Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Rage marchait, tout guilleret, ses grosses pattes martelant le sol tandis qu'sa voix caverneuse chantonnait douc'ment. Il se sentait particulièrement d'bonne humeur ! Pourquoi ? Héhé, r'gardez donc le ciel, ces nuages gris qui courent dans l'même sens ; r'gardez le sol, où les fleufleurs disparaissent au profit des feuilles orangées... Fermez les yeux, sentez moi ce vent froid qui vous remue les poils ! Les gars, c'est l'Automne qui arrive !! Finies les chaleurs éprouvantes d'l'été, il allait revivre !

... Quoi traître ?? Bah, c'pas parce qu'il est printanier qu'il doit forcément adorer l'printemps, si ? Eh bah non. Il était pas né printanier, il avait pas d'comptes à rendre. Okay, presque pas. Mais plus ça allait, plus il comptait bien virer d'bord après la bataille. Oui, après, parce qu'il avait un sens de l'honneur quand même. Il avait dit qu'y s'battrait pour Moune et Oxymore, il le f'rait, un point c'est tout. Bref, pas la peine d'penser à ça, ça allait lui pourrir les pensées.

Héhé, en parlant d'pourrir... Avec un pur regard de cruauté jouissive, Rage écrasa une énorme patte pleine de grosses griffes sur un massif de fleurs résistant encore à la décomposition ; instantanément, les plantes se désagrégèrent et tombèrent en humus verdâtre sur le sol. Le soldat laissa échapper un rire rauque et poursuivit sa route. C'tait bête, mais tell'ment plaisant... Aller, l'été, dépêche-toi de disparaître et d'laisser ta place à l'Automne.

A force de marcher, marcher sans trop r'garder où il allait, le loup vert perdit un peu ses r'pères, et finit par s'arrêter pour regarder autour de lui. Bon, il avait l'air de toujours s'trouver sur les terres du printemps, mais où, il en savait absolument rien. Pour tout dire, y s'en foutait un peu, rien pouvait entamer son moral ! L'Automne arrivait, le soir aussi, c'tait même beau, que d'mander d'plus ? Le sourire aux lèvres, le soldat reprit son ch'min et sa p'tite chanson.

Il avançait, avançait, et vit quequ'chose briller au loin. Comme une grosse étendue d'eau... Ah, bah voilà, maint'nant y savait où qu'il était ! Pas loin du lac de Sher...machin, là. Y'avait un nom bizarre et toute une légende autour, mais il en avait rien à cirer. Les légendes automnales y pourrait s'pencher d'ssus, mais ici, il en avait aucune envie. Mais bon, un p'tit tour par le lac ça pourrait être sympa ! C'est donc avec l'même entrain que le loup vert s'y dirigea, ses grosses pattes annonçant toujours aussi discrètement sa venue.

Il approchait des abords de son but, le soir commençait à tomber, la fraîcheur se faisait d'plus en plus tenace. Rage s'en foutait d'ça aussi, il avait un bon pelage et la couenne épaisse, le froid c'tait l'cadet d'ses soucis. Tiens, le lac était en vue. Eh, mais y'avait quelqu'un ! Haha, ce pelage bleu ciel avec une crinière jaune, c'tait impossible de pas d'viner qui c'était... Mais c'est qu'elle avait l'air ravie d'son arrivée en plus ! Tout en s'approchant d'elle, le soldat laissa échapper un grand rire caverneux, avant d'afficher un sourire mesquin.

- Mais qui v'là donc, ce s'rait pas la p'tite Myosotis ? Il avisa son pelage mouillé et ajouta, se déplaçant sur le côté. Ben alors, c'est quoi c'te tête ? T'as bu la tasse ?

Rage rit brièvement avant de poser son popotin en face de sa compatriote. C'tait qu'une morveuse quand il était arrivé, mais elle avait d'jà bien grandi ! En tout cas elle avait un foutu caractère, comme les mioches royaux, que des sales gosses. Le soldat les aimait pas mais aimait bien les titiller de temps en temps, pour la forme. Ses yeux dorés fixés sur le louve couleur ciel, il attendait qu'elle réagisse, se préparant à apprécier l'éclat d'humeur auquel il aurait peut-être droit. Même si elle s'montrait dégoûtée y rigol'rait. Il avait l'habitude et de toute façon, l'Automne arrivait.

- Rage, quelle dégoutante surprise... Bien que tu sois sénile, ta vue ne t'a pas trompé. C'est bien moi...

En même temps, qui d'autre se trimbalait avec une couleur bleue aussi criarde comme pelage ? Haha, quelle sale gosse, elle avait vraiment du mordant ! Digne de lui à son âge. Ah non, à son âge il savait aussi se battre et faire mordre la poussière à tous ses adversaires. Quoi qu'à c'qui paraissait, elle s'défendait quand même pas mal... Mais bon, elle restait bien maigrelette. Et elle f'sait bien de s'rabattre sur la parlote, quoi que ses p'tites piques effleuraient pas vraiment l'ego du soldat. Il avait vu et dit déjà pire, c'tait pas le venin d'une morveuse qui allait le faire pleurer... D'ailleurs elle poursuivit après une p'tite pause.

- Bu la tasse ? Détrompe-toi, vieux débris, j'ai simplement failli m'étouffer à la vue de ton affreuse carcasse.

Elle eut un p'tit rire méprisant, et lui aussi laissa échapper le sien. Quelle imagination, décidément c'tait une merdeuse mais elle avait le sens d'la formule, et d'la répartie ! Il trouvait ça tell'ment drôle qu'il songeait même pas à le prendre pour lui. Fallait donc qu'il lui réponde pour qu'elle continue à l'arroser avec ses mignons p'tits mots.

- Ah, j'ai cru qu'tu t'étais ettouffée parce que t'avais pas pied ! Faut dire que ta tête vole pas bien haut...

Un instant sérieux, il la toisa de haut en bas, avant de retrouver son sourire méprisant. Une sacré peste que c'te Myosotis, il l'avait toujours vue parler comm' ça... Mais y s'demandait quelle mine elle affich'rait face au gros monstre d'Oxymore, grand chef printanier. Il paierait cher pour voir ça ouais, qu'elle ferme un peu son clapet pour une fois...

- Maintenant, si tu veux bien m'excuser, je souhaiterais profiter de l'atmosphère sans qu'elle empeste de ton odeur.

