Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

- Oui, mais je ne suis pas tout à fait comme tous ces autres "loups turbulents"... Je me suis déjà amusé avec bon nombre de louve : une de plus ou une de moins ne changera rien... mais aucune d'entre elles n'a réagit comme tu l'as fait... Je ne sais pas comment tu fais pour être aussi calme...

Darksky semblait progressivement reprendre du poil de la bête, comme on dit. Du moins, aux yeux de la guérisseuse blanche. Il n'avait pas lâché le ton de sa voix. Peut-être était-il obstiné tout de même. Cette pensée ne fit pas bien peur à la printanière qui songeait plutôt au fait qu'à présent, elle était libre ; alors il pouvait bien continuer à jouer avec ses petits tours d'arrogance... que ça ne changerait rien. Au moins, maintenant, elle comprenait mieux pourquoi il avait cessé de s'amuser avec elle : elle s'était montrée bien plus perspicace que les autres louves. Forcément, c'était ennuyant, pour un " prédateur ".

L'individu ne laissait malgré tout paraître pas plus de virulence que cela. Il aurait pu se montrer fâché qu'elle se mette à s'asseoir et à l'observer ; qu'elle accentue ainsi sa défaite ; mais non, il se contentait de rester sagement couché, à faire part de sa propre incompréhension. Est-ce fini, alors ? Ou t'es-tu mis à penser que la partie continuait, ce qui te donne tant d'assurance et de maîtrise ? Il ne semblait pas énervé, mais tout du moins un peu contrarié, vu les paroles qu'il formula par la suite en employant un ton un peu plus mystérieux :

- J'aurais au moins apprécié que tu admettes que tu as eu peur...

Il tenait toujours à cet air distant et provocateur. Mais elle continuait de le regarder posément, les oreilles redressées à cette phrase qui au fond laissait planer une sorte de mystère. Qu'attends tu que je te réponde, au juste ? Autant ne pas raviver la flamme de persécuteur qui brûle en toi.

Mais pour autant, je ne vais pas me mettre à mentir. J'ai toujours été franche, et rien ne m'a jamais influencé là dessus. Si tu veux comprendre certains détails... moi, je ne tournerai pas autour du pot.

- Tu m'expliques t'en être déjà pris à d'autres louves ; je vais te retourner l'information, fit elle en fermant à moitié les yeux et en tapotant deux brefs coups sa longue queue repliée sur ses fins antérieurs. J'ai déjà rencontré des semblants de persécuteurs solitaires dans le passé. J'ai compris là-bas que la peur n'empêche pas le danger, et qu'elle avait même plutôt tendance à l'affûter - chose que je n'assimile pas tout le temps... Seulement, parfois, je ne sais pourquoi, mais quand je suis seule et vulnérable, mon pessimisme qui me fait peur de nombreuses fois me rappelle certains détails que j'ai déjà connus dans ma solitude ; j'arrive à réfléchir ; et il me guérit.

La guérisseuse printanière posa quelques secondes ses yeux aux couleurs végétales sur la cascade du Bassin de Milwo. Elle savait au fond d'elle que ce n'était sans doute pas si simple. Peut-être était-ce aussi son incompréhension qui l'avait empêchée de démontrer sa peur. Car elle n'avait pas compris tout ce qui s'était passé ; elle n'avait pas compris pourquoi on s'en prenait à elle ; elle n'avait pas compris les changements du loup... Toute cette incompréhension avait sans doute ravivé sa curiosité et sa détermination ; et elle avait alors peut-être voulu savoir si cela valait le coup ou non d'avoir peur. Elle avait eu le temps de réfléchir.

Pour autant, la jeune louve décida de ne pas faire part de ces éléments. Laissant son regard voguer sur l'apaisante eau ondulante, elle continua de la même voix :

- Maintenant, évidemment, comme pour n'importe qui dans ce genre de situations, une pression vient assaillir les pensées. Elle se mit à sourire quelque instants de manière presque imperceptible lorsqu'elle reconnut avec une légère pointe d'amusement : Je me suis même mise à penser à des choses complètement farfelues. A vrai dire, j'ai fini par envisager ma mort. Si mon esprit n'avait alors pas peur et s'était armé, mon corps tremblait, car il était vulnérable. Ses yeux revinrent se poser sur le sombre loup. Ils redevenaient fixes alors que sa voix reprenait une tournure sérieuse. Cependant, je n'attends pas de toi à ce que tu comprennes mes émotions, car de toute façon, la discussion ne t'intéresse pas - ça, je l'ai bien assimilé. Ainsi, je pense que je vais arrêter de t'ennuyer maintenant, car je suis à peu près certaine de ne pas avoir de réponses en retour.

