Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Nachtgewalt s'avançait lentement le long du Lac des murmures, observant son reflet dans l'eau. Son corps monstrueux, à la morphologie si difforme et au pelage si noir, se distinguait sur l'eau comme un spectre venu des abysses, ses yeux lunaires rivalisant avec l'astre nocturne qui illuminait la nuit et dessinait l'hideuse silhouette du solitaire. Son appendice en forme de bec, ses quelques plumes, son allure simiesque, tout semblait sorti d'un cauchemar pour enfant. Nacht n'aimait pas se regarder. Il s'était habitué à sa laideur, mais elle lui rappelait à quel point sa haine des LibreLunes était forte, et à quel point il souhaitait se venger de ceux qui par leur paresseuse inaction lui avaient infligé ça. Cela le titillait, le démangeait atrocement. La brume flottait tout autour de lui, en écho à ses pensées embrumées. Nacht, de mauvaise humeur, donna un coup de queue vengeur dans l'eau, troublant sa lisse surface et son horrible reflet. Il ne s'était même pas arrêté de marcher.

L'air était doux, agréable. Une brise passait sur les herbes entourant le lac, caressant la cime des arbres. Nacht ne savait pas trop ce qu'il faisait là. Normalement, il cherchait une recrue, mais avec les événements du volcan, les loups solitaires s'appauvrissaient, explorant les nouvelles terres. Peut-être cherchait-il la tranquillité ? Cette pensée le fit glousser, son immonde sourire pointant sur son museau. Allons. Nacht s'en fichait de la tranquillité, il n'y avait que les faux loups méditatifs comme le démon Viehrs pour la rechercher, voilà tout. Ou alors ces crétins de LibreLunes.

Agacé de retourner à penser à eux, Nachtgewalt ne remarqua pas tout de suite le loup blanc et noir sur la berge, qui semblait analyser les alentours. Lorsqu'il le fit, il nota alors la paire d'ailes sur son dos, ainsi que le bandeau noir qui lui entravait la vue. Nacht s'arrêta, surpris. Un aveugle ? Ou juste une facétie de décoration ? Le damné noir eut un mauvais sourire. Voilà qui était cocasse ! Nacht s'approcha le plus discrètement possible, espérant tromper le loup autant qu'il trompait son ennui.

Malheureusement, il sous-estimait les capacités auditives et olfactives de ce dernier, car celui-ci sembla le remarquer et lâcha en sa direction :

-Bien le bonsoir cher comparse.

Son ton était neutre et son attitude était calme, ce qui annonçait rarement une amusante rencontre. Nacht se figea, surpris, et observa d'un oeil mauvais son interlocuteur. Il se releva, s'étant abaissé pour être plus discret, et claqua des mâchoires avec frustration.

-Allons donc ! râla-t-il sans politesse, sa voix stridente retentissant dans l'air avec son habituel ton mielleux et moqueur. Tu m'as entendu arriver ? Quel talent ! Tu es aveugle non ? Ca se voit à ta posture, ne mens pas.

Nacht jaugea son interlocuteur, son sourire trop large sur les babines. Il s'approcha vivement du solitaire et analysa son bandeau si près qu'il pouvait entendre sa respiration au creux de son oreille.

-C'est une jolie décoration, cela dit...admit-il. C'est un déguisement d'ange vengeur, c'est ça ? Ach ! J'ai toujours aimé les Heldspielen ! Tu es sensé être un héros, c'est ça ?

Quitte à s'ennuyer, Nacht ne s'embarrassait de politesse. L'autre allait tâter de sa mauvaise humeur de tantôt, ou de son intérêt présent. Dans tous les cas, il allait regretter d'aller croiser le chemin du corbeau, ce petit ange méditatif.

Si le solitaire était impressionné ou effrayé par Nachtgewalt, il n'en montrait rien. Affichant un air impassible, il avait observé Nacht faire son cirque sans réagir, le qualifiant au passage de "Maitre corbeau". Le damné noir eut une certaine surprise, se demandant ce qui avait trahi son apparence - peut-être son odeur ? Certains disaient qu'il avait une odeur de volatile. En tout cas, il faisait preuve d'une certaine provocation dans ses paroles qui ne plaisait guère à Nacht. Il entendait bien le remettre à sa place.

