Nouveaux lieux, nouveaux clans et nouvelles espèces. A vous de vivre ... Ou de survivre !

Flou. Douleur. Odeur métallique. Fatigue. Tiraillement. Flou. Douleur. Flou. Douleur.
Noir. Douleur. Flou.

Lance cligna des yeux. L'odeur du sang envahit violemment ses narines et il s'aperçut qu'il était allongé. Où était-il ?
Il activa son pouvoir. Il n'y avait aucune présence humaine. Uniquement de petites vies grouillantes d'insectes, des oiseaux, des mammifères.
La douleur lui déchira l'épaule. Pourquoi avait-il aussi mal à l'aile gauche ? Où donc était-il ? Il ne voyait que le bleu du ciel à travers un voile flou. Il ne sentait que ... que .... Non pas que le sang ! Un autre odeur de terre, d'herbe et familière. Si familière.
Il se redressa subitement. Four Season ! Four Season ! Four Season ! Il avait réussi ! Il était rentré ! Rentré chez lui. A la tanière de son père.
Lance s'écroula à nouveau, mais pencha sur la gauche. La douleur lui arracha un cri déchirant et il se redressa, tournant la tête vers son aile gauche.
Son coeur rata un battement et il s'écroula à nouveau. Son aile ... Son aile ... Où .. Quand ? Comment ?

La mémoire lui revint comme un coup de semonce. La nuit. La fuite. Les chiens. Le chien. La mort. La peur. La résignation. La douleur. La douleur si profonde dans sa chaire et dans son âme. Qui résonne encore. Encore. Encore. Encore. C'était comme si chaque battement de son coeur la lui rappelait.

Noir.

La faim. La soif. Plus fortes encore que la douleur, plus sèche que ses muscles endoloris par les épreuves.
Lance se leva et rampa jusqu'au lac où il lapa doucement, presque consciencieusement. C'était sa vie qui avait failli s'éteindre et il sentait l'énergie revenir à chaque gorgée.
Il vit aussi ce reflet. Ce reflet qui était le sien sans être le sien. Mutilé, fatigué, détruit. Non. Pas détruit. Différent, mais pas détruit. Il était là. Il était encore là. Vivant et de retour dans le monde qu'il n'aurait jamais dû quitter. Ce monde qui avait toujours été le sien.
Après avoir récupéré, le jeune loup se baigna pour nettoyer poils et blessures. Le sang avait collé ses poils et commencé à sécher, cela prouvait que son système immunitaire fonctionnait parfaitement bien et que son jeune âge le sauvait.

Après ce bain, il entra dans la vieille tanière pour s'y reposer, prenant soin de laisser sa blessure au sec et au propre, loin de la terre du sol et des parois.
Son père, habitait-il toujours ici ? Et Hope ? Comment réagiraient-ils quand ils le verraient ? Lui en voudraient-ils d'être parti comme un voleur ? Et Blue ? Et sa tante ? Et ... sa mère ? Melinya, le vent. Savait-elle ? Que dirait-elle ?

De nouveau la fatigue. Cette fois, le sommeil vint naturellement, doucement, comme une caresse douce. Une légère brise parvenait à entrer dans la tanière, mais elle n'avait rien du froid de l'automne. Cela le rassura. C'était comme si sa mère était là. Sauf que ... devenir le vent ... C'était perdre sa mère. Pas de corps, pas d'âme. Rien d'autre que ce souffle libre et neutre. Était-elle seulement restée elle-même ?

Ce fut un bruit de pas qui sortit Lance des bras de Morphée. Il redressa la tête alors qu'une autre tête entrait dans la tanière.