Le fait d'être certaine que le loup ne s'expliquerait pas l'avait arrêtée là.
Elle n'avait plus vraiment envie de fournir d'efforts, à présent. Après tout, elle parlait surement dans le vide, à s'expliquer sa propre réaction qu'elle se savait pas à proprement expliquer elle-même ; car il lui arrivait pourtant fréquemment d'avoir peur.
Et de plus, lui, il continuerait de se montrer mystérieux, et elle savait qu'il n'arrêterait pas : il avait sans doute remarqué que sa curiosité la tourmentait. C'est le chien qui se mord la queue, songea-t-elle alors. Jamais je ne pourrais savoir ce qui pousse véritablement Darksky à agir ainsi et à se montrer aussi lunatique. Il vaut mieux que j'abandonne ici, avant que le mal ne reprenne.

Elle se blessait intérieurement à ses pensées.

La chétive louve resta un instant silencieuse. Le visage de son interlocuteur s'était dénué de toute hostilité ; cela le rendait presque plus glacial qu'il ne l'était déjà. Comment savoir si ce masque était un mauvais présage ou non ? Devant sa propre incertitude, elle décida néanmoins de qualifier ce nouveau changement de premier pas. En effet, si elle avait imaginé une réaction de la part du sombre loup, ce n'en était pas une de cet ordre là... Il s'était mis à parler calmement. Peut-être que, finalement, elle s'était elle-même un peu trompée sur son cas.

La printanière eut encore plus de doutes lorsque, à sa réponse, le loup souligna humblement, sans prétention, une vérité. Il est conscient, et peut-être même bien plus que moi, de mon propre pessimisme. Serais-je à ce point méfiante pour ne pas lui laisser une chance ? Mhh... Il serait contradictoire de penser ainsi, après ce qu'il a essayé de me faire... Malgré tout, la jeune louve dut reconnaître que son bien étrange camarade avait marqué un point.

Pour autant, elle ne se laissa pas démonter. Elle sentait monter en elle une sorte d'intérêt grandissant voilé derrière sa prudente méfiance. Le lunatique personnage lui accordait quelques mots d'une manière forte innatendue... Peut-être continuerait-il ? Elle avait de plus en plus envie de comprendre, bien que son pessimisme la forçait malgré tout à ne pas baisser sa garde. Elle n'avait tout de même pas envie de se retrouver de nouveau plaquée au sol...

- Je dois admettre que je n'avais pas imaginé une seconde que tu puisses vouloir "parler", dit-elle d'un ton innocent. Le loup avait lui-même dit que cette discussion l'ennuyait à peine quelques minutes auparavant. Cela pouvait-il changer... ? Elle reprit de sa voix habituellement douce comme si elle se sentait calme : Je pense néanmoins que tu puisses comprendre ma méfiance, non ?

Sans quitter de ses yeux verts le lunatique canidé au pelage strié de bleu, elle continua comme pour forcer le loup à poursuivre dans sa démarche :

- Pourquoi aurais-tu envie de converser, à présent ? Tu m'avais pourtant laissé comprendre que tu préférais jouer à un tout autre jeu... et que la discussion n'était pas ton fort.

- Je comprends ta méfiance, jeune louve, puisque mon but premier était de t'effrayer... mais je ne comprends pas cet aspect catégorique... Tu penses qu'un loup aussi agressif que moi ne peut pas avoir envie de parler, n'est-ce pas ?...

Comme prévu, le mystérieux individu continuait sur sa lancée. Il admet qu'il souhaitait me faire peur, remarqua la femelle au pelage blanc. Elle comptait bien souligner ses efforts.

