Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Une douce mélodie, sans plus de paroles cohérentes qu'une litanie, fait danser de petites oreilles blanches au bout desquelles deux boucles d'oreilles noires tintent l'une contre l'autre. Le propriétaire de ces oreilles a ses iris rubescents rivés sur l'extérieur, qu'il aperçoit du fond de l'immense salle. Dehors, il neige à gros flocon et la tempête enragée ne semble pas prête à sa calmer; pensant au froid qu'il doit y faire, le louveteau albinos se blottit un peu plus encore dans les énormes fourrures étendues sur le sol. Quelque chose dehors attire son regard mais lorsqu'il tente de se pencher, son mouvement est brusquement arrêté par la force d'une mâchoire entre laquelle ses cheveux sont prit et le petit hermaphrodite glapit avant de se retourner pour toiser sa soeur. Juste derrière lui, une immense louve noire et cornue lui rend son regard agacé, puis lâche ses cheveux pour continuer de les démêler entre ses longues griffes dorées en pestant "Tiens toi droit." entre ses crocs acérés. Le louveteau se redresse et lui obéit, laissant la magie de la louve noire opérer. Cette dernière se remet à chanter doucement, mais s'arrête rapidement et murmure, sérieuse :

« Un jour, tu devras apprendre à te débrouiller seul, tu sais cela ? »

Le sang du louveteau se glace immédiatement. Ignorant l'ordre de sa soeur, il se retourne vers elle, le regard plein de terreur et la gueule bée. Tout cela ne semble pas faire sens pour lui. A cause de son mouvement brusque, une tresse échappe des griffes de la louve noire qui peste de nouveau. Le louveteau parvient à balbutier, la panique serrant sa gorge :

« Pourquoi dis-tu cela, Eileen ? »

Puis, avant que la louve ne puisse lui répondre, le bel enfant semble reprendre de la contenance et, fronçant ses sourcils comme un adulte, il ajoute :

« Jamais je ne serais seul. »

Il doute, un moment, mais répète tout de même, ses yeux se reflétant dans les iris verts de sa soeur brillent autant de terreur que de détermination.

« Jamais je ne serais seul. »

Avoir ses propres affaires dont nul n'était au courant, et les user de sorte à avoir toujours une longueur d'avance étaient les seuls choses qui avaient toujours garanties la survie de Viehrs. C'était une chose qu'il se répétait sans cesse et n'avait aucun scrupule à appliquer, peu importe que ce put blesser quelqu'un qui ne fut pas lui. L'air de l'hermaphrodite était morne, sans réelle joie. Tandis qu'il arrangeait lui-même sa longue natte, des souvenirs lui étaient remontés et depuis, ses cordes vocales étaient comme bloquées. Enfin, cela ne posait pas de réel problème, considérant qu'il n'avait personne à qui s'adresser. La solitude faisait ressortir les plus affreux aspects de sa personne. Son esprit trop peu sollicité, à part pour la survie basique, tournait à plein régime, le gardant éveillé jusqu'aux lueurs du jour. Il ne se fatiguait plus à sourire constamment, n'ayant personne pour admirer ses canines radieuses. Le visage de Viehrs était fermé, froid et contrarié. Ses yeux étaient constamment plissés, fixant un air vicieux sur sa figure. Pendant plusieurs jours, sa chevelure était restée lâche, à peine démêlée, formant de nombreuses boucles qui s'entortillaient dans les branches de ses lunettes. Quel piteux état, pour l'hermaphrodite exilé. Réajustant ses ornements dorés dans sa coiffure et lissant son pelage à grand coup de langue, il se donna du baume au coeur en se disant que cela était terminé. Définitivement terminé.