-Tout est relatif, finit par répondre l'étranger. C'est ce que certains pensent. Mais personnellement, je pencherais plutôt pour le côté vengeur de la chose. Alors de là à me qualifier de héros... Je ne suis pas cette créature innocente et sans reproche. Idéaliste. Certes, je suis plutôt ce type que se met les mains dans le cambouis pour parvenir à ses fins, qu'importe ce qu'il advient de ceux qui se dressent sur son chemin.

Nacht ne fit même pas mine d'écouter son charabia de belles paroles. Il n'en avait que faire de ses beaux discours. Les utopistes dans son genre avaient le don de l'horripiler, avec leurs pseudo-bonnes intentions ou leurs imbéciles espoirs. Ils ne vivaient clairement pas dans le même monde que Nachtgewalt, lequel n'avait que trop de souvenirs de LibreLunes parlant de la même manière.

-Très intéressant...lâcha-t-il d'un ton peu attentif, ne cachant pas son désintérêt profond. De la part d'un aveugle, c'est presque touchant. Laisse-moi deviner, tu voulais être un héros mais à cause de ta cécité tu n'as pas pu, alors tu erres, solitaire, cherchant une bonne action à exécuter, c'est ça ?

Nacht gloussa, se reculant pour toiser l'autre avec son habituel sourire mielleux et railleur.

-C'est émouvant. Un vrai LibreLune dans l'âme, dis-moi ! Fais attention, les héros ne sont pas appréciés de tous, tu devrais te méfier...On ne sait jamais sur quel Bösewicht on peut tomber !

Il gloussa à nouveau. Il s'en fichait d'évoquer cette stupide guilde. Ce n'était plus qu'un conte pour enfant pour les loups de toute façon, et bientôt, grâce à Nacht, ce ne serait plus qu'un mauvais rêve. Il tardait au damné noir que ce soit le cas.

Le regard lunaire de Nacht brilla alors d'une lueur mauvaise tandis qu'une pensée lui traversait l'esprit. Il se demanda jusqu'où l'ange était un saint, et déclara alors nonchalamment :

-Mais tu sais, j'étais utopiste comme toi avant, alors j'ai quelques compassions à ton égard. Vois-tu, je me nomme Nachtgewalt, mais on me surnomme "L'Exauceur de Souhaits". Si tu le souhaites, en échange d'un prix que je choisirais, je peux te rendre la vue. Qu'en dis-tu ? Avec ta vue, tu aurais davantage l'occasion de "sauver le monde" !

Il parlait d'une voix terriblement mielleuse, souriant vicieusement.

Jusqu'à quel point peut-on corrompre un ange ?

Ʃkaemp はは

Le solitaire ne semblait pas se décontenancer devant Nachtgewalt, qui l'observait avec amusement. Son sourire provocateur exaspérait le corbeau, qui sentait l'irritation progresser le long de sa colonne vertébrale, du bout de sa queue jusqu'à sa nuque. Néanmoins, il conservait son habituel sourire dévastateur - et par dévastateur j'entends cauchemardesque et horrifiant, beaucoup trop grand pour son museau et ponctué par de nombreuses canines effilées.

Le Heldspieler finit par répondre avec assurance et un calme tranchant :

-Etre aveugle ne m'a jamais posé le moindre problème pour faire ce que je souhaite faire mon bon monsieur. Cela se révèle plutôt pratique dans certaines situations... Par exemple, la vision de celui à qui appartient cette haleine m'est épargnée. On dit que la bêtise a fâcheuse tendance à avoir des répercussions sur le physique et l'hygiène de vie.

Nacht hésita entre s'étrangler devant cette pique immature, ou l'étrangler devant son manque de respect à son égard. Son haleine ? Vraiment ? Il ignorait qu'il existait encore des loups qui faisaient cas de l'haleine traditionnellement nauséabonde des carnassiers. Et quand bien même ! Quelle genre de sottise puérile cet insolent solitaire osait-il lui énoncer ? Il était finalement indigne des ailes qu'il portait si bien, les anges avaient bien plus d'élégance que ce Schlingel !