Une fois de plus, le soldat ricana, puis secoua la tête. Ça a encore rien vécu et ça s'comporte comme une altesse, tsss... Faudrait qu'il lui enseigne le respect, à c'te tête de pioche, qu'elle apprenne à modérer son venin en face de lui aussi... Il avait envie d's'amuser un peu, alors s'il parvenait à l'effrayer, ce s'rait plutôt drôle. Si elle lui résistait, ou pire, lui riait au nez, il aurait qu'à la manger. Ou la noyer.

- Voyez vous c'la... Y s'trouve que j'ai pas d'ordres à r'cevoir d'une morveuse de ton genre.

Rage darda son regard acéré sur la jeune printanière. Son sourire s'étira un instant, avant de subitement disparaître, tandis que le soldat affichait un air sombre, qu'il arborait rarement. Ses pupilles dorés fixaient la jeune louve, sans ciller, tandis que son expression laissait transparaître le mauvais coup qui se préparait. La voix dangereusement basse et rauque, pourtant calme du loup vert, revint transpercer le silence.

- Et crois-moi, je préfère largement mon odeur à la tienne. Tu pues la fleur. Un rictus mauvais et méprisant étira ses lèvres en grimace. Dommage qu'elles soient toutes vouées à disparaître très bientôt...

- Tu n'as peut-être pas d'ordres à recevoir de moi, mais je connais quelqu'un devant qui tu trembles tellement qu'on dirait un vieillard dont le cœur lui joue des tours. Ce que tu es sans doute, d'ailleurs.

La voilà qui mâchonnait ses mots maintenant. Rage aimait pas qu'on marmonne, quitte à envoyer des piques, autant l'dire clair'ment et haut'ment, avec fierté. C'te manière de parler dans sa barbe, c'tait ridicule. Lui qui affichait un air sérieux ne put empêcher son sourire carnassier de rev'nir s'installer, grimaçant, sur ses babines. Y'avait du progrès à faire quand même, morveuse. Surtout qu'essayer d'marquer des points en disant des balivernes, c'tait pas judicieux... Il avait pas encore rencontré Oxymore en face à face, mais se sentait pas plus impressionné qu'ça. Il était pas irrespectueux, juste admiratif de son pouvoir de manipulation, mais ça lui filait pas les chocottes, puisqu'il était du bon côté d'la barrière. Lui. Et pisque la bleuet en face de lui s'montrait odieuse, il allait l'emmerder jusqu'au bout. Se levant précipitamment, il vint tout près d'elle, faisant résonner bien fort sa voix d'outre-tombe.

- Moi, trembler ? Que nenni, mam'zelle ! Son sourire mesquin toujours aux lèvres, il fit quelques pas, tournant autour de la morveuse. Tout simplement parce que j'ai aucune raison de le craindre. Puisque je soutiens mes Alphas, moi...

Contrair'ment à certains qui s'raient plutôt branchés révolution à c'qu'on dirait. Il en savait un peu puisqu'il avait fait semblant de s'y intéresser en parlant à un soit-disant compatriote, mais il avait pas écouté jusqu'au bout. Ce s'rait sûrement très drôle à voir au final ! Dans c'te guerre qui confronterait le printemps aux autres clans, mais aussi aux p'tits rebelles... Il lui tardait vraiment de voir ça. Qu'importe que les têtes à faire tomber soient hivernales, automnales ou printanières... Quoi que... Automnales ça lui plairait moins quand même.

Héhé, a priori parler des fleurs c'tait quelque chose de sacré... Est-ce que tous les membres de ce clan étaient aussi susceptibles pour des bêtes végétaux ? Si on crachait sur une feuille morte, les automnaux y f'raient pareil ? Il testerait à l'occasion tiens. Sagement, le loup vert s'assit, observant la p'tite bleuet qui enflait de colère et se mit bientôt à glapir.

- Je pues la fleur ? Comment oses-tu proférer de pareilles idioties ? Rien n'est plus délicat que leurs parfums. En reniant les fleurs tu renies ta patrie et en reniant ta patrie tu renies tes Alphas. Es-tu idiot au point de ne pas t'en rendre compte ?

Ah, quelle voix aiguë et insupportable ! Délicat, le parfum de ces choses... Entêtant, vomitif oui... A la suite de la diatribe, le soldat se mit à rire franch'ment, méchamment. Quelle pauvre naïve ! Vraiment, des fleurs, renier la patrie et tout le tralala ? Quel outraaaage, c'tait terrible ! Complèt'ment pathétique oui... Mais très intéressant. Une fois calmé, Rage darda ses yeux perçants sur la petite louve, et se releva, dressé de toute sa hauteur. Qui était le plus idiot des deux là-dedans, hm ?

- Ta langue parle plus vite que ton cerveau on dirait. J'en connais qui renient pas les fleurs, mais pour c'qui est des Alphas, hmmm...

Plissant les yeux, il se remit à marcher autour de la morveuse, les yeux fixés sur elle, un sourire mauvais sur les lèvres. Elle se croyait impressionnante, cruelle avec lui ? Elle pensait vraiment qu'elle allait lui faire la l'çon ? Certain'ment pas, elle était même loin du compte... Rage s'arrêta à côté d'elle, la surplombant, ses yeux dorés plongés dans les siens, susurrant ses paroles d'une voix basse et doucereuse.

- T'en penses quoi, qui est le grand vilain traître ? Celui qu'insulte occasionnell'ment les fleurs parce que, accessoirement, il est pas né ici et il s'en fout, ou bien... Il ménagea une petite pause, jetant un coup d'oeil au ciel avant de replonger ses yeux plus brusquement sur la morveuse. Ou bien les p'tits misérables qui mijotent des trucs pas nets dans le dos des chefs ? Hm, c't'à voir...

Il prit un air pompeux, la tête haute, et reprit sa marche, s'éloignant de quelques pas de la bleuet pour s'asseoir un peu plus loin, regardant le lac d'un air absorbé. Dans l'histoire, il était pas c'lui qu'avait le plus à craindre ; et même si c'tait l'cas, il était pas du genre à s'ronger les sangs. Regardant toujours le lac, il ajouta, plus pour lui-même, doucement, un sourire triomphant aux babines :

- Oui, nous verrons bien au final, quelles seront les têtes qui tomberont.