A grandes foulées et évitant naturellement les chemins trop directs, Viehrs marcha d'un pas décidé hors du territoire estival. Malgré-lui, la capture de Nachtgewalt ( car il en était persuadé désormais) avait laissé le champ libre à l'albinos pour appliquer le plan qu'il préparait depuis des lustres : réintégrer un clan. Le corbeau savait parfaitement qu'aux yeux de l'ancien printanier, il n'était qu'une bouée de sauvetage à laquelle il s'accrochait le temps de retomber sur ses pattes. Jamais les deux démons n'auraient pu cohabiter éternellement ensemble et jamais Viehrs ne serait resté un solitaire pour toujours, même s'il fallait qu'il vende son honneur et sa dignité pour cela. Il gloussa en pensant à cela. Finalement, il était parvenu à vendre bien moins que cela. C'était sa rencontre avec l'automnale Faïryna qui lui avait permit d'élaborer sa remontée vers la gloire. Encore un marché tout ce qu'il y avait de plus simple. Viehrs n'était plus rien d'autre qu'un loup qu'on achète pour sa valeur, mais cela ne lui déplaisait guère. Il avait ce qu'elle voulait, elle avait ce qu'il voulait; ils étaient faits pour traiter ensemble. Il savait parfaitement quelle valeur il avait et s'en servait sciemment.  Un sourire s'était faufilé à nouveau sur son visage tandis que l'air qui se faisait déjà plus frais semblait le vivifier à nouveau.

Son coeur était-il peiné de ne pas retourner au printemps ? Pas réellement. Lui et le Printemps ne s'accorderaient plus jamais et Viehrs, comme en amours, était très rapidement passé à autre chose. Même le fait qu'il sache que sa descendance y vivait ne parvenait pas à l'attrister. Il se fichait éperdument du sort de ces trois femelles, du moins jusqu'à ce qu'elles soient assez grandes pour servir ses desseins. Il était trop occupé avec sa personne pour penser au bien-être de gamines qu'il n'avait jamais souhaité. Seira demeurait une menace, cela était sûr, mais quelque chose persuadait Viehrs que celle-ci ne serait pas tuée par un long règne sur le trône, bien au contraire. Mais qui sait, peut-être était-ce sa rancoeur personnelle qui brouillait l'objectivité de son jugement. D'ailleurs, tant qu'elle était sur le trône, il pouvait agir contre elle. Et c'était déjà ce qu'il faisait. Quant à Nachtgewalt...Son pas ralentit un moment. Autour de son cou, la pierre rouge continuait de briller mais rien, aucun message, aucune plainte, aucun souffle ne lui était parvenu par son intermédiaire. Il savait que le bourreau n'était pas mort, et c'était son jugement objectif qui lui dictait cela. Cependant, Viehrs ne pouvait l'attendre et devait profiter à tout prix qu'on ne s'occupe guère de son cas pendant un moment. Si Nachtgewalt venait à trépasser, alors Viehrs devait être protégé, quelque part, par quelqu'un d'autre que lui-même.

Sans qu'il s'en rende compte, il se rapprocha rapidement de la frontière automnale au bord de laquelle il s'arrêta. Son sourire s'était étiré jusqu'à atteindre ses oreilles et son air était redevenu aussi vicieux que radieux. Il avait toujours été beau dans sa maléfique dans sa beauté. Que les autres le traitent comme un méchant et siffle sur son passage ne l'atteignait plus. C'est la queue basse mais la tête haute qu'il s'approcha de la frontière, au bord de laquelle des veilleurs l'attendait, le toisant avec méfiance. Viehrs leur offrit un salut plein de politesse que ceux-ci ne rendirent pas. Sagement et docilement, l'hermaphrodite se défit de son harnais qu'il confia à l'un des veilleurs sans broncher, mais en souriant toujours de manière inquiétante et malicieuse. Il n'avait aucune raison de leur trancher la gorge mais enfin, ils étaient prévenant et Viehrs ne tenait pas à contrarier quiconque, pour une fois.

Suivant ses gardes, ou ses futurs bourreaux, le traître du printemps disparut en Automne.