Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Quel loup irait regarder dans les arbres? Sans doute pas Lukhe. Il avait encore du mal à se dire que d'autres canidés pouvaient lui tomber dessus par les hauteurs de ces conifères. Lui, il ne parvenait pas à grimper. Ce n'était pas la musculature qui manquait, mais la taille. Les branches lui semblaient trop hautes, et ne parlons même pas des cimes. Non, décidément, il était bien les quatre pattes au sol. Il avait beau vivre sur les terres du Printemps, ce n'est pas pour autant qu'il lui venait l'envie de jouer aux écureuils. À quoi bon, quand un simple pic de vitesse dans ces bois lui permettait de perdre un éventuel poursuivant?

Alors que ses pattes foulaient le sol de cette forêt sans fin, il eut cette éternelle sensation de n'être qu'un grain de poussière. Ces troncs immenses, dressés comme des colonnes, qui se succédaient les uns au autres, sans qu'il n'y ait jamais de limite définie... Même après des dizaines de visites, cet endroit restait impressionnant. Lukhe laissait pivoter ses oreilles, nonchalamment, lorsque les bruits de petits êtres vivants, participant au train-train quotidien du lieu, lui parvenaient. Petits craquements, minuscules pattes qui se posaient au sol, chutes calculées d'écureuil au travers des branches... Il ne laissait presque rien passer, et ce genre de mélodie lui plaisait.

Il devait être perdu dans ses pensées, car il ne lui vint même pas à l'esprit qu'il pouvait ne pas être seul dans les environs. Il avait quitté le sentier. La première fois qu'il avait pénétré le couvert de ces conifères, et ce même s'il était accompagné, il avait été pris d'une peur telle qu'il n'avait osé aller jusqu'au bout de sa visite. Il mettait ça sur le compte de sa jeunesse, et désormais c'était loin derrière lui. Les légers parfums, qui se fondaient dans la masse pour d'autres truffes, le guidaient lui avec l'efficacité de panneaux lumineux.

L'humidité du lieu lui hérissait quelque peu le poil alors qu'il marchait d'un pas agile entre ces racines colossales. Ses coussinets s'enfonçaient légèrement dans l'humus, la fraîcheur du sol remontait contre sa peau, ses griffes raclaient cette terre délicieusement tendre sous la patte. S'il était fébrile, malgré tout, c'était à cause de ces flaques, de ci de là, formées dans de petits creux entre deux racines noueuses. Il les évitait lorsqu'il les apercevait, allant jusqu'à faire des détours, bondir de côté, mais jamais par dessus. Il contourna un tronc à l'aspect presque menaçant tant il était épais, pour éviter l'une d'elle. Parfois, une petite voix naissait, et s'éteignait tout de même dans sa tête alors qu'il ne faisait pas suffisamment attention, lui faisant presser le pas.

Lukhe eut un instant de pause, au sol, le temps de lécher sa patte et d'en retirer une aiguille de pin qui s'était glissée entre ses coussinets, tout en fourberie. S'il était venu roder dans les parages, c'était pour avoir la certitude d'échapper à l'influence des ces maudites chaleurs qui courraient le territoire au moment même où il y pensait. Il se contrôlait bien, mais ce n'était pas le cas d'autres, et la seule existence de cette ambiance lui faisait hérisser le poil. Tous ces couples roucoulants, ces louves au désir de louveteaux... Ce n'était pas pour lui. De toute façon, les louveteaux, il n'en aurait jamais. Malgré un pincement au cœur, c'était la stricte vérité, et il devrait bien s'y faire. Les femelles ne l'intéressaient pas, et il préférait éviter en cette période de se pâmer devant des mâles fiers comme des paons.

Le brun allait repartir, lui qui se tenait là, figé depuis quelques minutes déjà. Cependant, un cri sorti de nul part fit se dresser son pelage sur son dos, et se retrousser ses babines sur ses crocs blancs prêts à l'emploi. Un craquement de branche précédait ce hurlement inattendu, et il cru un instant que c'était littéralement le ciel qui allait lui tomber sur la tête. Quel boucan atroce. Son regard d'argent, perdu, allait et venait à toute allure entre les branches. Crac. Bang. Boum. Des collisions, des craquements sinistres. Enfin, il vit une silhouette qui voltigeait, et écarquilla grandement les yeux. Qu'est ce que...?

Une gueule qui se refermait sur une branche, une glissade, et une chute magistrale qui le fit grimacer de tout coeur. L'autre loup, car c'en était bien un malgré une seconde de doute à ce propos, resta étendu un moment. Heureusement qu'il n'était pas tombé sur lui, autrement ils auraient tous deux finis boiteux et courbaturés.