Quelque chose avait tiré Blue de son sommeil ce matin là. Elle n'était pas rentrée dormir dans sa tanière. Elle avait préféré rester sur les rives du lac. La pleine lune approchait il serait bientôt temps de voir la multitude de fantômes affluer. Peut-être irait-elle à leur rencontre cette fois-ci. Ou peut-être pas. Elle ne s'était jamais risquée à sortir de son corps pendant cette manifestation. Elle avait toujours à l'esprit ces instants de pure douleur lorsqu'elle s'était retrouver environné des mânes en colère tué par le monstre de foudre. Un petit frisson remonta le long de son échine. Elle se releva, secoua la terre et les quelques brins d'herbe qui avaient accrochés à son pelage. Le cliquettement de son collier lui rappela furtivement pour quoi et pour qui elle prenait soin des âmes égarées. Elle soupira. Le vent qui était venu jouer dans ses oreilles n'avait rien de naturel. Ou, tout du moins, elle voulait croire qu'il ne l'était pas. Elle espérait, encore et toujours, que Melinya n'était pas devenue le vent entièrement, sans âme ni pensée mais qu'elle continuait de prendre soin de ceux qu'elle avait aimé de son vivant.
La solitaire s'étira encore un peu avant de se mettre en marche. Elle avait l'intime conviction qu'il se passait quelque chose. Son instinct l'avait trompée si peu de fois qu'elle allait obstinément de l'avant, guettant simplement ce qui avait pu la réveiller et, surtout, pourquoi. Elle marchait aux alentours du lac, cherchant elle ne savait quoi lorsqu'une odeur vint à son museau. Elle fronça les sourcils. Elle connaissait cette odeur mais il y avait quelque chose qui clochait, quelque chose d'anormal. Une odeur d'homme ! Ses poils se hérissèrent presque malgré elle. Pourquoi l'odeur de sang et de mort était-elle mêlée à celle de Lance ? Elle se mit à trotter, prenant garde à ne pas perdre la trace qu'elle avait repérée. Elle ne fut pas vraiment étonnée de parvenir finalement devant l'ancienne tanière de Calion et Melinya. Revenir chez soit est le premier réflexe de l'être blessé. La louve repéra une traînée de sang qui allait jusqu'au bord de l'eau. Bien, s'il avait pu se traîner jusque là c'était bien qu'il ne devait pas être mort. Elle n'était pas prête à retrouver le cadavre d'un des loups qu'elle s'était juré de protéger. Elle passa furtivement l'ouverture et ne put retenir un léger hoquet de stupeur en voyant l'état du jeune loup. Ses crocs se découvrirent. Si elle avait pu avoir devant elle ceux qui avaient infligé tant de douleurs au jeune Lance elle l'aurait déchiqueté sur le champ. Elle préféra cependant reculer, repartir. Il dormait et, vu l'état de son épaule, il valait mieux qu'il se repose plutôt que d'affronter sa hargne. Les monstres l'avaient privé de ciel ...
Blue partit chasser. Lance ne pouvait très probablement pas vu son état. Courir la défoulait. Courir chassait ses souvenirs. Des souvenirs qui menaçaient de déborder. Elle ne revint pas à l'endroit où elle avait trouvé la piste du loup. Cela sentait l'humain. Cela sentait l'Avant. Elle ne voulait pas repenser à l'Avant. Il avait fait d'elle ce qu'elle était mais le tenir à l'écart valait mieux pour elle. Elle l'avait enterré et comptait bien à ce qu'il le reste. Une musaraigne et un lièvre bien dodu, faisant ses réserves pour l'hiver. Cela suffirait. L'effort physique l'avait calmée et elle retourna à la tanière avec son air distant et glacial plaqué sur le visage. Elle passa encore une fois sa tête par l'ouverture de la tanière. Lorsqu'elle vit Lance ouvrir les yeux elle se maudit de n'avoir été plus discrète.

- Lance.

Ce n'était pas une question, pas un reproche, pas une invitation non plus. Ce n'était qu'une constatation. C'était Blue et sa froideur habituelle. Elle esquissa cependant un léger sourire. Depuis quand n'avait-elle pas souri ? Elle ne se souvenait plus. Elle fuyait la compagnie des loups encore plus qu'avant si cela était possible. C'était aussi là un de ses premiers mots depuis longtemps. Ayant laissé ses proies au dehors elle fit demi tour, comme si elle n'avait pas vu les blessures béantes du jeune loup. Elle devait se blinder, se persuader qu'elle avait vu pire et qu'elle n'était pas attachée à lui au point de ressentir sa souffrance. Elle ne voulait plus s'attacher, plus jamais. Melinya avait été encore une fois une douleur cuisante pour ce qu'il lui restait de cœur. De retour près de Lance elle lança ses deux prises au sol, juste devant le loup.

- Mange, je ne pense pas qu'avec une épaule dans cet état tu puisses faire grand chose. Un silence passa. Et puis, ça t'éviteras de tuer.

Elle ne savait rien de ce qui s'était passé chez les humains et elle ne lui demanderait pas de lui raconter. S'il voulait en parler, tant mieux mais, sinon, elle ne poserait nulle question. Chacun son passé. Le loup ne connaissait pas le sien, personne ne connaissait le sien. La seule qui l'eut connu sur Four Seasons n'était plus. Elle resta debout, attendant elle ne savait trop quoi.

- Si tu veux retrouver ta famille il me semble que ton père est en Hiver. Quand à ta soeur elle vadrouille souvent en Automne. Il y a une guérisseuse là bas.

Elle ne parla pas de sa mère. Il savait, c'était obligé. Tous savaient. Elle leur avait envoyé le vent, elle leur avait annoncé sa disparition elle même. Quand à la référence à quelqu'un capable de refermer sa plaie, la louve au pelage de nuit ne connaissait pas personnellement l'être dont elle venait de parler. Elle savait juste que la seule guérisseuse restante sur Four Seasons se trouvaient en Automne. Il était neutre, elle accepterait sûrement de l'aider.

Spoiler:

C'était Blue. La louve n'avait pas l'air surprise de le voir, elle devait déjà l'avoir vu. Tout avoir vu ...
En se levant, Lance prit conscience pour la première fois de cette sensation de légèreté sur le côté gauche qui le déséquilibra légèrement. Il tituba piteusement pour sortir et suivre la louve qui lui présentait deux proies fraîchement tuées. Il ne s'était pas trompé, elle l'avait bien vu avant son réveil.
Le jeune loup frissonna à l'idée qu'il ai put être aussi vulnérable. Les lieux empestaient encore du sang.

"Mange, je ne pense pas qu'avec une épaule dans cet état tu puisses faire grand chose."

Elle avait raison. La douleur le privait de toute sensation à cet endroit et sa patte avant gauche était engourdie.

"Et puis, ça t'éviteras de tuer."

Lance eu un petit sourire qui ressemblait plus à un rictus. Il appréciait sincèrement l'intention, bien que Blue ignore qu'il ne soit plus handicapé par son pouvoir comme auparavant. Retrouver ces petits quelques choses qui faisaient de cette louve sa nounou lorsqu'il était louveteau le rassurait. Il se sentait divinement bien en sa présence. Après tout ce qu'il avait vécu, la douleur de sa blessure, la distance de Blue n'avait aucune importance. Il était au paradis. Dévorant avec avidité de simples proies, mais dont les saveurs lui avait tant manqué. Les espèces de boulettes sêches et fades que lui donnaient les humains faisaient pâles figures à côté d'un vrai lièvre sauvage bien gras.

"Si tu veux retrouver ta famille il me semble que ton père est en Hiver. Quand à ta soeur elle vadrouille souvent en Automne. Il y a une guérisseuse là bas."

Avait-il vraiment besoin d'une guérisseuse ? La plaie allait se refermer d'elle même et il était jeune. Et puis, après tout ce qu'il avait vécu, il n'avait pas envie d'être ausculté. Les humains avaient passé leur temps à le regarder sous tous les angles, rasant ses poils pour voir sa peau, le faisant passer dans leurs monstres clignotant et cliquetant pour regarder ses organes et ses os.

Il savait que Hope était intéressée par un loup automnal. Mais pourquoi son père avait-il rejoint les hivernaux ? A cause de sa mère ? Voulait-il vivre sur les lieux qui avaient vu naître son aimée ?

Ayant fini son repas, Lance releva la tête vers Blue pour le lui demander, mais son regard tomba sur le collier. Il en avait vu de semblable autour des cous des molosses. Il frissonna à nouveau. Le pitbull portait lui aussi un collier à pointe. Il baissa la tête, le sang battant à ses tempes l'assourdissait alors que les souvenirs défilaient devant ses yeux.
Sur un ton suppliant, presque un reproche, il lâcha :

-Comment peux-tu porter ce ... cette chose ?

Il releva les yeux vers elle, quêtant une réponse dans son regard. Elle ne pouvait pas être comme eux. Il la connaissait, elle n'était pas comme eux.

-Tu sais pourtant à quoi ça sert, ce que ça représente, non ?

Il n'avait jamais pu se défendre à cause de ces colliers. Les pics lui étaient même entré dans la peau alors que les chiens s'entassaient sur lui pour l'empêcher de bouger.

Les oreilles couchées, plongé dans sa détresse, il se sentait si faible. Si misérable. Il faisait une proie si facile, blessé et tourmenté. Il était prêt à se raccrocher à n'importe quoi. Elle pouvait lui mentir sur les raisons pour lesquelles elle gardait le collier, il la croirait, du moment qu'elle ne le laissait pas seul avec ses cauchemars.

