viehrs avança une de ses pattes vers l'une des plaies de Galadriel et s'apprêta à poser sa patte dessus.
 

Parfois, on a beau tout calculer et tout prévoir à l'avance, les choses finissent quand même par prendre une direction qu'on avait guère envisagé. Viehrs s'était préparé à ce que la louve, dont il avait pu lire la panique sur son visage au bord de la crise, échappe à sa portée et le plaque au sol. Cela lui paraissait le plus probable, il s'était même tenu prêt à s'écarter promptement si les choses dégénéraient. Il se trouva donc bien bête, lorsque tour à tour la louve laissa sa patte se poser sur elle et que le sang, qu'il avait cru voir geler puis brûler d'un instant à l'autre, retrouva sa texture normale et arrêta de s'écouler abondamment. Viehrs était loin d'être le dernier des idiots, il comprit immédiatement qu'il y était pour quelque chose; cela n'empêcha pas la surprise de s'emparer de son visage. Prit au dépourvu, il se trouva aussi confus que Galadriel, qui lui jetait des regards d'incompréhension auxquels il répondait par des regards de stupéfaction totale.

Viehrs ne sut s'il devait retirer sa patte ou la laisser posée, tant l'automnale semblait prise autant de soulagement que de panique. L'albinos la fixait avec une certaine méfiance, guettant tout geste brusque. Tout lui parut plus clair lorsqu'elle bégaya, toujours pas remise de ses émotions :

« C'est - c'est bon... C'est un effet secondaire de... Mon sang change de température. Merci en tout cas. Et désolée d'avoir été... passive agressive. Ce n'était pas une réaction mature. »

Il eut alors un déclic, qui le plongea à son tour dans une crise existentielle. Si il avait compris dès le départ qu'il s'agissait bien ici d'un pouvoir qu'il annulait, Viehrs n'avait pas eu la présence d'esprit de comprendre que son propre pouvoir avait pu procurer du bien. Extérieurement, l'albinos resta de marbre mais intérieurement, il était en train de tout remettre en question. Jamais son pouvoir ne lui avait servit à aider les autres, mais toujours à les mettre en déroute ou à les rendre fous. Viehrs le haïssait à un point tel, que jamais il ne lui était venu à l'esprit qu'il pouvait en user à bon escient. Il était loin d'être méchant, néanmoins son pouvoir avait toujours servit à taquiner les autres, pas à les apaiser. Cela le troubla quelque peu.

Malheureusement, le printanier était loin d'être altruiste et le fait de comprendre qu'il pouvait utiliser son pouvoir à des fin curatives, ainsi qu'on pouvait lui être redevable, lui insuffla un air de triomphe. L'espace d'un instant, ses yeux se plissèrent si bien qu'ils disparurent presque derrière ses cils blancs. L'hermaphrodite regardait de haut l'automnale, remis de sa propre crise existentielle, son air de bienveillance cachait son allégresse. Doucement, il fit le tour de Galadriel pour venir s'asseoir près d'elle, gardant le contact avec elle si bien qu'on aurait pu croire à deux bons camarades assis l'un contre l'autre. Il s'assit dignement, dans une posture droite, sa queue enroulée autour de ses pattes pour les garder au chaud. Viehrs poussa un petit gloussement et déclara, avec son calme légendaire, et sa gentillesse trompeuse :


« Mais je t'en prie, c'est toujours un plaisir que de pouvoir aider son prochain.»


Viehrs le bon samaritain, lui même s'en trouvait amusé. L'hermaphrodite était surtout un petit profiteur aguerri et il lui plaisait de voir comment la louve avait calmé toute irritation à son égard. Il se permit, sans gêne ni timidité :


« Ainsi, c'est ton pouvoir qui provoque ce genre de saignement? Cela ne doit pas être très agréable au quotidien... »

Leur rencontre mouvementé avait prit une tournure bien plus posée. Il y avait un contraste cocasse entre l'attitude anxieuse de Galadriel et la zénitude de Viehrs. Il prit une grande inspiration d'air frais. Utiliser son pouvoir en continu ne le fatiguait pas vraiment, il le sentait à peine. Tout ce qu'il sentait, c'était l'énergie puisée au fond de lui qui circulait dans tout son corps pour aller ensuite dans celui de Galadriel. Il voulut tester la résistance de la jeune automnale, par stratégie ou par taquinerie, ou les deux. Son sourire s'accentua et il sembla avoir un sursaut et fit un mouvement comme pour rompre le contact avec Galadriel. L'hermaphrodite prit un air d'innocence angélique et dit, toujours sur ce ton bienveillant que ceux qui le connaissaient bien n'auraient cru un seul instant :

« Oh mais! Suis-je sans gêne! Peut-être te mets-je mal à l'aise à te coller ainsi ? C'est que je ne voudrais pas que tu souffres, vu que tu m'as déjà sauvé la mise. »