"Peut-être que je suis un peu vexé, finalement..." reconnut Nacht en son for intérieur, des images sanglantes emplissant déjà sa tête.

Malgré tout, il se contenta de ricaner, restant placide. Déjà, l'insolent grisâtre continuait :

-Mais certes, vous avez raison à propos de mon errance. N'est-ce pas pourtant le lot de tous les solitaires ? Allons bon; ne vous donnez pas cette peine pour moi Monsieur l'Exauceur de Souhaits.Il tourna la tête et fixa le lac quelques instants. Il y a tout de même une chose qui me tracasse, simple curiosité. Quel genre de montant demandez vous aux pauvres hères que vous corrompez ?

Nachtgewalt scruta l'aveugle de son regard lunaire puis passa une langue rêche sur ses babines décharnées, une expression des plus sinistres sur le museau tandis qu'il réfléchissait. Fort heureusement, son interlocuteur ne pouvait capter cette once de malfaisance, mais cela n'était pas difficile à deviner.

-Le montant, demandes-tu ? répéta-t-il l'air faussement distrait. Eh bien, d'ordinaire je trouve un arrangement avec mon chaland, mais il se trouve que ton comportement me déplait, alors les prix viennent d'augmenter.

Il gloussa, reportant son attention sur le joli minois de son interlocuteur, fixant ses yeux malgré le tissu qui les recouvrait. S'approchant davantage, il se glissa à ses côtés, soufflant sans vergogne sur le museau blanc du Heldspieler, espérant l'indisposer plus que ce n'était apparemment le cas.

-Critiquer mon hygiène, voilà qui est infantile, tu ne crois pas ? dit-il alors de son habituelle voix mielleuse et narquoise, malgré un ton ironiquement sérieux. Pour un loup aussi perspicace que toi, capable de deviner mon allure aviaire malgré ta cécité, je me serais attendu à une vivacité plus magnanime. Le Heldspieler est moins noble que je le pensais, heh ? Peu importe.

Le démon noir posa une patte sur l'encolure de son "camarade" en un geste brutal mais dénué de l'animosité d'une attaque, qui aurait sans aucun doute déclenché la méfiance du solitaire.

-Tu es un dur, n'est ce pas ? Le genre rebelle et altruiste - je vois. Tu refuseras mon pacte pour le simple principe que je ne te reviens pas ou que tu refuses qu'on puisse te voir sous un jour plus faible. Je comprends. Mais on a tous un prix, très cher ami. Le tien n'est pas plus élevé qu'un autre.

Le rabaisser de la sorte n'était certes pas le meilleur moyen de le rallier à sa cause, mais Nacht demeurait susceptible et l'insulte précédente le démangeait encore. Il s'écarta avec nonchalance.

-Mais je n'ai pas de temps à perdre à écouter tes beaux discours. Je t'offrirais le monde que tu trouverais encore à rechigner. Je t'offrirais tous les savoirs, toutes les vérités, que tu me demanderais si je ne te mens pas. Je t'offre la vue, mais ne cherches-tu pas au fond un peu de clairvoyance ? Mon prix est élevé, bien plus que tu ne le penses. Mais tu perds gros à m'insulter comme tu le fais.

Nacht commença à s'éloigner de son pas lourd et disgracieux, suffisament lentement pour que le solitaire grisâtre comprenne tout ce qu'il perdait. Son sourire mauvais ne l'avait pas abandonné. Il savait que d'une manière ou d'une autre, il allait s'attirer l'attention de son interlocuteur.
Il s'écria alors, son dos faisant face au solitaire :

-Eh bien Aufwiedersehen, mein Freund ! Puisses-tu sauver le monde ou devenir un quelconque Libre-Lune. Mais pour toujours, tu regretteras de n'avoir pu passer un marché avec moi.

Sa propre vilenie lui donnait envie d'éclater de rire. Il se demanda s'il n'avait pas fait un peu trop miroiter ses pouvoirs aux yeux du grisâtre.

Quoiqu'un aveugle pouvait difficilement être "aveuglé" par de tels artifices.

Sans pouvoir se contenir, il éclata de rire.

HRP: