Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

° Mais...Mais comment suis-je allé aussi loin? ° Se demandait Amano, tandis qu'il faisait face à la longue plaine pourvue d'arbres dépourvus de la moindre feuille. En une saison différente, cet endroit devait être d'une beauté plus qu'époustouflante, se persuadait le jeune petit loup bleu tout en venant s'asseoir au pied de l'un de ces grands arbres, déshabillés par l'audacieuse saison hivernale. Le sol était recouvert d'une fine couche de gel, accompagnée par endroits de plaques de verglas sur lequel Amano avait plusieurs fois failli glisser, ramenant alors d'un seul coup son attention sur ses pas. Ses pattes tremblaient, de fatigue autant que de froid. A plusieurs reprises, il leva chacune de ses pattes, les unes après les autres, car la glace réveillait la douleur enfouie des coupures que le jeune adulte avait à chacun de ses coussinets. Serrant les crocs, il se força à garder les quatre pattes au sol, ses muscles lui faisant mal aussi et ne supportant plus d'être sollicités en cet instant. Que lui avait-il pris de marcher si loin? C'était un des nombreux défaut du petit loup bleu : lorsqu'il partait en balade, il était tant pris par cette dernière qu'il marchait sans s'arrêter jusqu'à ce que ses pattes lui disent d'aller bien se faire voir. Essoufflé, il reprenait doucement son souffle, un petit nuage de fumée se formant à chaque expiration d'Amano qui observait le paysage de ses yeux vairons.

A cause de sa maladie, sa vue se dégradait peu à peu et si il voyait toujours presque parfaitement, le monde entier lui sembler plus terne, même recouvert de l'éclatante blancheur de l'hiver. Admirer le paysage n'avait plus la même saveur. Sa respiration, comme toujours, était sifflante, désagréable à ses oreilles, l'agaçant constamment. Il était épuisé. Il aurait fallu qu'il soit en meilleure condition physique pour pouvoir endurer de tels voyages d'une seule traite. Or, ce n'était pas du tout le cas. Secouant la tête, il se laissa lentement choir contre l'arbre au tronc noir et posa sa tête sur ses pattes avant de continuer à regarder droit devant lui.

Il n'avait aucune sainte idée de l'endroit où il se trouvait, complètement inconscient de l'existence des clans sur ces terres. Certes, il sentait les multiples odeurs de lupins, mais il s'appliquait toujours à éviter ses comparses, de sorte qu'il n'avait encore rencontré personne depuis son arrivée ici. Ainsi, Amano n'était absolument pas conscient de se trouver sur les terres du printemps, il avait du franchir leur frontière sans même s'en rendre compte. A ses yeux, il était à un endroit comme un autre, sans distinction claire.

Silencieux, comme à son habitude, il écoutait le vent glacial de l'hiver siffler dans ses poils et ses cheveux. Sa fourrure était assez épaisse pour le protéger un minimum du froid mordant, mais étant aussi fragile qu'une petite tasse de porcelaine, il grelottait de froid et ses crocs s'entre-choquaient. ° J'aurai du rester où j'étais...Surtout considérant le fait qu'il n'y ait rien pour s'abriter ici...Je vais encore attraper la mort moi...Comme si ce n'était pas déjà fait. ° pensa à nouveau Amano en laissant échapper un profond soupir. A chacun de ses mouvements, ses deux fins bracelets en or tintaient doucement, et ce simple petit son à peine perceptible, parvenait à le garder calme, pour une raison que lui même ignorait. Il devait absolument rester le plus serein possible... Sa tête se redressa un peu. Ses superbes yeux vairons parcouraient les cicatrices sur son corps, vestiges des mutilations qu'il s'infligeait chaque fois qu'il était stressé. Elles étaient roses et à peine encroûtées, preuve qu'il ne les avaient pas rouvertes depuis un petit moment, ce qui le fit sourire doucement. Il savait pertinemment qu'il finirait par les rouvrir ou en faire de nouvelles, mais pour le moment, il tentait de ne pas même y penser.

Il rebaissa la tête sur ses pattes et ses cheveux couleur d'ébène retombèrent doucement en travers de ses yeux...Que c'était silencieux ici. Que c'était calme. Que c'était reposant. Et puis c'était beau, par dessus le tout. A la merci de tous et ne dégageant aucune aura hostile, Amano s'assoupit très légèrement malgré lui. Il était épuisé par sa longue marche et trop faible pour s'en remettre aussi facilement qu'un autre. Tenter de continuer à avancer relèverait du suicide. Il craignait qu'on l'approche, mais n'ayant encore croisé la route de personne, il était sûr que cela ne risquait pas d'arriver. Alors il pouvait bien s'accorder un petit moment de repos, avant de reprendre sa route sans but aucun. Il se doutait pas alors que tandis qu'il se déconnectait presque sans crainte du monde qui l'entourait, une silhouette, encore lointaine, se rapprochait peu à peu de lui.