Mais bien évidemment, il ne manquait pas en contrepartie de mentionner l' "erreur" de la jeune printanière... Pourquoi voulait-il toujours autant savoir son nom, au juste ? Etait-ce encore l'un des rouages qu'il comptait utiliser à l'une de ses sombres machinations ? Airmead n'en savait rien. Mais pour une fois, bien qu'elle conservait la même distance qu'auparavant, elle décida qu'elle cesserait de se défiler. Je ne sais pas quoi penser de toi, Darksky, songea-t-elle. Mais je compte bien avoir une identité précise à mettre sur ton nom.

Cependant, elle n'en fit rien pour l'instant, continuant de l'écouter avec le même calme, de froncer légèrement les sourcils de temps à autre, et surtout, de scruter le visage du lunatique camarade à la recherches de réponses. Il semblait solennel, pourtant. Pourquoi n'avait-elle toujours pas confiance ? Elle ne put y songer bien longtemps, tirée de ses pensées lorsque la voix de Darksky se fit un peu plus profonde et hostile :

- Mais peut-être penses-tu que je suis dénué de tout sentiments, que je n'ai jamais, au cours de ma vie, montré des bons côtés de ma personne ? Ou peut-être n'en ai-je même pas ? ... Penses-tu que je n'ai d'autre émotions que la colère et la haine ?!

L'intensité montante dans la voix inquiétante du puissant canidé fit reculer la tête de la louve, et ses oreilles se plaquèrent sur son crâne. Jamais elle n'aurait osé suggérer une telle chose, même si elle avait pensé le loup cruel. c'était justement au contraire - à la possibilité d'avoir des sentiments - qu'elle avait voulu croire. Au moins, à présent, bien qu'elle sentait un peu ses pattes avant flageoler, elle était fixée : le loup était capable de bien plus d'émotions que de simple méchanceté.

La gueule de la chétive louve s'entrouvrit brièvement, mais aucun son n'en sortit tout d'abord. Ses yeux restaient posés sur le fin loup au pelage gris foncé. Il détournait le regard, semblait fixer quelque chose d'invisible l'espace d'un instant. Que ressentait-il, à présent ? De la contrariété ? De l'humiliation ? Non, c'était bien plus que cela... Mais lorsque les yeux du loup, d'un bleu glacial, revinrent se planter dans ceux de la louve, elle s'inquiéta plutôt d'un autre fait ; en quoi allaient se muer ces sentiments partagés qu'éprouvaient le printanier si jamais elle restait aussi "catégorique" qu'il l'avait sous-entendu ? Jusqu'où cette soudaine contrariété pouvait le pousser ?

Idiote... Jamais tu n'as agi ainsi, auparavant. Cela ne te ressemble pas. Et même si c'est un piège, alors... ? Cela doit-il te forcer à te méfier ?

Relevant un peu la tête pour mieux soutenir le regard perçant du loup, elle resta quelques instants silencieuse, plantant son regard sans le sien sans flancher. Mais c'est d'une voix douce, étrangement marquée d'un autre sentiment, qu'elle répondit :

- Je n'ai jamais vraiment pensé cela de toi, Darksky. Tu n'es pas celui que je me dois de craindre le plus, dans cette meute. Sa gorge se noua au souvenir des préventions que son confrère estival lui avait fait parvenir. Mais elle n'en dit rien, et déglutit pour reprendre d'une voix placide : Je suis consciente que je ne te connais pas assez. c'était là mon problème ; je voulais te comprendre, un peu plus. Même si j'avais voulu te juger de la sorte, avec cette fermeté que tu décris, cette cruauté, je n'aurais pu. Tu viens de prouver toi-même, que tu n'es pas seulement fait de haine et de méchanceté.

Bien qu'elle avait soudainement envie de détourner le regard, de poser ses yeux sur un arbre ; un buisson, une feuille ; n'importe quoi ; elle resta immobile, son regard dans le sien. Son mental était fort, alors son regard était calme, mais son corps, qui était sa faiblesse, était extrêmement tendu, si bien que ses petites griffes, au bout de ses courtes et fines pattes avant, vinrent se planter dans le sol tourbeux de la forêt. Peu importe le prix à payer, le risque, quoi que ce soit, elle qui avait eu une réponse, elle ne pouvait en refuser une au loup. D'une voix subitement plus étouffée, elle souffla :

- Je m'appelle Airmead, Darksky. Airmead.

