Il faisait froid. Très froid. Trop froid. C'était à vous donner envie de vous rouler en boule près d'un volcan en éruption. Amano le pensait très, très fort. Pourtant, le voilà qui au lieu de rester à l'abri du froid mordant, déambulait le long des bords abruptes du fjord d'Arandur, s'écorchant encore les pattes sur l'épaisse couche de gel qui recouvrait le sol rocailleux et sec. Il ne se plaignait pas, ne pestait même pas contre le monde, se forçait à arborer un air déterminé et sûr de lui - ce qu'il n'était absolument pas. Si il avait prit la peine de sortir, c'est car malgré le froid qui lui gelait les os, il ne supportait pas de rester dans la petite tanière qu'il s'était trouvé, légèrement claustrophobe....
Mais bien sûr, ça n'était pas là l'unique raison. Il ne l'exprimait pas - ne s'exprimant de toute façon presque pas - mais il ressentait tout au fond de lui, en ce moment même, le besoin pressant de frotter ses cornes contre la roche pour les abîmer. Un long laps de temps s'était écoulé depuis la dernière fois qu'il avait peint ses cornes avec du noir; la couleur s'écaillait peu à peu et laissait de plus en plus voir la véritable couleur orangée de la matière des deux cornes. Ce matin là, en sortant pour aller chasser quelque chose, Amano était passé, en pleine course, près de stalactites pendues tels des chauves-souris aux branches nues des arbres et leur surface réfléchissante avait eu le malheur de renvoyer au jeune loup, pendant une demi-seconde à peine, l'image de ses cornes dont la peinture s'en allait, pointant au sommet de son crâne. Cela avait suffit pour que, déconcentré, il trébuche à pleine vitesse - pas une très bonne chose pour son corps fragile, roule sur plusieurs mètres et laisse filer sa proie. Echouant. Lamentablement. A cause de ces atrocités. Ces atrocités qui étaient siennes.
Alors, le regard distant, perdu, ailleurs, il longeait les bords du Fjord, la tête haute malgré sa toute petite taille, avec une expression froide qui ne lui allait pas. Sans plus être concentré, il vint s'asseoir en bas d'un petit promontoire, rentrant parfaitement en dessous de ce dernier, puis se mit lentement mais de manière appuyée, à frotter ses cornes contre la surface rocheuse, écoutant le crissement que provoquait la friction et frissonnant tandis qu'il réveillait très très légèrement les nerfs des embouts sans pour autant que cela ne lui fasse mal.
Petit à petit, il se senti "soulagé" et détendit ses muscles endoloris par la course. Son ventre gargouillait mais il l'ignorait, souriant tout doucement avec un petit air béat. Il n'émettait pas le moindre son qui pourrait indiquer sa présence...Mais était parfaitement visible. Ses cheveux noirs couvraient à moitié son visage, ne laissant visible que son oeil bleu dans lequel semblait avoir été enfermé le ciel. Oeil qui n'était posé sur rien en particulier, regardant tout et rien à la fois.
Un craquement. Ne venant pas de lui mais d'autre part. D'autre part mais proche. S'arrêtant d'abîmer ses cornes mais ne bougeant pas pour autant de position, assis contre le rocher, le vent dans le dos, Amano redressa les oreilles et concentra réellement son regard sur le monde qui l'entourait. Il n'appela pas, ne cherchant pas à attirer l'attention sur lui. Il était silencieux, mais pas caché pour autant. Son regard se faisant encore plus froid, il attendit. Attendit d'être repéré ou laissé en paix.
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