Tss, tss, tss. Misérable. Pathétique. Assis face au lac tel une statue de marbre, Rage jetait des coups d'oeil vers la bleuet pour voir si son assaut verbal avait porté ses fruits. Et il était pas peu fier du résultat ! C'te sale mioche avait enfin fermé son satané clapet, elle avait l'air de se refermer sur elle-même et d'se rendre compte de l'étendue de sa bêtise. Bonne nouvelle, elle allait réaliser qu'elle f'sait pas l'poids face à lui... Avec un rictus mauvais, le loup vert détourna son regard d'elle pour le porter sur l'étendue d'eau. Maint'nant qu'il l'avait presque vaincue, elle avait plus aucun intérêt. Pourquoi il était v'nu ici déjà ? Ah, il avait vu l'eau briller. Ouais, avec le coucher d'soleil c'tait pas mal, plutôt sympa. Et en Automne, c'tait comment ? Est-ce qu'y avait des coins sympas comme cui-là à visiter ?

Ho ho ho, voilà qu'il avait des pensées traîtresses à présent... Quelle bonne blague. Y pouvait bien penser c'qui voulait, tant qu'personne venait fouiller dans sa tête, il aurait aucun souci. Et puis de toute façon... Quelle importance ? Qu'est-ce qui resterait du printemps après la guerre ? C'tait qu'une question de temps. Il était réaliste. Ce s'rait très drôle d'y participer, mais quel s'rait le résultat ? C'te pauvre folle de Moune et son pote allaient se faire laminer, tout le monde devait le savoir à part eux, et p'tête quelques autres illuminés. Le soldat le savait, lui, mais s'en foutait. Il s'amusait beaucoup à suivre ce couple de psychopathes, et voulait être aux premières loges de leur déclin. Au coeur de la bataille... Il réussirait bien à s'en tirer, y s'faisait pas d'soucis pour ça. Et après... Après, l'avenir le dira.

- Je tiens à te remercier, Rage, d’avoir montré mes failles et mes erreurs. Sans toi, je ne les aurais sans doute jamais remarquées.

Misère, il l'avait oubliée elle... Qu'est-ce qu'elle baragouinait en plus ? Avec un soupir rauque, le loup vert lui adressa à peine un coup d'oeil, avant d'regarder le ciel flamboyant. Elle avait changé d'attitude, comme si elle s'tait réveillée, qu'elle avait pris conscience de quequ'chose. Eh ben, tant mieux pour toi microbe, essaie donc d'trouver un sens à ta pauvre petite vie...

- Mais dis-moi, Rage, tu ne viens pas d’ici. Tu me l’as dit. Alors, d’où viens-tu ? Où étais-tu… Avant… Avant de devenir un Printanier ?

Une oreille du printanier se tourna vers sa fichue compatriote, et il arqua un sourcil, avant de pousser un ricanement rauque. Qu'est-ce qui lui prenait, à lancer ça d'sa p'tite voix fluette ? Lentement, le soldat tourna la tête dans sa direction, posant sur elle ses yeux dorés, affichant un air dédaigneux. Elle fermait donc jamais sa boîte à camembert, même quand elle avait plus rien à dire ?

- Eh ben, pour quelqu'un qui râlait d'me voir arriver, tu voudrais maint'nant faire la causette ?

Un petit sourire méprisant apparu sur le coin de sa lèvre, le faisant grimacer. Quelle sale gosse. Qu'est-ce qu'elle mijotait encore ? Ça avait à voir avec sa prise de conscience, ou bien elle avait un truc derrière la tête ? Imperturbable, le loup vert gardait ses yeux perçants fixés sur elle, prêt à analyser le moindre changement d'expression. En tout cas, si elle espérait en savoir plus sur lui, elle s'mettait la patte dans l'oeil, jusqu'à l'épaule.

- C'qui s'est passé avant regarde que moi. Et c'est certain'ment pas avec une morveuse dans ton genre que je l'partagerai.

Il fronça légèrement les sourcils, et, redevenu sérieux, détailla la bleuet en face de lui. Sale morpionne. Il détestait les fouines dans son genre, qu'ont aucune raison de prétendre à en savoir plus sur lui. Est-ce qu'elle croyait vraiment qu'il allait lui balancer son histoire, ou bien elle allait encore lui faire la leçon sur le clan en l'prenant à revers ? Il attendait de voir, patiemment assis. Alors, que vas tu répondre à ça, petite Myosotis ?

- Eh ben, pour quelqu'un qui râlait d'me voir arriver, tu voudrais maint'nant faire la causette ?

Oh non pauvre idiot, elle préfèrerait mille fois sauter d'une falaise que supporter une minute de plus ton odeur répugnante. Malheureusement, si elle voulait faire ses preuves au sein de la résistance, elle se devait d'être utile. Et en cet instant, être utile passait par le recueil d'informations les soldats d'Oxymore.

- C'qui s'est passé avant regarde que moi. Et c'est certain'ment pas avec une morveuse dans ton genre que je l'partagerai.

Elle le regarda d'un air pensif, sans dire mot. Qu'il la traite de morveuse n'avait pas d'importance, n'en avait plus en tout cas. En revanche, le fait qu'il refuse catégoriquement de lui exposer son passé pouvait avoir deux origines. La première, évidemment, étant qu'il déteste Myosotis au point de refuser toute communication. La seconde, moins évidente, était qu'il avait... honte de son passé ? Peur ? Il pouvait y avoir de multiples raisons et cela ne fit qu'augmenter la curiosité de Myosotis. Rage avait fait une erreur en refusant de parler. Il lui aurait suffit de baragouiner n'importe quelle excuse et il se serait débarrassé de la petite. Il n'y avait visiblement pas qu'elle à faire des erreurs. Elle allait maintenant faire en sorte de ressembler à un coquillage s'accrochant à son rocher comme si sa vie en dépendait. Bien que le rocher en question soit vert et poilu, ça n'avait pas d'importance. Elle allait lui tirer les vers du nez, à cette pourriture.

- Aaaaaalleeeeeeeer Raaaaage, dis-moiiiiiii... fit-elle de'une voix qu'elle fit la plus insupportable possible. Je veuuuuuuuux savoiiiiiiiiiiiiiir...

Elle lui fit un grand sourire tout à fait faux et se rapprocha du loup vert, prenant soin de se cuirasser contre les odeurs de pourriture. Elle s'assit finalement à moins d'un mètre de lui, un nouveau sourire plus étincelant encore plaqué sur les lèvres. Peut lui importait qu'il fasse faux, ce sourire. Elle voulait seulement énerver Rage au plus au point pour qu'il finisse par craquer. C'était méchant, mesquin et puéril, mais il l'avait blessée et ce serait une partie de sa revanche que de l'embêter. Elle continua d'une voix mi-aguicheuse, mi suppliante.

- Rage... Je suis curieuuuuse... S'il te plaîîîîît... Dis-moi ce que tu faisais avaaaaaaaant...