Blue regarda avec plaisir Lance manger avec avidité. Quelques souvenirs refaisaient encore surface. Les restes au milieu des croquettes, les petits quelques choses passés furtivement sous la table. Tout cela n'était rien comparé à de la chaire fraîche. Sentir le sang sur la langue et la viande entre ses crocs était incomparable. Les humains ne comprenaient pas ce que cela pouvait leur apporter. Elle lâcha le jeune loup du regard. Il avait tant grandi ... Le temps passait et elle n'y pouvait résolument rien. Elle entendit les bruits de mastication cesser et sentit presque physiquement le regard bleu se poser sur elle. Imperturbable, comme toujours, elle continuait de fixer le lac. Elle aurait aimé qu'il communique son calme au pauvre être torturé qu'était devenu Lance. Lui qui avait été si joyeux et plein d'énergie. Quel gâchis ... Peut-être que si elle avait parlé davantage de l'Avant, peut-être qu'il ne serait pas parti, peut-être qu'elle ne serait pas en train de tenter de recoller ce qui pouvait encore l'être.

-Comment peux-tu porter ce ... cette chose ?

Blue garda les yeux rivés au loin. Elle ne se permettrait pas de songer au passé. Ce qui était fait été fait un point c'est tout. Mais elle ne permettrait pas non plus qu'on critique ses choix. Elle les avait faits comme il lui semblait juste de le faire. Elle n'énonça pas ces pensées à voix haute. Elle attendait qu'il poursuive. Elle n'avait pas envie de se montrer trop brusque avec lui. Ce qu'il avait du voir là bas avait dû le marquer pour qu'il s'intéresse si soudainement à ce qu'elle portait autour du coup. Aurait-elle la force de parler de l'Avant ? Elle ne savait pas. Cependant, elle sentait qu'elle le devrait parce que Lance avait besoin de réponses. Réponses qu'elle était pour l'instant seule à pouvoir lui fournir.

-Tu sais pourtant à quoi ça sert, ce que ça représente, non ?

Que pouvait-elle bien répondre à cela ? Bien sûr qu'elle savait. Mais savoir et rejeter totalement son passé étaient deux choses bien différentes. Elle avait depuis longtemps décidé que jamais elle n'oublierai. Ce collier l'aidait à respecter sa promesse. Mais ce n'était pas tout. Elle gardait les yeux fixés sur l'onde bleu sombre, encore.

- Oui.

Réponse concise. Elle daigna enfin détourner ses yeux azur du lointain pour affronter les yeux bleus emplis de terreur de Lance. Que craignait-il ? Les hommes ne viendraient pas jusqu'ici. Et, au pire, s'ils le faisaient ils ne feraient pas le poids contre tous les loups de Four Seasons. La lutte contre les monstres avait été une bonne preuve de leur capacité à s'associer face à l'adversité. Elle poussa un léger soupir et ferma les yeux une seconde, marque de lassitude qu'elle s'accordait rarement.

- Moi je sais ce qu'il représente mais toi tu ne sais pas. Tu n'as vu le côté de ces choses qu'en temps que victime. Tu ne sais pas que les humains peuvent être doux. Ca c'est un petit homme qui me l'a donné. Il venait dormir avec moi lorsqu'il faisait des cauchemars. Mais je connais aussi leur cruauté, je l'ai vécue. Mon rapport aux hommes peut sembler étrange. Mais ce petit, sa mère, son père, ils étaient ma famille. Quoi qu'ils aient pu me faire par la suite je n'oublie pas ces trois là.

Elle ne voulait pas en dire plus. Et, de toute manière, elle ne voulait pas vraiment en dire plus. Elle ne voulait pas parler de l'incendie. Elle ne voulait pas parler non plus de la traque qu'elle avait mené ensuite, de cette odeur d'alcool qui imprégnait encore parfois ses rêves. Elle voulait bien donner quelques explications mais préférait ne pas entrer dans les détails si ce n'était pas nécessaire. Elle trouvait qu'elle en avait déjà bien trop dit.

- Ils s'en sont allés pour un monde sans retour, sa voix avait un accent presque triste, un accent qu'elle aurait aimé ne pas laisser poindre ici. Nous sommes forgés par les épreuves que nous subissons. Le tout est de se relever à chaque fois que nous tombons. Moi je me raccroche à cette partie de l'Avant. Cette part de mon passé où tout allait plutôt bien.

Elle détourna encore une fois le regard. Elle n'aimait pas faire ce genre de déclaration. Elle se sentait si faible lorsqu'elle le faisait. Il n'était pas utile que les autres voient qu'à l'intérieur elle n'était pas aussi sûre d'elle qu'elle voulait bien le dire, qu'à l'intérieur elle n'était plus qu'un épave. Elle voulait conserver son image de louve forte, surtout face à Lance. Elle l'avait gardé assez souvent avec Hope lorsqu'ils étaient petits. Elle ne voulait pas qu'il ait une mauvaise image de celle qui avait été une amie proche de leur mère.

- Je ne veux rien oublier pour ne jamais refaire les mêmes erreurs. On a toujours quelque chose à apprendre de ce qui nous arrive même si c'est douloureux.

Elle ne savait pas vraiment si ce qu'elle disait avait une quelconque importance pour Lance. Elle lui disait simplement ce qu'elle avait fait pour elle même, ce qu'elle avait fait pour se reconstruire.

- J'aurai dû vous parler de l'Avant à toi et ta soeur.

C'était pour elle l'aveu d'une faiblesse. Elle avait échoué à les protéger. Elle ne savait pas si elle pourrait regarder Calion dans les yeux la prochaine fois qu'elle le croiserait. Elle n'avait jamais été très proche du compagnon de Melinya mais c'était tout de même ses enfants.

"Oui."

Bien sur. Sa question était vraiment idiote. Ce n'était pas le genre de Blue de porter un objet humain sans en connaitre la signification.

"Moi je sais ce qu'il représente mais toi tu ne sais pas. Tu n'as vu le côté de ces choses qu'en temps que victime. Tu ne sais pas que les humains peuvent être doux. Ca c'est un petit homme qui me l'a donné. Il venait dormir avec moi lorsqu'il faisait des cauchemars. Mais je connais aussi leur cruauté, je l'ai vécue. Mon rapport aux hommes peut sembler étrange. Mais ce petit, sa mère, son père, ils étaient ma famille. Quoi qu'ils aient pu me faire par la suite je n'oublie pas ces trois là."

Lance avait du mal à imaginer des humains gentils. Mais après tout, Blue n'avait de pelage multicolore ni d'ailes. Peut-être que son pelage tirant sur le noir lui avait valu de passer inaperçue. Mais à part elle, quel loup de Four Seasons pouvait avoir la moindre de chance avec ces êtres là ?

"Ils s'en sont allés pour un monde sans retour. Nous sommes forgés par les épreuves que nous subissons. Le tout est de se relever à chaque fois que nous tombons. Moi je me raccroche à cette partie de l'Avant. Cette part de mon passé où tout allait plutôt bien."

Mais lui, à quoi pouvait-il se raccrocher ? Il n'avait eu aucun répit, aucun moment heureux. Et aujourd'hui, il était mutilé et se sentait faible et misérable. En fin de compte, que ce soit là-bas ou ici, seuls les forts survivaient, les faibles n'avaient pas leur place. Il ne voulait plus être faible.

"Je ne veux rien oublier pour ne jamais refaire les mêmes erreurs. On a toujours quelque chose à apprendre de ce qui nous arrive même si c'est douloureux."

Et bien il n'aurait voulu rien apprendre, rien savoir. Il aurait voulu ... Qu'aurait-il voulu ? Sa vie avant son départ ne lui convenait pas, sa vie de cobaye ne lui avait valu que souffrance et aujourd'hui, la seule chose qui aurait pu lui remonter le moral lui était devenue à jamais interdite. Le seul lien qu'il lui restait avec sa mère était rompu à jamais. Alors oui, il aurait souhaité ne pas savoir. Savoir ne valait pas le ciel. Au final, il aurait du se donner la mort plutôt que de chercher à s'enfuir. A quoi cela lui servait-il d'être de retour en vie s'il n'avait plus rien d'autre qu'un savoir dont il ne voulait pas ? Savoir qu'il était un être faible et ignorant, naïf. A quoi donc pouvait-il se raccrocher ?

" J'aurai dû vous parler de l'Avant à toi et ta soeur."

-C'est sur, lâcha-t-il avec amertume.

Il avait parlé sans réfléchir, remerciant la louve de lui donner quelqu'un à haïr. Même si cela ne lui ressemblait pas, même s'il savait que le plus grand coupable n'était autre que lui-même. Elle lui avait fait comprendre qu'en vouloir à l'humanité toute entière était stupide, alors qu'il aurait été tellement plus simple de les haïr eux. Puisque de toute façon, ils ne viendraient jamais ici.

Lance se secoua. Quel louveteau influençable il faisait ! Ce n'était pas Blue la coupable. Elle ne pouvait pas savoir. Les coupables étaient ces humains là. Il pouvait les détester ceux là, pas tous, mais ceux qu'il avait vu. Et leurs chiens, leurs abominables molosses assoiffés de violence et de sang.