Un son de raclement de gorge, hors de sa bulle de sommeil, le fit sursauter et le ramena brusquement au monde réel, glacé et empli de couleurs ternies et légèrement floues. Pendant un petit instant, il crut qu'il s'agissait d'un son produit par sa propre gorge, jusqu'à ce que son regard encore un peu embrumé se pose sur une paire de pattes blanches et d'un joli bleu nuit, plus foncé que le sien. Des paroles suivirent, prononcées avec sérieux :

« Tu devrais pas rester là. Il fait froid et t’as déjà du mal à respirer. Vas voir un guérisseur. Tu vas crever si tu restes dans le froid comme ça. »

Le temps qu'il se assimile le fait que quelqu'un se tenait prêt de lui, bien trop prêt de lui, il bondit brusquement sur ses pattes encore engourdies, manquant de retomber au sol, ne se maintenant debout que dans équilibre fragile.

Qui était-ce? Il n'avait encore croisé personne. Pourquoi maintenant? Quel idiot avait-il été de s'endormir! Il s'était senti en confiance, à cause de tout ce temps passé seul. Mais seul, il ne l'était plus, désormais. Bandant le peu de muscles qu'il avait, la queue entre les pattes et les oreilles plaquées contre sa nuque, Amano planta son regard vairon, d'émeraude et de saphir, dans celui du jeune loup debout devant lui. Ainsi, sans prononcer la moindre parole car il n'en voyait pas l'intérêt, le loup bleu se mit à gronder, sifflant presque. Il avait retroussé les babines, dévoilant ses crocs blancs. Tout dans son attitude se voulait agressive et menaçante...
Cependant, il était bien difficile de se sentir menacé par un loup adulte plus petit que la moyenne, à la respiration sifflante, si bien qu'on se demandait si il n'allait pas mourir d'ici peu. De plus, si l'on prenait la peine de plonger profondément ses yeux dans ceux du petit mâle, on pouvait voir qu'il n'était fait presque que de gentillesse et de bonté. Mais encore aurait-il fallut le faire. Si l'on l'observait simplement ainsi, il n'avait l'air que d'un petit nain teigneux et taciturne, peu enclin à communiquer et à coopérer.

Il ne se sentait plus en sécurité, son pelage était hérissé de terreur et il raclait le sol de ses petites griffes fluorescentes. Pourtant, au fin fond de sa personne, là où se trouvait toutes les choses qu'il n'avait pas volonté à assumer ou à admettre, naissait le soulagement de n'être plus la seule âme errante en ce monde hostile, bien qu'il n'avait pas encore déterminé si cette âme là était bonne ou mauvaise. Plissant les yeux, il se mit à détailler le lupin en face de lui avec un air à la fois timide et sans gêne.
C'était un jeune mâle, plus jeune que lui mais pourtant déjà plus grand. ° Tiens...° Son pelage était d'un bleu foncé comme la nuit, pas éclatant comme le bleu de la fourrure d'Amano mais tout de même semblable. Son corps déjà bien formé à l'allure droite et à la musculature impressionnante était parcouru de motifs plus foncés ou blancs. Ses quatre pattes, d'ailleurs, donnaient l'impression d'avoir été trempée dans de la neige qui n'aurait pas fondue. Son regard, qui intimidait presque Amano, était d'un époustouflant doré, donnant l'impression que l'on avait versé de l'or fondu dans ses iris, détonants tels deux étoiles au milieu de l'obscurité de son pelage. Alors qu'il arrivait à la fin de son observation détaillée, le solitaire se rappela qu'en arrivant, ce loup dont l'odeur était étrangement semblable à celle de ce lieu, lui avait adressé la parole.

Pourquoi s'inquiétait-il pour lui? Certes, il avait raison mais ce n'était pas là ses affaires, et qu'Amano crève ou pas, cela ne concernait que lui et pas ce loup qu'il ne connaissait même pas. Intrigué par cet élan de...De quoi au juste? Il n'en avait aucune idée mais il continuait à chercher. Le loup bleu fronça légèrement les sourcils et pencha la tête sur le côté, détroussant un peu ses babines mais n'arrêtant pas de gronder sourdement pour autant et ne se faisant pas plus détendu. Il n'était toujours pas décidé à parler...Si il ne parlait pas, alors le loup se désintéresserait peut être de lui... Tout de même, il ne pouvait pas rester froid. Stoïque. Devant ce loup qui lui "proposait de l'aide" alors qu'il n'y était absolument pas obligé. Il ne devait pas être si méchant que cela... Se redressant un peu, Amano se força à sourire et secouant doucement la tête, cherchant à signifier qu'il remerciait grandement le loup inconnu pour sa proposition, mais qu'il n'en avait pas le moindre besoin. Après tout, c'était bien vraiment, il pouvait parfaitement se débrouiller tout seul...N'est-ce pas?