Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Le sommeil était bien la dernière chose qui apaisait l'estropié. Sa vie ne ressemblait plus qu'à une longue agonie, faite de privation et de culpabilités. Une agonie qui ne pouvait se finir que de deux façons. Un miracle ou la mort. Même si cette dernière semblait une solution facile à son problème, il se battait pour survivre. Il avait encore trop de choses importantes à faire, trop de proche encore en vie. En particulier sa fille.
Au moins, dans les doux bras de Morphée, la douleur n'existait plus. Les préoccupations disparaissaient, tout n'était plus que calme serein. Aussi dormait-il chaque fois qu'il le pouvait. Et il le savait, que le sommeil était encore la meilleure chose qui soit pour lui et les autres. Son corps en léthargie économisait son énergie, et ainsi il ne risquait aucune crise de folie. Le risque était pourtant important, car il pouvait aussi s'endormir et ne plus jamais se réveiller.

Un appel le tira vers l'éveil. Un appel qui avait quelque chose d'à la fois bruyant et feutré. Il cru d'abord que c'était dû au fait qu'il était profondément endormis. Avant d'ouvrir lentement les yeux sur un spectre translucide.
Il avait beau connaître la louve et son pouvoir, il n'en fut pas moins désagréablement surpris. Son sang se glaça et il fut animé d'un faible sursaut, néanmoins impressionnant pour un loup dans son état.
Il lâcha un soupir agacé, les traits légèrement tendus. Il se retint cependant de manifester son mécontentement, il ne tenait pas à réveiller les autres.
Bon alors, qu'est-ce qu'elle lui voulait ? Il n'avait pas revu son ancienne nourrice depuis des lustres et il n'y tenait pas non plus énormément. Elle le mettait mal à l'aise. Chaque fois qu'il la voyait, il était partagé entre la haine, accentuée par la vue de cette chose autour de son cou, et l'affection qu'il lui avait porté étant louveteau. Il souffrait de cette situation, la rancune et la tristesse se battaient furieusement dans ses entrailles. C'était pour cela qu'il évitait de penser à elle. Il était forcé de penser à Melinya, sa mère si douloureusement perdue, chaque fois qu'il voyait sa fille. Mais c'était une souffrance d'amour, aigre-douce, qui avait quelque chose de rassurant. Et il l'utilisait pour être le meilleur père possible. Mais il faisait tout pour ne pas penser aux autres loups de son passé. Sa soeur, disparue dans des conditions si brutales, son père, le lâche qui les avait abandonnés, et enfin Blue, celle qu'il n'arrivait pas à comprendre et qu'il ne souhaitait pas comprendre.

La présence du spectre s'expliquait simplement. Elle avait choisit un moyen facile de venir le voir. Un moyen qui la préservait de la maladie, et peut-être de lui. Cela faisait ainsi d'elle la messagère idéale. Blue avait participé à de nombreuses batailles pour sauver Four Seasons, elle était sans doute déjà impliquée dans la recherche d'un remède pour sauver les malades. Lance tâcha donc de mettre de côté ses sentiments contradictoires et de répondre de la façon la plus neutre qui soit.

-Que se passe-t-il ?

Les premiers mots lui arrachèrent un soupir à la fois lasse et ironique. Alors comme ça, elle n'était pas venu pour lui annoncer un quelconque changement dans la situation actuelle ? En ce cas, il n'avait rien envie d'entendre.
Mais vite, l'impact de leur sens fit son effet. Comment ? Elle avait rencontré Mel ? Quand ? Où ?
Lance fronça les sourcils. Sa fille lui avait caché cette rencontre, avait-elle oser sortir du territoire hivernal ? Non, il en doutait. Il avait appris à sa fille que l'extérieur était dangereux, et elle avait trop peur de ses histoires de croque-mitaines. De plus, Blue était neutre et du genre à vadrouiller sur les terres des clans, même si ce n'était pas prudent. Encore moins sur les terres hivernales, surtout depuis la dernière guerre, alors que Meneldil avait renforcé la sécurité du clan.

La suite ne fit que confirmer son impression première, non, il n'avait vraiment pas envie d'entendre ça. Les battements de la colère envahirent son coeur et il sentit la folie meurtrière y faire échos dans son ventre.
Un instant, il foudroya le spectre du regard. Comment osait-elle ? Elle savait ce qui était arriver à sa mère pour avoir été détentrice d'un tel pouvoir. Il était le père de Mel, il savait mieux que quiconque ce dont sa fille avait besoin, et elle avait besoin de sécurité. Sécurité qui n'existait qu'au sein du clan. Il se fichait éperdument qu'elle ai peur des autres clans, bien au contraire, il valait mieux qu'elle en ai peur, pour qu'elle s'en tienne éloignée. Si Blue lui avait appris à avoir peur des humains, il ne se serait jamais laissé attraper. Il n'aurait jamais perdu son aile.

Son estomac gargouilla bruyamment, interrompant ses amers réflexions. Il était trop faible pour se mettre en colère. S'il faisait une autre crise, il ne savait pas s'il aurait la force d'y survivre. Il laissa tomber sa tête sur ses pattes avant, croisées devant lui.
Blue avait quand même marquer un point. Il y avait déjà songé maintes fois, à cette période qu'est l'adolescence. Cette période où on remet tout en question, en particulier l'avis de ses parents, et qui l'avait poussé lui à quitter Four Seasons. Il en avait payé le prix.
Il se sentit un peu idiot d'avoir pensé quelques secondes plus tôt que Blue était responsable de ce qui lui était arriver. Au final, il était le seul responsable. Même si elle l'avait prévenu, il serait sans doute parti. C'était un concours de circonstances malheureuses qui l'avaient poussé à s'en aller et l'avait amené à sa période captivité, et à perdre son aile.