-Excuse-moi. Tu ne pouvais pas savoir ce qui me passerait par la tête. J'ai été utopiste, j'ai cru trouver ailleurs mieux qu'ici. Ces humains là ont été incapable d'accepter mon existence, il leur a fallut m'enfermer et m'observer. Et leurs chiens. Leurs stupides cabots sans cervelles qui obéissent aveuglément. Je ne savais rien faire d'autre que supplier et ils ne m'écoutaient pas.

C'était incroyable ce que la rancoeur pouvait lui donner comme énergie, comme soif de vengeance. Ces griffes étaient enfoncées dans le sol et ses babines retroussées à l'évocation de ses souvenirs.
Il avait l'impression que parce que Blue savait, il pouvait le lui dire sans honte. Elle comprendrait, elle savait.
Il eu un petit rire sarcastique en se remémorant un autre souvenir.

- Au moins celui qui m'a fait ça a payé. Abattu par ses propres maîtres. Quelle désillusion. La bête curieuse comptait plus que le compagnon. Mais même mort il ne lâchait rien.

Il y avait un mélange de haine et d'admiration dans ses mots. Ce chien là avait été fort, même dans la mort, il n'avait pas lâché prise et avait continué à se battre.

-Au final, je ne suis qu'un loup faible. Tout ce que j'avais, c'était le ciel. Sans cela, je ne suis rien. Je ne veux plus être faible !

C'était presque un cri, plus une résolution. Comme l'oeuf d'une nouvelle raison de vivre. Il ne demandait qu'à le faire éclore, mais il lui manquait encore quelque chose.

- Au moins je contrôle mon pouvoir et m'en suis trouvé un autre. Sans quoi je n'aurais pas pu fuir. Mais je ne veux plus fuir. Je veux devenir fort pour ne plus jamais avoir à fuir et pour ne plus jamais rien perdre.

Mais pouvait-il y arriver ? Il ferait tout pour. Plus jamais il ne voulait fuir devant une meute. Une meute. Oui ! C'était ça ! Ce qui les rendaient fort, c'était d'être en groupe. Lance ne saurait expliquer pourquoi, mais en groupe, chaque individu devenait plus fort. Le jeune loup n'avait jamais chassé, même seul, alors il ignorait tout de la chasse en groupe et de ce secret qui rendait plus fort. Mais il savait ce qu'il lui restait à faire.

Ses préoccupations revinrent alors à son père. Il voulait savoir pourquoi il se trouvait en hivers.

-Sais-tu pourquoi mon père est parti en territoire hivernal ?

Le simple fait d'évoquer un lieu de ce monde qu'il avait cru ne jamais pouvoir rejoindre le rendit plus léger, presque heureux. Il n'était pas serein, il ne le serait plus jamais, mais il était plus calme, moins perdu. De retour dans cet environnement familier, il se sentait déjà plus fort. Il connaissait son environnement et cela lui fit oublier ses anciennes opinions sur les clans. Aujourd'hui, les conflits lui paraissaient moins importants, plus naturels. Puisque les loups se regroupaient pour être plus forts, qu'y avait-il de plus normal que des clans se forment ? Et puisque chacun avait une opinion différente, les conflits étaient tout aussi normaux. Si son père était devenu hivernal, il le deviendrait aussi. C'était là qu'avait grandit sa mère, il voulait appartenir à ce clan là. Il sentait que c'était là sa place.

-C'est sur.

Amertume, Lance se reprit immédiatement mais le mal était fait. Les muscles de la louve s'étaient contractés et son regard était devenu plus dur qu'il ne l'était déjà. Le petit lui avait fait mal en deux mots, deux simples mot et un accent si mesquin. Elle savait que ces mots ne l'atteignait que parce qu'elle avait une certaine affection pour le petit. Blinder son cœur, l'écarter d'elle. Il le fallait. Plus jamais elle ne souffrirait pour qui que ce soit.

-Excuse-moi. Tu ne pouvais pas savoir ce qui me passerait par la tête. J'ai été utopiste, j'ai cru trouver ailleurs mieux qu'ici. Ces humains là ont été incapable d'accepter mon existence, il leur a fallut m'enfermer et m'observer. Et leurs chiens. Leurs stupides cabots sans cervelles qui obéissent aveuglément. Je ne savais rien faire d'autre que supplier et ils ne m'écoutaient pas. Au moins celui qui m'a fait ça a payé. Abattu par ses propres maîtres. Quelle désillusion. La bête curieuse comptait plus que le compagnon. Mais même mort il ne lâchait rien.