Viehrs regarda Galadriel se détacher de lui avec ce même sourire bienveillant, la suivant du regard avec cet air toujours amical, comme s'il était venu pour nouer des relations parfaitement pacifiques avec l'Automne. On aurait pu croire son sourire hypocrite et faux, mais Viehrs était un loup naturellement souriant et extraverti, de sorte qu'il aurait été bien plus inquiétant de ne pas le voir sourire. Ainsi qu'il ne le sentait pas se déclencher, il ne sentit pas non plus son pouvoir cesser de fonctionner, ce qui renforçait son idée de non-contrôle absolu sur son pouvoir. Néanmoins, il était plus que satisfait : son "plan" concocté en deux secondes avait fonctionné à merveille et si la louve argentée n'était pas totalement détendue, elle était déjà beaucoup moins hostile à sa présence. Il se demanda un instant quel était le rang de la jeune louve, au cas où cela pourrait s'avérer utile plus tard, mais il avisa de rester silencieux et se dit que cela n'avait pas tant d'importance, la femelle étant encore une adolescente, pas encore tout à fait prête à rejoindre la cour des grands.

« Tu as été envoyé ici par Seira, n'est-ce pas ? Alors tu dois être ici pour voir Daeron. Je vais te montrer où se trouve sa tanière pour ne pas que la situation précédente ne récidive. »

Il était déjà passé à autre chose, si bien qu'il en avait complètement oublié son petit mensonge... Nul doute que Daeron ne l'attendait certainement pas, et aurait sûrement été bien surpris de le voir débarquer du printemps. Une petite sueur froide parcouru son échine et il faillit laisser son désarroi transparaître sur son visage mais il se retint parfaitement et se contenta d'hocher la tête avec gratitude. Viehrs n'était guère un novice dans l'art des petites tromperies sans importance, si bien qu'il s'exclama simplement, sans jamais perdre de sa contenance :

« Ce serait vraiment très aimable, ne serait-ce que pour sortir d'ici ! » Il lui adressa un clin d'oeil complice. « J'espère pouvoir compter sur toi pour...Ne pas évoquer mon petit imprévu de parcours. »

Il eut un petit éclat de rire, parce que l'auto-dérision ne lui ferait guère de mal. Après tout, leurs chemins pourraient bien se séparer une fois hors du labyrinthe, lui prétextant qu'il connaissait le reste du chemin...Mais il avait effectivement besoin d'aide pour sortir de ce dédale infernal, même s'il était presque trop fier pour l'admettre. Il se leva sur ses pattes et s'ébroua, s'apprêtant à rejoindre Galadriel, mais quelque chose le coupa brusquement dans son élan. En tombant, son harnais s'était déplacé si bien qu'il était positionné de manière à l'empêcher de marcher correctement. De sorte qu'il fit deux pas avec la même grâce que s'il marchait avec des morceaux de bois à la place des pattes...Essaya encore un pas en avant...Encore un autre, en vain, puis fut forcé de mettre une halte à ce désastre. Il tiqua d'agacement. Décidément, les dieux s'étaient ligués contre sa beauté naturelle pour le ridiculiser aujourd'hui ! Irrité, il s'arrêta tout aussi brusquement, remis son harnais en place d'un coup de dent sec, et se redressa dignement comme si de rien était.

A grand pas, et sans gêne cette fois, l'albinos rejoint la louve argentée et lui emboîta le pas, marchant à ses côtés, toujours aussi souriant et jovial. Comme il la suivait, et assumait qu'elle connaissait le chemin au moins un peu mieux que lui, Viehrs ne chercha pas à se repérer dans l'espace et la suivit aussi docilement qu'un mouton suit son berger. Cependant, quand au bout de plusieurs minutes de marche, il vit un cul de sac se dresser droit devant eux, Viehrs se rappela pourquoi il ne faisait guère confiance à personne. L'hermaphrodite ralentit peu à peu et leva la tête vers le haut mur qui leur barrait le chemin, abandonnant d'emblée l'idée de l'escalader, vu le succès que cette idée avait eu la dernière fois. Ils n'avaient plus qu'à faire demi-tour. Cela s'annonçait mal. Le printanier savait se repérer parfaitement au Printemps, presque parfaitement au Solstice et pas trop mal sur certains autres territoire mais celui qu'il connaissait vraiment le moins, en l’occurrence, c'était bien celui de l'Automne. Mais en même temps, d'ici à ce qu'ils parviennent enfin à sortir de là, il n'aurait plus le temps de se présenter à son "rendez-vous" fictif avec Daeron et n'aurait plus qu'à rentrer chez lui. Le Conseiller du printemps eut un nouvel éclat de rire, plus nerveux et embarrassé cette fois, et se tourna vers Galadriel, à qui il adressa un air un peu intrigué, les oreilles basses mais toujours, éternellement, souriant :

« J'ai omis de te le demander mais...Je suppose que tu sais comment sortir d'ici, n'est-ce pas ? »