-Elle est parti en automne avec les autres louveteaux et l'Alpha, marmonna-t-il. Elle a déjà du tout découvrir.

Sa mâchoire inférieur se cognait douloureusement contre ses pattes. Il pivota sur son flanc vierge, dissimulant son corps amaigrit de son aile. Il sentit le sol glacé de la grotte contre la peau de sa cicatrice, dénuée de poils. Cela eu pour effet de le réveiller un peu plus.
Il fixa ce qu'il supposait être me fond de la grotte, dans le noir, il n'y voyait pas grand chose de toute façon.

-Pour le moment, la seule chose que je peux faire pour elle est de rester en vie... Si elle accepte de me revoir un jour.

Il doutait que la vieille nourrice ai eu échos de ce qu'il avait fait sous l'emprise de la maladie. Il n'était pas obligé de lui en parler, mais il se sentait d'humeur bavarde.

-J'ai essayé de la tuer.

Il parlait d'une façon à peine audible, pourtant, ses mots avaient résonné dans la grotte.
Même si Mel lui pardonnait au nom du fait qu'il n'était pas lui-même quand il l'avait attaqué, elle savait surement déjà qu'il lui avait mentit. Elle avait dû commencer à s'en douter en rencontrant Blue. Et pourtant, elle ne lui en avait jamais parler.
Même si Mel lui pardonnait, lui ne se le pardonnerait jamais. Il ne se sentait plus vraiment digne d'être son père. Plus que jamais, il regrettait la mère de la petite.

Il n'avait pas peur qu'elle lui en veuille, il avait peur qu'elle ai à nouveau peur de lui. Que le fantôme des souvenirs la hante, comme il le hantait lui. Et il ne se sentait pas capable de se pardonner à lui-même pour avoir ainsi failli à son rôle père. Il était sensé l'aimer, la protéger, pas la mettre en danger.
Et Blue avait raison, l'ignorance était un danger. Qu'elle se rassure, il n'allait plus reproduire les mêmes erreurs. A condition qu'il arrive à vivre de nouveau avec sa fille comme avant.

La question de la louve bleue l’interpella. Pourquoi lui demander de transmettre un message à sa fille ? Ne pouvait-elle pas le lui dire elle-même ? Elle ne s'était pas gênée pour la rencontrer à son insu. Elle n'était pas atteinte de la maladie, elle aussi, quand même ? Pourquoi il avait cette désagréable impression ?
Il se tourna vers elle et plongea son regard, du mieux qu'il put, dans ses yeux translucides. Il essaya d'y trouver quelque chose, en vain.

-Tu es venue seulement pour ça ?

Même si elle s'était inquiétée uniquement pour Mel, elle aurait eu d'autres occasions de le lui dire dans un véritable face à face. Son ancienne nourrice n'était pas une froussarde, elle n'aurait pas craint de le rencontrer, ni de le provoquer. D'ordinaire, elle n'utilisait son pouvoir qu'en cas de nécessité. Si elle savait d'où venait la maladie, elle n'aurait pas eu peur de venir le voir. Tout ça sonnait comme un adieu. Et il n'aimait pas ça. Non, pas du tout. Ce n'était pas le moment, pas maintenant.

Il releva lentement, difficilement, ses pattes avant, laissant son train arrière mollement assis. Ainsi, il se trouvait à la même hauteur que la louve. Si ce n'est que ses pattes à lui tremblaient sous son poids. Il avait encore refusé de terminer sa part de vivre, se refusant à nourrir la folie qui attendait au creux de son ventre.

Lance tâcha d'oublier, alors qu'il la dévisageait du mieux qu'il pouvait. Ce n'était pas difficile, dans son état actuel. Il suffisait de laisser un peu de la folie se distiller dans son esprit, juste ce qu'il fallait pour qu'il ne pense plus à ses tortures passées. Passées. Loin derrière. Sans son voyage vers l'autre terre, il n'aurait jamais rencontré Anwesha et Mel ne serait pas née. Blue ... Son histoire, il ne la connaissait pas, il ne fallait pas la juger juste parce qu'elle s'accrochait à un souvenir, aussi laid soit-il.

Il cligna lentement des yeux, les rouvrit, et la regarda à nouveau. Avec ses yeux de louveteaux. Des yeux inquiets, presque craintifs.

-Qu'est-ce qu'il y a, Blue ?

Le simple fait qu'elle change de sujet, évitant de répondre à sa question, fit accroître davantage ses craintes. Oh bien sur, il était curieux d'en apprendre enfin plus sur son ancienne nourrice dont, en fin de compte, il ne connaissait que l'histoire de sa relation avec sa mère. Mais sa façon d'esquiver une réponse qui ne lui aurait pas plut avait ce quelque chose d'inquiétant, d'angoissant même. Et à la fois, d'agaçant. Pourquoi continuer à vouloir le préserver ? Il avait déjà vécu l'enfer, n'y était-il pas suffisamment préparé à ses yeux ?

Avec un soupir, il se rallongea lentement, péniblement, pour ne pas se faire mal. Elle avait raison, il ne devait pas oublier Mel. Et cela ne risquait pas d'arriver. Chaque instant, chaque seconde de sa convalescence, il pensait à elle. Il s'inquiétait de ce qu'elle devenait, se demandait si elle avait grandit, qui s'occupait d'elle, mais surtout, si elle accepterait de lui pardonner ses mensonges, s'il serait capable de croiser à nouveau son regard sans se sentir mille fois coupables.

-Ecouter les autres et parler, répondit-il. J'ai pas mal expérimenté ça ici, il n'y a rien d'autre à faire. Je t'écoutes.