Le loup était resté un instant silencieux, comme plongé dans de longues réflexions. Cela ne lui ressemblait pas, d'avoir la tête ailleurs. Mais alors, ce fait prouvait que quelque chose d'inhabituel s'était produit, pour son camarade ; qu'il n'était pas resté insensible à tout ce qui venait de se passer. Peut-être réfléchissait-il aux paroles de la chétive louve. Ou bien, peut-être qu'au contraire, il avait du mal à croire à ce qu'il avait pourtant voulu entendre de sa bouche. Tout cela était décidément bien difficile à comprendre...

Cependant, alors qu'Airmead s'attendait à une réaction vive et satisfaite de la part du lunatique printanier, il se contenta d'acquiescer d'un signe de tête en guise de remerciement.

- Airmead... C'est un prénom ravissant.

La jeune louve releva rapidement la tête, découvrant que le regard de son interlocuteur, d'un bleu profond et placide, ne l'avait pas quittée. La voix qu'elle venait d'entendre, calme et suave, provenait bien du sombre mâle. Elle le dévisageait avec étonnement, ses pensées se bousculant en son fort intérieur. ... "Ravissant"... ? Et le loup avait répondu avec une telle franchise qu'il n'était pas question de sarcasme ou autre. Il avait bel et bien été sérieux, en agissant ainsi, calmement et respectueusement. Il n'y avait pas de sous-entendu, cette fois-ci. Que s'est-il passé, au juste ?

Mais Darksky ne lui laissa pas le temps de récupérer son visage d'un calme implacable ; avec cette même voix, quoiqu'un peu plus vive, il poursuivit :

- Un prénom tout aussi délicieux que celle qui le porte...

Bien que ses griffes n'étaient plus plantées dans le sol noir de la forêt, la petite femelle conservait un visage empreint d'un certain désarroi. Ses yeux grands ouverts finirent par réussir à se fermer légèrement, bien qu'elle continuait à avoir du mal à y croire.

Suffisait-il d'y croire ? Difficile à dire. Cette voix, pourtant si douce, conservait un timbre indescriptible dans le fond. Il n'y avait rien de perfide, rien d'aussi explicite que l'un de ces sourires sombres et inquiétants dont l'individu aimait se parer. Non. Mais il y avait toujours ce petit quelque chose, ce petit côté... manipulateur ? La printanière dût reconnaître qu'il avait du charme, dans cette expression faciale. Oui, il conservait malgré tout des traits de ce qui faisait de lui le dangereux loup qu'il s'était dévoilé être au tout début.

Il restera toujours Darksky. Ce que je viens de découvrir là n'est qu'un second visage. Finalement, dressant ses fines oreilles pourtant perturbées auparavant, elle se mit à dévoiler un petit sourire tandis que ses yeux mi-clos restaient posés sur son camarade du Printemps. Tu as du charme, ainsi. Déjà bien plus de charme qu'avant.

- Je ne pensais pas que tu savais autant parler aux dames, Darksky. Mais je ne t'en demanderais pas tant...

Balayant le sol d'un bref coup de queue pour la détacher de son flanc, la fine louve se leva, le joyau émeraude attaché à son collier émettant un bref cliquetis. Elle recouvrait toute sa mobilité, ne se sentait plus oppressée. Elle venait de commencer à découvrir le loup sous un nouveau jour. Malgré tout, ce n'était pas fini. Il y avait encore tant de chemin avant de pouvoir comprendre...

- Mais je me dois de t'être reconnaissante. Ce temps que tu as accepté de partager avec moi n'aura pas été sans valeur.

Et il m'a aussi changé les idées. Sacré Darksky... Que dois-je alors penser de toi, précisément ? Il y a tellement de facettes à mettre sur ton nom...

La louve se retourna de moitié, comme si, ainsi, elle préparait son départ. Cependant, c'est d'une voix douce mais étrangement nouée qu'elle voulut l'annoncer :

- Je vais malheureusement devoir te laisser là. Je suppose que tu n'y vois pas d'inconvénient...

Naturellement. Bien que du Printemps, le loup était un solitaire d'esprit, alors pourquoi s'en faire pour lui ?