"Ouh... Pensa Lukhe, les oreilles couchées, ça m'aurait pas plu..."

Remarque pertinente bien qu'inutile, et il fut heureux de ne pas l'avoir lâchée de vive voix. La gueule légèrement ouverte, encore sous le choc de cette vision apocalyptique de l'escalade -ce loup inconnu venait de condamner toute chance de le voir grimper un jour-, il avisa enfin les traces de sang qui maculaient le tronc. Il allait parler, inquiet pour la vie de l'autre printanier, mais ses yeux devinrent plus ronds encore lorsqu'une chose couru vers le corps allongé en marmonnant des mots qu'il ne parvenait à analyser. Sur quoi était-il tombé encore. À vrai dire, cette scène était si peu attendue qu'il restait muet, et bien stupide, planté ainsi.

-Ça va Kyo, j'ai rien... Je vais survivre.Dit le cascadeur du jour, le rassurant sur son sort malgré le fait que cette phrase ne lui soit pas destinée.

S'il avait la force de parler... Il allait bien. En partie. C'était rassurant. Kyo...? La petite chose cachée dans ses pattes? Le beau brun n'eut pas le temps de réfléchir plus, déjà l'autre mâle se redressait. Avec un beau sourire. Un si beau sourire, à vrai dire, qu'il laissa Lukhe la mâchoire ouverte. Encore. C'était quoi, ce bazar. Il était juste venu se promener, pas croiser un loup-volant au sourire resplendissant. Le brun eut un bref regard vers ses pupilles blanches, rien de plus. Il ne souhaitait évidemment pas les croiser. Alors il se mît à fixer ses pattes. Son coeur battait fort. La panique d'avoir un instant pensé que ce mâle était mort, éclaté contre le sol.

-Bonjour !!! Pardon de t'être tombé dessus comme ça ! Je suis Nihim, et toi ?

Lukhe resta muet. Un instant. Un autre encore. Il détaillait cette apparition tombée du ciel avec une mine pour le moins sidérée. Il s'explosait au sol, et pourtant il souriait et parlait comme si rien ne s'était passé. C'était impressionnant. S'il avait vécu une telle chose, lui, nul doute qu'il aurait rampé en gémissant, les côtes fêlées et la gueule déboîtée. Il se rendit compte qu'il fixait étrangement les pattes de ce Nihim depuis quelques secondes, et secoua vivement la tête pour se remettre les idées en place. Allez. Ce n'était rien. S'il avait l'air en forme, ce fou volant, alors tout allait pour le mieux. Sa crête glissa légèrement, et il la remit en place d'une patte d'un geste tout à fait machinal.

-Lukhe. J'pense pas t'avoir déjà vu, mais tu sens l'printemps. Marmonna-t-il finalement d'une voix ferme, cachant les émotions ressenties en si peu de temps.

Il s'assit pour se donner un minimum de contenance face à Nihim, et peut être pour empêcher ses griffes de fouiller nerveusement la terre. Il revoyait cette chute et c'était toujours aussi effrayant, en fait. Le "V" de ses poils était hérissé, et peinait à se remettre en place.

-Tu n't'es pas fait mal? C'tait violent comme chute. Faudrait pas qu'tu te casses quelqu'chose. Continua le brun sur sa lancée, relevant un peu les yeux pour les poser sur la joue du "miraculé".

Jamais il ne croiserait ses yeux, mais il pouvait au moins contempler ce visage étranger. Plutôt agréable, soit dit en passant. Il ne put tenir sa langue, comme c'était si souvent le cas:

-T'as un bien joli minois, ce s'rait bête de l'abîmer pour deux branches.

Et c'était reparti pour sa manie de mal articuler et de coller les mots. Merveilleux. C'était plus fort que lui, et ce léger défaut lui resterait tout au long de sa vie. Tant qu'on le comprenait, c'était l'essentiel... Mais cette manière de prononcer lui donnait un aspect plus bourru que ce qu'il pouvait être en réalité. Et maintenant qu'il en parlait, de ce joli minois, il détaillait l'inconnu du regard sans vergogne, passant de son visage à ses pattes, puis son corps, avec un intérêt qu'il ne cherchait même pas à dissimuler. Comment se faisait-il qu'il ne le connaissait pas... Il n'avait même pas la vague impression de l'avoir un jour aperçu. Rien. Le vide.