Elle se leva, et se mit à tourner autour de lui. Elle doutait qu'il réagisse par la violence si elle l'embêtait. Si c'était le cas, il aurait des ennuis, bien qu'il soit du côté des Alphas, elle en était certaine. De plus, s'il l'agressait, ce serait une preuve de plus pour ceux qui ne savaient quel camp choisir que les pro-Alphas ne reculaient devant rien. Se gardant bien d'afficher quelque signe jubilatoire, elle continua à tourner, lentement, espérant que Rage craque assez vite. Il commençait à faire nuit ici, et on racontait toute sorte d'histoires sur les petites filles qui rentraient tard...

Qu'est-ce qu'elle avait à le regarder comme ça, pensiv'ment ? De plus en plus, Rage se doutait qu'elle mijotait quequ'chose, et sûrement un truc très chiant. La peste soit des microbes comme elle, quelle plaie ! Enfin, il s'était quand même un peu amusé tout à l'heure, à la voir lamentablement tenter d'envoyer ses piques, mais maint'nant elle allait finir par lui sortir par les trous d'nez...

- Aaaaaalleeeeeeeer Raaaaage, dis-moiiiiiii... Je veuuuuuuuux savoiiiiiiiiiiiiiir...

Aaaah, décidément il n'y avait pas de limites à l'horreur de cette voix nasillarde et suppliante ! C'tait pire qu'ce à quoi y s'attendait venant d'elle, elle avait encore des tours en tête la bougresse... Esquissant une moue de dégoût, le loup vert détourna le regard et jeta un coup d'oeil au lac et aux nuages du soir. Sal'té d'mioche, c'tait donc ça, elle avait décidé d'le faire tourner en bourrique pour qu'il lui raconte... Intérieurement, le soldat ricanait : il allait en falloir bien plus avant qu'il ne craque. Personne ne saurait jamais c'qu'il avait fait de sa vie avant d'échouer ici... Encore moins une morveuse à la solde de petits rebelles. Il la vit dans la périphérie de son champ de vision qui s'approchait. Quelle merdeuse de simulatrice en plus de ça, elle jouait bien la gamine qui veut à tout prix son info...

- Rage... Je suis curieuuuuse... S'il te plaîîîîît... Dis-moi ce que tu faisais avaaaaaaaant...

Le simple fait d'entendre cette voix prononcer son nom commençait à lui hérisser le poil, et malgré lui il dut serrer les mâchoires pour les retenir d'aller se refermer sur la petite tête de crinière jaune. Du calme, respire, la bute pas encore. Après un long soupir, le soldat jeta un coup d'oeil à c'te morveuse bleue qui lui tournait autour. Héhé, tu te montres un peu trop confiante sur ce coup-là jeune fille, il faut se méfier de l'eau qui croupit... Immobile, le regard droit devant, il attendit qu'elle passe à proximité, et tendit soudainement le coup dans sa direction, sa voix rocailleuse surgissant du fond de sa gorge.

- Non ! Il lui aboya le mot à la figure, avant de se redresser et de lui jeter un regard mécontent. Et crois-moi, c'pas en me mettant hors de moi qu'tu vas obtenir c'que tu veux.

Il plissa les yeux, dardant sur cette sauvageonne ses prunelles dorées, acérées, remplies d'aversion pour la jeune écervelée. Pourvu que cette agression lui fasse perdre l'envie d'utiliser encore cette voix fluette et désagréable... Sinon il pouvait toujours la menacer de lui faire pourrir les chicots, ça pourrait la calmer un moment. A moins que ça suscite l'effet inverse et qu'elle s'mette à lui courir autour en criant... C'qui s'rait, pour le coup, le comble de l'agacement... Autant essayer d'lui faire peur le plus rapid'ment possible. Un fin sourire de cruauté se dessina sur les babines de Rage tandis qu'il essayait de contrôler sa colère.

- Tu devrais t'méfier du grand méchant loup, si tu l'ennuies encore, il va finir par t'manger...

- Non !

Il avait aboyé ce mot comme on aurait aboyé "Bouh !" à un enfant pour lui faire peur. Myosotis n'en fut nullement offusquée. Au contraire, elle plissa les yeux, se demandant comment Rage avait pû penser lui faire peur. Depuis sa plus tendre enfance, elle essuyait guet-apens sur guet-apens. Voilà bien longtemps que les cris tels que "Bouh" ne l'effrayait plus. Elle se retint de sourire, écoutant Rage lui dire que ce n'était pas en le mettant hors de lui qu'elle allait obtenir ce qu'elle voulait. "Oh que si", songea-t-elle. Sinon, pourquoi cette violente saute d'humeur ?

- Tu devrais t'méfier du grand méchant loup, si tu l'ennuies encore, il va finir par t'manger...

Elle voulu lâcher un énorme rire, mais se retint. À la place, elle lâcha un rire léger, presque hésitant, comme si elle hésitait de la conduite à tenir. Intérieurement, elle jubilait. Elle adorait exaspérer les gens. Les gens qu'elle n'aimait pas, du moins. Elle ne se serait jamais permis ça avec Aïko ou sa mère, par exemple. Encore que, sa mère... En ce moment, elle adorait lâcher quelques phrases insolentes pour l'irriter... Sans doute était-ce dû à la période qu'elle vivait...

Mais là n'est pas la question. Elle pencha la tête sur le côté, regardant Rage d'un air calculateur. Cela encore devait l'agacer. Oh oui, touuuut pour agacer cet abruti de mouton qui suivait des Alphas irrespectueux de la nature !

- Ah, c'est donc ça que tu faisais avant ? Tu mangeais les petits enfants ? Ça m'étonne pas que tu parles jamais de ton passé. Je suis pas sûre que Moune serait très contente de savoir ça. T'imagines si t'avais une saute d'humeur et que tu croquais par inadvertance un des siens ?

Un grand sourire plaqué sur son visage, elle reprit sa marche, tournant autour de Rage comme une mouche agaçante. Elle adorait vraiment cette position à moitié dominante. Voir Rage tenter de garder son calme et de ne pas lui sauter dessus était vraiment un passe-temps fabuleux...

- Peut-être même que t'es pas un loup. Si ça se trouve, t'es une sorte d'extra-terrestre venu ici pour faire du bazar. Ou alors, t'as grandi ici, t'as été persécuté, on t'a plongé dans des ordures en décomposition quand t'étais petit et depuis, tu es une pourriture ambulante.