Le regard de la louve se noircissait encore. Qu'aurait dit Lance s'il avait su qu'elle avait été ainsi ? Un stupide cabot sans cervelle ? Elle en avait abattu des loups. Elle les avait traqués. Elle non plus ne lâchait jamais lorsqu'elle tenait un adversaire. Elle ne dit rien. Malgré toutes ses bonnes résolutions elle ne pouvait se permettre de se faire haïr par le jeune loup. Elle ne s'en sentait pas la force. De meme qu'elle ne supporterait pas cet air de dégoût qu'il ne manquerait pas d'afficher si elle lui révélait la vérité. Personne ne devait savoir. Personne. Elle gardait ses secrets pour elle. Elle en avait déjà bien trop dit. Ses muscles étaient tendus à en craquer et ses crocs étaient serrés. Entre passé et présent elle ne savait où en donner de la tête.

- Au final, je ne suis qu'un loup faible. Tout ce que j'avais, c'était le ciel. Sans cela, je ne suis rien. Je ne veux plus être faible ! Au moins je contrôle mon pouvoir et m'en suis trouvé un autre. Sans quoi je n'aurais pas pu fuir. Mais je ne veux plus fuir. Je veux devenir fort pour ne plus jamais avoir à fuir et pour ne plus jamais rien perdre.

Tant de hargne, de tristesse et de résignation faisait peur chez un être aussi jeune. Blue restait pourtant impassible. Roc face aux vents violents qui s'agitaient. Elle non plus ne fuirait pas. Elle ne fuirait pas ses responsabilités.

- Tu n'es pas si faible que tu te plais à le penser.

La voix de la louve n'était qu'un souffle. Rien de plus qu'un murmure entre ses crocs toujours serrés. Si serrés qu'on aurait presque pu les croire soudés les uns aux autres. Elle avait parlé si bas que Lance n'avait même pas l'air de l'avoir entendu. Son attitude agressive était à l'image de ce qu'il devait ressentir. Les deux loups devaient avoir l'air bien étranges ainsi l'un à côtés de l'autre. Une louve bientôt vieille aussi immobile qu'une statue de glace et le jeune loup image même de ce qui le dévorait. La haine et la vengeance. Blue espérait qu'elles ne le dévoreraient pas vivant. De telles émotions peuvent faire bien plus de mal à soi même qu'on ne le pense.

-Sais-tu pourquoi mon père est parti en territoire hivernal ?

La louve couleur nuit ne répondit pas immédiatement. Elle réfléchissait à ce qu'elle savait. Elle repassa dans sa tête deux ou trois conversations qu'elle avait eu avec des esprits. Des hivernaux qui ne voulaient pas quitter ce monde mais qui aimaient bien venir la voir de temps à autre. Il y avait des âmes comme ça, pas vraiment en peine mais qui aimaient regarder les vivants et qui ne s'en allaient donc pas.

- Non.

Sa voix était plus dure qu'elle ne l'aurait voulu. Elle ne savait pas ce que Lance pouvait penser de la décision de son père. Peut-être qu'il s'était attendu à le retrouver ici. Ou peut-être pas. Elle n'était pas dans sa tête après tout. Et puis, elle n'avait jamais été bien douée pour déterminer ce que les autres pouvaient penser. Certains loups étaient capables de voir plus ou moins l'état d'esprit de tout un chacun en se basant sur des expressions ou des gestes, elle même en avait toujours été incapable.

- Certains esprits l'ont vu aux abords de la tanière des Alphas lors de la passation de pouvoir entre Kiba et Meneldil. Ils n'ont pas pu me dire pourquoi est-ce qu'il était là par contre. Ou n'ont pas voulu, on ne sait jamais vraiment avec eux.

Les esprits pouvaient être facétieux et ne disaient souvent que ce qu'ils voulaient, omettant les détails au grès de leurs envies. Le regard glacé de la solitaire se braqua encore une fois sur Lance. Ce petit avait une idée derrière la tête, elle en aurait mis sa patte au feu. Cependant, ce n'était pas de ça qu'elle voulait lui parler. Elle avait des choses à lui dire, des choses à exprimer. Pour une fois qu'elle était d'humeur plus ou moins bavarde autant en profiter. Une telle occasion ne se représenterait sûrement pas.

- Haïs moi tant que tu veux, maudis moi, fais de moi la fautive, fais de moi celle qui t'as fait perdre le ciel, peu m'importe. Mais cesse de te sous-estimer. Ce n'est pas une qualité que la fausse-modestie. Si tu étais aussi faible que tu le penses tu ne serais pas ici. Tu serais toujours là bas. Oh, tu aurais toujours deux ailes, mais pas de ciel non plus. Celui qui souffre pour sa liberté ne sera jamais faible.

