La neige avait cessé de tomber depuis plusieurs jours déjà, et une épaisse croûte de gel avait fini par s'installer, couronnant le sol d'une moquette verglacée où tout être non muni de coussinets pouvait risquer de venir s'y échouer. Sabots et palmes volatiles n'avaient que peu d'emprise sur la glace, et même les lapins les plus avertis se déplaçaient avec précaution, suivant des yeux leurs potentiels ennemis, les loups, qui eux, pouvaient évoluer avec leur grâce féline. Justement fraîchement sortie de la tanière des hivernaux, Ka trottinait sur la glace à la suite d'une piste fraîche, savourant le confort de pattes déblayées en quelques coups de langue chaude et de crocs aiguisés. Adieu, douce fourrure nichée entre les doigts où venaient s’agglomérer neige et cailloux ! Adieu, franges délicates et esthétiques, mais si peu pratiques pour avancer sur terrain glissant ! La morsure du gel était loin d'être agréable, mais à choisir entre stabilité et confort, la femelle n'hésitait pas.
Un craquement vint relever la tête de la chienne, et quelques mottes de neige lui dégringolèrent sur le front lorsque le poids de la neige fit ployer la branche d'un petit frêne gringalet. Dans le tronc, un trou hébergeait un écureuil qui jeta un regard anxieux à celle qui aurait pu lui briser sa colonne vertébrale d'un claquement des mâchoires ; cependant si le ventre de la chienne était vide, elle n'avait pas encore assez faim pour se risquer à sauter de branches en branches pour attraper le rongeur. Elle passa donc son chemin, reprenant un trot souple et économique en énergie.
Le poil ébouriffé par les rafales, Ka repéra avec soulagement la plateforme de pierre surélevée marquant l'entrée de la tour de garde, ravie de pouvoir échapper ne serait-ce qu'un court instant aux bourrasques sèches du lieu désolé. Sa fourrure, constituée comme tous les nordiques de deux épaisses couches de sous-poil la protégeait certes du froid, mais avoir le vent en pleine gueule pendant une bonne demi-heure était loin d'encourager l'Alaskan à continuer sa chasse.
Poussant un grondement de contentement, la femelle bondit sur le rempart de bois, plus confortable pour ses pattes que le verglas de nacre. Un mouvement attira son œil, et son instinct prit les commandes - elle ne comprit qu'elle venait de surprendre une tribu de mulot que lorsque sa gueule se referma sur l'un d'eux. Elle put en tuer trois avant qu'ils ne soient tous hors de portée, et ce maigre repas lui suffisait pour l'instant. Tombant comme un bloc sur une hanche, elle glissa ensuite son avant-main sur le sol avec plus de précaution et replia ses pattes contre son ventre chaud, se repliant sur elle-même pour former un petit arc-de-cercle afin de conserver sa chaleur, sans toutefois quitter l'entrée des yeux. D'un mouvement des mâchoires, elle attrapa un mulot, le lança en l'air par pure envie juvénile et le réceptionna au centre de sa gueule.
Une silhouette se glissa à l'intérieur de la tour de garde alors que ses crocs se refermaient sur le corps du rongeur, produisant un craquement sinistre porté par les murs de pierre. Tête haute, l'alaskan la toisa sans la moindre animosité.
Lui laissant le choix de sa conduite, qui modifierait la sienne.