Elle jugea plus prudent d'agrandir le cercle autour de lui. Elle y était peut-être allée un peu fort cette fois-ci, et si Rage lui sautait dessus, mieux valait qu'il y ait le plus de distance entre eux. Myosotis devait quand même avouer que Rage était dangereux, et elle n'était pas sûre de vraiment apprécier être mise en pièce. D'autant qu'avec ce qui se préparait, guerres et révolutions, mieux valait être entier pour les combats...

Cette saleté de petite merdeuse, elle était plus coriace que c'qu'il avait prévu... Et ça, ça l'ennuyait beaucoup. Ça le frustrait, surtout. Personne n'avait encore osé minauder ou tenir tête face à lui, et il aimait pas du tout cette p'tite nouveauté. Son sourire se fit plus sombre, alors que son coeur pourri commençait à s'exciter, intimant à ses muscles de se bander et de faire taire une bonne fois pour toute la bleuet. Non, non, du calme. Il ne devait pas céder à cette pulsion, pas face à cet avorton de loup. Le regard doré se durcit, se fit plus précis, commença à étudier l'anatomie d'une potentielle future proie. Non, on a dit non ! Zut, pourtant c'pas l'envie qui manquait.

- Ah, c'est donc ça que tu faisais avant ? Tu mangeais les petits enfants ? Ça m'étonne pas que tu parles jamais de ton passé. Je suis pas sûre que Moune serait très contente de savoir ça. T'imagines si t'avais une saute d'humeur et que tu croquais par inadvertance un des siens ?

Son rire hautain, sa voix nasillarde, cette manière d'essayer de se faire plus importante qu'elle ne l'était vraiment, tout commençait à l'horripiler, et il avait de plus en plus de mal à rester imperturbable. Un combat intérieur faisait rage, essayant de pousser le grand loup à écraser cette vilaine bestiole qui mettait son ego à mal. Et puis qu'est-ce qu'elle en aurait à foutre Moune, même si il avait d'jà mangé des p'tits enfants avant ? Elle rigol'rait surement, vu comme elle est tarée, c't'une idée qui devrait lui plaire. Mais rétorque pas, elle est idiote cette naine, ignore la. Les yeux fixés sur le lac, immobile, Rage faisait tout pour garder son calme et oublier la mouche bleue qui lui tournait autour.

- Peut-être même que t'es pas un loup. Si ça se trouve, t'es une sorte d'extra-terrestre venu ici pour faire du bazar. Ou alors, t'as grandi ici, t'as été persécuté, on t'a plongé dans des ordures en décomposition quand t'étais petit et depuis, tu es une pourriture ambulante.

Cette fois, il ne put s'en empêcher. Les pupilles rétrécies, la mâchoire serrée dans une grimace où commençaient à se dévoiler quelques crocs, Rage réévalua la situation. Cette foutue gamine allait trop loin, il allait falloir la dresser une bonne fois pour toutes. C'est dingue, elle avait toujours pas pigé la leçon, on dirait... Elle s'croyait à l'abri derrière ses vilaines petites paroles, mais en réalité elle lui offrait des armes, de belles armes dont il aurait grand plaisir à se servir pour la transpercer ! Au figuré... bien entendu... s'il parvenait à se contrôler.

Le loup vert lâcha un long soupir, les nerfs sérieus'ment malmenés. Sale petite emmerdeuse, je vais te faire avaler ta langue. Il tourna lentement la tête, posa une fois de plus ses yeux sur la bleuet. Sage décision de prendre un peu de distance, mais j'crains qu'ce soit pas suffisant. Les mots sortirent, abrupts, rauques, sourds, du fond de sa gorge, tandis qu'il se levait et marchait lentement dans sa direction.

- T'en as pas marre de sortir des conn'ries à longueur de temps ? Tu t'crois importante, c'est ça ? Ouvre-les yeux !! Les derniers mots sortirent plus fort, tandis que le soldat faisait un grand pas en avant, aboyant à nouveau sur la bleue. T'es rien qu'une p'tite louve avec une langue, c'est tout ! T'es rien, et t'as l'audace de venir te frotter à plus fort que toi, pour faire la brave... T'veux quoi, que j'te démolisse, qu'on voit si t'es vraiment solide ?!

Bon, visiblement, il avait du mal à s'contrôler. Mais ça f'sait un bien fou. Elle était p'têtre printanière, mais il sentait que d'la haine pour la morveuse, elle était allée trop loin. Qu'est-ce qu'il en avait à foutre, qu'elle meure ? Un accident, c'est vite arrivé. Et qui la pleur'ra ? Sa maman ? Elle avait qu'à mieux l'éduquer. Lui il allait s'en charger, et elle aurait pas intérêt à rev'nir l'emmerder. Si elle r'partait vivante déjà. Une fois devant la naine, le soldat se redressa de toute sa hauteur, et un sourire mauvais, son sourire préféré qui le faisait grimacer, s'afficha de nouveau.

- Tu crois qu'Moune en a quequ'chose à faire d'toi ? Moi j'crois pas. Au contraire, j'crois plutôt qu'elle s'rait ravie d'apprendre qu'j'ai écrasé une potentielle menace... Son regard perçant toisa Myosotis de haut en bas, et il ajouta après un ricanement : quoi qu'menace, c'est trop fort pour toi... En tout cas, méfie-toi, j'aurai aucun cas d'conscience à t'arracher la tête si tu m'prends pas au sérieux... Qu'tu sois une p'tite louve ou bien une printanière, j'm'embarasse pas d'ces détails là...

- T'en as pas marre de sortir des conn'ries à longueur de temps ? Tu t'crois importante, c'est ça ? Ouvre-les yeux !! T'es rien qu'une p'tite louve avec une langue, c'est tout ! T'es rien, et t'as l'audace de venir te frotter à plus fort que toi, pour faire la brave... T'veux quoi, que j'te démolisse, qu'on voit si t'es vraiment solide ?!

Et Rage de se dresser de toute sa hauteur pour dominer Myosotis, dardant ses yeux dorés dans les prunelles vertes. Myosotis commençait à se sentir petite, mais elle luttait contre ce sentiment. Non, non, non, elle ne devait pas s'avouer vaincue, elle était plus forte que ça. Les mots ne lui feraient plus jamais aucun mal. Seule la force physique pourrait la forcer à s'incliner. Ses yeux ne cillèrent pas. Elle resta droite, attendant que Rage ait fini de s'exciter tout seul. Elle trouvait pathétique sa manière de cracher ses mots. Elle, quand elle parlait, elle ne mâchait aucune de ses phrases. Les mots sont des armes et les mâcher les émoussent. Rage était pathétique et elle ne s'inclinerait jamais devant son pseudo rêve de gloire.

- Tu crois qu'Moune en a quequ'chose à faire d'toi ? Moi j'crois pas. Au contraire, j'crois plutôt qu'elle s'rait ravie d'apprendre qu'j'ai écrasé une potentielle menace... quoi qu'menace, c'est trop fort pour toi... En tout cas, méfie-toi, j'aurai aucun cas d'conscience à t'arracher la tête si tu m'prends pas au sérieux... Qu'tu sois une p'tite louve ou bien une printanière, j'm'embarasse pas d'ces détails là...

Elle plissa les yeux. Elle savait parfaitement que Moune ne l'aimait pas. En revanche, elle adorait ses petits. Et Myosotis était la meilleure amie de son jeune fils Storm. Elle ne savait pas si Rage le savait, mais depuis leur plus tendre enfance, ils passaient leurs journées ensemble, partageant tout : secrets, découvertes, potins... Ils étaient inséparables, même si ces temps si leur relation s'était un peu détendue, car ils se voyaient moins. Myosotis savait que Moune aimait trop son fils pour ordonner de lui faire du mal. L'Alpha serait sans aucun doute ravie d'apprendre la mort de cette jeune rebelle mais elle aurait à régler des comptes avec son fils. C'était un atout non négligeable et Myosotis faisait peu de cas des premières menaces de Rage.

En revanche, l'une des phrases l'inquiétait davantage. "J'aurai aucun cas d'conscience à t'arracher la tête" montrait explicitement, si besoin était, que Rage se fichait royalement d'avoir une quelconque autorisation pour la démonter. Elle doutait toutefois sérieusement qu'il ose aller si loin. Il avait beau ne pas être d'ici, sa loyauté allait à ses Alphas et il y réfléchirait sans doute à deux fois avant de faire quelque chose pouvant aller à l'encontre de ses supérieurs. Toutefois, il fallait qu'il soit au courant de la relation entre Myosotis et Storm, et cette dernière s'employa à lui révéler cet atout.

- Je me contre-fiche de tes menaces qui sonnent faux. Je ne crains pas Moune, pour la simple et bonne raison que je suis la meilleure amie de Storm et qu'elle tient trop à son fils pour oser le blesser. Or, ma mort serait sans doute un coup dur pour lui. Je pense donc qu'il faudrait que tu y réfléchisses à deux fois avant de te mettre en tête de m'éviscérer.

Elle recommença à tourner autour de lui. Décidément, elle adorait cette pratique. Elle agissait comme un prédateur devant une proie acculée qui n'avait d'autre choix que de voir le chasseur se rapprocher en attendant de se faire achever. Elle n'était sans doute pas un prédateur pour Rage mais cette position dominante la rassurait, allez savoir pourquoi. Ça ne la sauverait pas des crocs du soldat s'il décidait de l'attaquer, mais en attendant, elle aimait ça.

- En attendant, si tu veux bien, nous allons reprendre notre conversation de gens civilisés. Mettons donc de côtés crocs et griffes pour le moment. Alors, dis-moi, tu faisais quoi, avant de t'engager du côté d'un couple de cinglés ?

Elle le regardait, ramassée sur elle-même, mais elle avait pas l'air plus effrayée qu'ça. La fureur de Rage ne faisait qu's'en amplifier d'avantage. C'est qu'elle pigeait rien à la vie celle-là... Elle d'vait s'répéter un espèce de mantra du courage en boucle dans sa foutue petite caboche blonde, et il avait l'air d'être efficace. Les mâchoires serrées, la tête haute, le soldat regardait ce foutu microbe qui se payait sa tête, du haut de sa ridicule petite taille.

- Je me contre-fiche de tes menaces qui sonnent faux. Je ne crains pas Moune, pour la simple et bonne raison que je suis la meilleure amie de Storm et qu'elle tient trop à son fils pour oser le blesser. Or, ma mort serait sans doute un coup dur pour lui. Je pense donc qu'il faudrait que tu y réfléchisses à deux fois avant de te mettre en tête de m'éviscérer.

Un ricanement sec secoua un instant les épaules de Rage. Storm c'est mon copain, il va être triste et maman Moune aussi ! Quelle connerie... C'tait même pas sûr qu'il survive à cette guerre, le fils de Moune, alors pourquoi en faire tout un flan ? Est-ce que c'tait une menace, ça aussi ? C'était réellement ridicule. Cette merdeuse et ses p'tites piques d'aiguilles commençait à sérieus'ment entamer l'ego du grand vert, qui n'attendait plus que d'pouvoir écraser sa patte aux griffes dorées sur elle.

- Mes menaces qui sonnent faux ? C'est c'qu'on verra... En attendant, tu crois vraiment qu'c'est ton amitié avec le mioche de l'Alpha qui va m'empêcher de t'écrabouiller ? Pauvre de toi...

Et v'là qu'elle recommençait à lui tourner autour... Cette scène était tell'ment ridicule qu'la patience de Rage s'effritait à vitesse grand V. Se rendait-elle compte que plus elle tournait, plus elle avait de chance de s'faire bouffer ? P'tête que oui, mais que comme une idiote elle continuait. Ah oui, parce que ses menaces sonnaient faux...

- En attendant, si tu veux bien, nous allons reprendre notre conversation de gens civilisés. Mettons donc de côtés crocs et griffes pour le moment. Alors, dis-moi, tu faisais quoi, avant de t'engager du côté d'un couple de cinglés ?

Le pire c'est qu'elle s'y croyait. C't'espèce de suffisance du discours, sa manière de tourner... C'en était trop, il allait faire d'elle son goûter. Ou sa collation du soir, vu la luminosité en baisse. Le soldat se força à sourire, mais tout ce qu'il parvint à faire fut une sorte de grimace hystérique, tant il avait du mal à contrôler la fureur qui montait en raz de marée dans ses tripes. Il avait envie de mordre dans ce foutu poil bleu, le tacher de rouge, le piétiner, le déchiqueter, et jeter les restes au fond du lac. C'est Shermachin qui s'rait content avec ça ! Et le p'tit Storm aurait plus qu'à venir pleurer sa copine noyée sur la rive... Rage fit un pas en arrière au moment où la bleuet passait dans sa ronde, lui bloquant l'passage. Sa voix se fit sourde, basse, lourde de menaces.

- Il ne me sied guère d'accéder à ta requête... Pour moi, c'est l'heure idéale du casse-croûte, donc je compte bien laisser mes couteaux faire leur boulot, et exterminer cette vilaine bestiole qui me tourne autour de manière pitoyable...

Sa grimace s'accrut, dévoilant ses crocs brillant dans la lueur du crépuscule. Ses yeux acérés fixèrent Myosotis, et il franchit le pas de sa conscience qui lui permettait d'oublier qu'elle était printanière et amie de l'aut' machin ; à présent, elle n'était plus que cette tache bleue insupportable qui était allée trop loin, et allait recevoir une bonne leçon.

Sans prév'nir, la mâchoire pleine de dents de Rage se dirigea droit vers la vilaine caboche blonde, tandis que le grand loup vert espérait bien pouvoir refermer le puissant étau dessus. On verrait bien si les menaces étaient toujours fausses après ça...

- Il ne me sied guère d'accéder à ta requête... Pour moi, c'est l'heure idéale du casse-croûte, donc je compte bien laisser mes couteaux faire leur boulot, et exterminer cette vilaine bestiole qui me tourne autour de manière pitoyable...

La tension monte d'un coup. Elle est presque palpable. Myosotis sent le coup venir mais n'a pas le temps de fuir l'attaque. Dans un monumental effort de volonté, elle se force à bouger, même de peu, au lieu de rester scotchée là à regarder les terrifiants et gigantesques crocs plonger sur elle. Au lieu de se refermer sur la tête, les crocs broient du vide. Elle l'a échappé belle, mais ce ne sera pas toujours comme ça. Un instant, Myosotis songe à fuir. Mais fuir où ? Ses jambes sont plus petites que celle de Rage, et la tanière est loin. Il fait nuit, et seuls les sentinelles vadrouillent la nuit. Mais ici ? Qui viendrait la secourir ?

Dans une tentative désespérée d'éviter une nouvelle attaque, elle bondit sur le côté et se met à courir le long de la rive. De toutes ses forces, elle prie pour que quelqu'un l'aide. Elle ne regrette pas d'avoir mit Rage dans cet état, mais apparemment ses prédictions étaient fausses. Il n'a pas hésité à l'attaquer et va recommencer. Alors elle court, le plus vite qu'elle peut, sans même se retourner. Elle entend des pas derrière elle, il est presque évident que c'est Rage qui a commencé la traque. Combien de temps va-t-elle tenir ? Désespérée, elle jette un regard à gauche, à droite. Rien. Rien qui puisse la sauver d'une mort certaine si Rage l'attrape. Elle songe à sa mère, d'abord. Que dira-t-elle ? Sera-t-elle en colère contre Myosotis ? Voudra-t-elle venir à son enterrement ou sera-t-elle trop blessée par la stupidité de sa fille pour oser s'y présenter ?

Et soudain, alors que tout espoir semble avoir disparu, il est là. Devant elle. Imposant, majestueux, un regard impénétrable posé sur elle. Ébahie, elle se demande si c'est une hallucination. Son instinct lui souffle de s'arrêter, alors elle s'arrête. Elle sait que dans quelques secondes tout au plus, Rage sera derrière elle. Mais elle n'a d'yeux que pour l'esprit qui s'est désormais déplacé pour se mettre entre Rage et elle. Qu'espère-t-il faire ? Un esprit est immatériel et le soldat n'aura aucun mal à la tuer, même avec un mort entre eux deux. Une voix d'outre-tombe résonne alors, et prononce un mot, un seul, pourtant emprunt de puissance.

« Stop. »

Comme hypnotisée, Myosotis se relève. Tout est flou autour d'elle. Elle ne sait si Rage a obéi à l'ordre impérieux. Elle s'en moque. Seul compte désormais cet esprit qui, vraisemblablement, est celui de Sherkaan. Elle l'entend poursuivre :

« Arrêtez de vous battre. Vos querelles puériles n'ont pas à se faire ici. Ne connaissez-vous donc pas l'histoire de ce lieu sacré ? »

Un instant, le regard de Sherkaan se perd au loin, dans le vague. Le silence est d'or, à peine troublé par le doux clapotis de l'eau du lac. Au final, peut-être ce lac est-il fait des larmes de l'esprit. Rien ne pouvait plus étonner Myosotis ce soir. Sauf, peut-être...

« Je suis Sherkaan, Gardien de la Paix. En ce lieu sont proscrits tout conflits et je ne permettrais à personne de violer cette règle sacrée. »

Son regard, impérieux, se pose brièvement sur Myosotis et Rage. La petite louve se recroqueville sur elle-même, mortifiée. Elle qui, quelques heures plus tôt, croyait à peine en cette légende comprend maintenant que les lois de la mort ne s'appliquent pas à ce loup. Elle n'avait jamais vu de fantôme et doutait qu'on puisse qualifier Sherkaan de tel. "Esprit" aurait sans doute mieux convenu.

- Je vous demande pardon...

Sa voix avait fusé, naturellement. Ses excuses sont sincères mais elle craint ce loup qui a vaincu toutes les lois connues. Plus encore, elle craint la réaction de Rage. Il doit être tout près d'elle à présent, comment va-t-il réagir face à cet être étrange ?

A défaut d'avoir une cervelle, cette mouflette avait des réflexes, grand bien lui f'sait. Les mâchoires acérées de Rage claquèrent dans le vide, tandis qu'la bleuet filait déjà à toutes pattes. Ben alors, on fait plus la fière ? On a plus envie de tourner autour du grand méchant loup vert ? Comme c't'étrange ! Après quelques secondes à la regarder courir, le soldat se lança à sa poursuite avec un rire mauvais. Il allait pouvoir faire un peu d'exercice, et défouler ces muscles qui demandaient qu'à s'activer pour mettre en pièces la maudite bleuet ! Quoi qu'il forçait pas trop l'allure, il s'contentait d'la suivre plus que d'la poursuivre, il attendait qu'elle se fatigue un peu, que la peur grandisse en elle en entendant les pas du monstre qui se rapprochait, petit à petit...

Dans la pénombre qui s'étendait sur la rive du lac, les deux yeux jaunes brillaient avec cruauté, et une étincelle d'excitation les animait. V'là un moment qu'Rage avait pas pu s'amuser comme ça, et rien ne valait de courser un compatriote terrifié. L'adrénaline qui courait à présent dans les veines du vert faisait battre son coeur à grands coups, tandis que les foulées se suivaient et que le pelage bleu d'la morveuse continuait à courir à peine quelques pas d'vant lui.

Tout était parfait... Encore un peu d'course, puis il accélérerait, lui saut'rait dessus, l’aplatirait sur le sol, et déciderait ensuite de son sort. Il songea un court instant à épargner sa misérable vie, mais nan, elle en savait trop.

Tout était parfait, mais d'un coup tout devint bizarre... Déjà, la morveuse ralentit, et alors qu'le soldat songeait à passer à l'acte, il vit apparaître une forme blanche, qui l'poussa à arrêter son mouvement, sans qu'y comprenne trop pourquoi ni comment. Un instant, le regard doré du printanier scruta la rive pour trouver où était passée la bleuet, mais il fut happé par l'apparition fantomatique, qui prit la forme d'un loup, et s'mit même à causer...

« Stop. »

Rage était immobile, les yeux fixés sur cet ectoplasme qui v'nait de ruiner son jeu. Il aurait voulu râler, mais même s'il le pensait bien fort, sa langue était clouée à son palais. Il pouvait même pas détourner le regard ! Ni bouger d'ailleurs, bien qu'il aurait aimé sauté au travers de c'te chose floue et mettre la patte sur la morveuse. Était-elle aussi sous le charme, ou bien elle avait filé ??

« Arrêtez de vous battre. Vos querelles puériles n'ont pas à se faire ici. Ne connaissez-vous donc pas l'histoire de ce lieu sacré ? »

Est-ce que c'tait réel ? Y'avait vraiment un fantôme qui v'nait faire sa loi ? A c'moment, Rage se dit qu'il aurait p'tête du écouter un peu plus la légende de ce lac, parce qu'il avait surement le "propriétaire", Shermachin en personne, devant lui. D'où le fait qu'il vienne contester son jeu. Le loup fantôme posa un regard mélancolique sur l'étendue d'eau, avant de reprendre la parole.

« Je suis Sherkaan, Gardien de la Paix. En ce lieu sont proscrits tous conflits et je ne permettrais à personne de violer cette règle sacrée. »

Pour un fantôme, il avait un regard impressionnant, et Rage sentit qu'il déconnait pas. Bien que frustré d'se sentir impuissant et de plus pouvoir jouer, il tâcha de calmer sa colère. Puisque l'esprit était contre la violence, il f'rait en sorte... de pas s'acharner sur la morveuse, qui marmonnait quelque chose à l'esprit, bien qu'ce soit pas l'envie qui manque. Intérieur'ment, bien qu'se sentant stupide de faire une telle chose, il promit de pas essayer de faire du mal à la naine pour pas violer la loi sacrée du mort.

Et avant qu'il réalise vraiment l'étendue d'la chose, le loup fantôme avait disparu, et la nuit était là. Combien de temps ils étaient restés plantés là à s'faire sermonner par un ectoplasme ? Il n'aurait su l'dire. Il avait déjà un peu d'mal à reconnecter ses neurones et à s'remettre en mouvement, si en plus fallait qu'il calcule...

Lorsqu'il parvint de nouveau à se mouvoir, son regard doré brillant chercha la bleuet, qui en fait était encore à quelques pas, recroquevillée sur elle-même. Bordel, elle avait eu plus peur d'l'esprit que lui. Non, non, ne pas penser à ça sinon il allait encore s'énerver. Il avait même pas envie d'la suivre ailleurs pour l'écorcher en paix, tiens... Juste plus envie d'la croiser. Sauf le jour de la guerre où il pourrait éventuellement l'écraser une bonne fois pour toutes.

Il la toisa de toute sa hauteur, l'air toujours en rogne, mais plus calme que quelques minutes - heures ? - auparavant. Bon, que faire d'elle, du coup ? Rien. Il s'moquait bien de c'qu'elle pourrait dire ou penser, il allait s'casser d'son côté, et prier pour plus la croiser de sitôt.

- T'as d'la chance que certaines légendes soient vraies.

Sa voix rauque perça un instant le silence, puis le loup vert fit demi-tour, et marcha le long d'la rive vers leur point d'origine. Il allait partir chasser tiens, ça lui vid'rait la tête et y pourrait s'défouler.

Longtemps, Myosotis resta assise près de la rive à contempler la surface de l'eau où se reflétait la lune. Ses pensées se bousculaient dans son esprit, elle n'arrivait pas à se concentrer. Étrangement, toute envie de fuir avait disparu en même temps que sa peur. Elle savait que Rage ne l'attaquerait pas, comme elle savait qu'elle ne l'attaquerait pas non plus. Cet esprit venait de lui sauver la vie, elle en était consciente. Elle aurait voulu le remercier, mais déjà il avait disparu. Elle ne le chercha pas des yeux. S'il n'était plus là, il avait ses raisons et ce n'était pas elle, pauvre mortelle, qui allait chercher un loup revenu de la demeure de la Mort.

Lentement, elle se sentit revenir à la réalité, sortir de sa transe. Ses membres engourdis reprirent de leur vigueur, et, tandis qu'elle se relevait, elle vit Rage sortir lui aussi de sa transe. Apparemment, elle n'avait pas été la seule à être hypnotisée par Sherkaan. C'était une chance qu'il leur soit apparu. Elle frissonna en songeant à la cruauté dont le soldat avait fait preuve. Il n'aurait eu aucun scrupules à la faire souffrir, elle en était certaine. C'était malheureux, mais pour l'instant il était plus puissant qu'elle et mieux vaudrait à l'avenir éviter de l'irriter. Elle le vit se lever et, après l'avoir toisée une dernière fois, il lança d'une voix rauque :

- T'as d'la chance que certaines légendes soient vraies.

Il se détourna et se mit à marcher le long de la rive, s'éloignant d'elle. Pour une étrange raison, elle n'eut aucune envie de le poursuivre et de lui faire payer son attaque. Sherkaan avait dieu sait quels pouvoirs et il en avait apparemment fait usage sur eux. Elle n'aimait pas se savoir sous l'influence d'un quelconque don, mais elle n'était pas en mesure de s'en offusquer pour le moment. Elle se détourna de Rage sans lui répondre. Ils se haïraient toujours autant, mais pour l'instant ils en restaient là. Myosotis savait toutefois qu'un jour, ils auraient à régler leurs comptes. Ce jour n'étant pas encore venu, elle se mit en marche comme si de rien était, comme si elle n'avait pas passé la soirée en compagnie d'une brute épaisse, comme si elle n'avait pas rencontré le fantôme d'un loup que des générations entières avaient passé à chercher sans en trouver trace.

« Merci. »

[RP fini]