Le sol se craquelait sous les pas d'Orage. Le jeune loup marchait depuis plusieurs heures et il était transi de froid. Sous ses pattes, la glace commençait à fondre, percée par les jeunes pousses printanières. Cela formait une boue froide qui lui gelait les pieds. L'hiver ayant été rude, il était encore maigre à cause de la pénurie de proie. En plus de cela, ses dernières blessures l'affaiblissaient, il ressentait chaque mouvement comme une torture. Malgré tout, il avançait, encore et encore. Toujours plus loin.
Le soleil était haut à présent, mais Orage avait toujours froid. Le paysage était désertique, rien ne se profilait à l'horizon. Orage doutait même de la fin de ce désert. Cela lui rappela la fois où il s'était perdu dans le Désert d'Elessar, en territoire estival. Là aussi, il avait cru que c'était la fin. Et pourtant, grâce à ce désert, il avait retrouvé Ita. Une larme coula sur sa joue. Ita.
Le soleil baissait à l'horizon, nappant le désert gelé d'une lumière rouge. Le bleu, le blanc et l'écarlate s'affrontaient dans une lutte sourde à laquelle Orage était insensible. Les couleurs se mêlaient dans un arc-en-ciel splendide mais Orage ne le voyait pas. Son univers, qu'il avait mis des mois à reconstruire après la perte de sa mémoire, qui s'était paré de nuances dorées le jour où il avait rencontré Ita, avait perdu ses couleurs à la minute où son amour était morte. Ita.
Le noir avait remplacé le rouge et avait pris le pas sur le bleu et le blanc. Orage avançait. La terre boueuse était remplacée par de la pierre, une pierre grise et froide, qui faisait saigner ses coussinets. Orage avançait. Son cœur débordait de douleur à cause de la perte d'Ita, alors, les autres douleurs, il s'en fichait. Orage avançait.
Devant lui s'étendait un gouffre noir et insondable. Orage s'arrêta. Rien n'éclairait cette abîme. Rien n'éclairait son cœur. Une ombre planait sur eux deux. Orage se mit à parler à l'Abîme Profonde, comme si elle pouvait l'entendre. Comme si elle l'écoutait. Il lui raconta son histoire, sa rencontre avec Ita, son coup de foudre. L'amour absolu qu'il avait éprouvé pour elle, et qu'il éprouvait toujours. L'arrivée d'Oxymore et la peur qui était revenue au galop. La perte d'Ita. Et le gouffre de douleur qui avait suivi. Les mots coulaient de sa bouche comme du sang, Orage ne pensait à rien, on aurait dit qu'il était mort. Peut-être même était-il mort. Tout comme Ita était morte. Ita.
Orage s'était tu. Il regardait dans le fond de l'abîme. Il y voyait des formes, des ombres. Peut-être qu'il hallucinait. Après tout, depuis quand n'avait-il pas mangé ni bu ? Orage essaya de s'en souvenir, mais c'était trop loin. Il avait perdu ses repères. Les ombres l'appelaient. Leurs bras se tendaient, elles lui faisaient des signes, « Viens Orage, viens, on va te montrer le chemin, c'est simple, tu n'auras plus à réfléchir », alors Orage s'avance, et se penche dans le vide. Oui, c'est si simple, un pas en avant et il n'aura plus jamais à souffrir ni à réfléchir, ni à penser, ni à songer à Ita, ni à songer à tout ce qu'ils auraient pu aire ensemble, aux louveteaux qu'ils auraient pu avoir, installés dans une grotte confortable, loin de tous les soucis de la terre, en paix avec eux même et le reste du monde. Ne plus penser.
Orage lève la tête, il regarde le ciel, les étoiles. Une scène se dessine alors, c'est un de ses flashs, ils deviennent habituels, ce sont des visions du passé. Il reconnaît les rivages de l'Abîme Profonde, une louve qui s'avance. C'est Herenya. Orage la voit, dans les étoiles, fermer les yeux, des flocons viennent former une rosace qui se grave sur le sol. Herenya avance alors, pousse un long hurlement, et bascule dans le vide.
Orage recule de quelques pas, son cœur bat vite, trop vite. Herenya. Sa sœur. Orage tourbillonne, bascule, tombe sur le sol. Herenya. Et Moune. Et Kéro. Kéro ! L'Automne. Le Printemps. Les Alphas. Trop de choses.
Perdu au milieu d'un désert de glace, au bord d'une abîme sans fond, un loup perdu retrouve la mémoire.
Orage s'effondre. Toute sa vie, il l'a passée à chercher ses origines, à se chercher une famille, un clan. Et son passé se révèle alors qu'il s'apprête à mettre fin à ses jours. Le destin peut être cruel. Orage laisse des larmes d’amertume couler le long de ses joues et s'avance près de l'Abîme.
C'est la fin d'une histoire. C'était une histoire triste, l'histoire d'un printanier qui, dès sa naissance, fit de mauvais choix. C'était l'histoire d'un loup qui perdit la mémoire, qui trouva l'amour et qui le perdit. C'était l'histoire d'Orage.
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