Elle garde ses yeux fixés sur ceux de Lance. Ces yeux azur à l'intensité dérangeante, ces yeux qui disent bien plus nettement que son corps qu'elle en a vu plus qu'elle ne veut bien l'avouer, qui annoncent l'étendue de sa vie.

"Non."

Il devait donc aller le vérifier par lui-même. Il était temps qu'il parte de toute façon. Cet endroit était définitivement vide, plus personne n'y habitait. Sauf peut-être Hope, de temps en temps. Mais cette tanière n'était plus qu'un souvenir appartenant à un passé regretté. La dernière preuve sur terre que sa mère avait vécu ici bas.
Ce n'était pas seulement le ciel qu'il avait perdu, mais aussi sa mère, complètement.

"Certains esprits l'ont vu aux abords de la tanière des Alphas lors de la passation de pouvoir entre Kiba et Meneldil. Ils n'ont pas pu me dire pourquoi est-ce qu'il était là par contre. Ou n'ont pas voulu, on ne sait jamais vraiment avec eux."

Passation de pouvoir ? Meneldil ? Sa tante était devenue Apha ? Combien d'autres choses avait-il raté ? Sa tante... Elle avait perdu sa mère elle aussi. Elle avait du souffrir et se sentir seule, alors que sa soeur partait pour les terres neutres et que son père flirtait avec une autre louve. Comme lui s'était senti seul dans la cage aux murs invisibles.

"Haïs moi tant que tu veux, maudis moi, fais de moi la fautive, fais de moi celle qui t'as fait perdre le ciel, peu m'importe. Mais cesse de te sous-estimer. Ce n'est pas une qualité que la fausse-modestie. Si tu étais aussi faible que tu le penses tu ne serais pas ici. Tu serais toujours là bas. Oh, tu aurais toujours deux ailes, mais pas de ciel non plus. Celui qui souffre pour sa liberté ne sera jamais faible."

Mais il n'avait pas été assez fort. Il aurait pu fuir entier et garder la plus pure des formes de la liberté. Au final, les deux solutions qu'il avait eu l'avait privé du plus précieux. S'il pouvait voir ses proches aujourd'hui, il aurait peut-être pu se laisser faire dans sa cage et attendre de voir ce qui se serait passé ensuite. Il avait juste eu peur d'être tué. La peur n'avait rien de glorieux. Sa demi-liberté le laissait dans la peur de vivre à nouveau la captivité et les poursuites. D'être à nouveau blessés dans sa chaire et dans son esprit. Les loups aussi pouvaient le faire, les loups aussi pouvaient lui faire du mal.

-Tu ne porte pas le poids du monde sur ton dos, c'est à moi d'assumer mes actes, aussi inconscients soient-ils. J'ai payé pour avoir abandonné les miens. L'herbe n'est pas plus verte chez le voisin, ce n'est qu'une illusion. Peut-être que je serais quand même parti malgré un avertissement de ta part.

Il se leva et tourna le dos à la louve.

-J'ai perdu ma mère une seconde fois en perdant le ciel. Je n'abandonnerais plus mes proches. Mon père, ma soeur et ma tante n'ont peut-être pas besoin de moi dans l'immédiat, mais je veux être là pour eux. Ils sont le seul trésor qu'il me reste. J'ai toujours peur égoïstement, d'être attaqué ou enfermé, mais je veux en faire une force pour eux. Le passé nous marque, mais il ne doit pas nous freiner.

Il étendit son unique aile, elle avait l'air tellement pathétique et inutile. Mais après tout, c'était un souvenir de sa mère.
Il se tourna vers Blue avec une ombre de sourire sur ses babines. C'était si difficile de faire montre de bonheur après tant de temps passé à souffrir.

-Tu fais aussi parti des proches auquel je tiens. Je ne peux pas te détester, quoi que tu ai fait. Ca n'a rien de rationnel. Même si je me dis que tes choix auraient pu changer quoi que ce soit, les choses sont telles qu'elles sont. Ce qui compte aujourd'hui, c'est que tu sois là. Merci pour le repas.

Et il prit la direction du territoire hivernal. Le pas toujours lourd, la douleur toujours présente, la peur toujours encrée en lui, mais le coeur un peu plus léger.

Up ou Archives ?

Encore une fois : Est ce que je mets aux archives ?

Pour moi archives.

Ok, merci. (:

Donc, Archives ~